Le partenaire de Glenn Greenwald retenu à l'aéroport de Londres

La décision juridique britannique contre David Miranda intensifie l'assaut contre les droits démocratiques

Rendant une décision aux motivations de toute évidence politiques, la Haute cour de Londres a décidé mercredi que la détention durant 9 heures en août dernier à l'aéroport Heathrow de Londres de David Miranda, partenaire du journaliste Glenn Greenwald, était régulière. Ce brésilien de 28 ans était en transit entre l'Allemagne et le Brésil lorsqu'il avait été retenu arbitrairement par la police londonienne.

Greenwald, qui fut journaliste au Guardian, est un proche associé du lanceur d'alerte de la National Socialist Agency (NSA) Edward Snowden. Il a écrit et collaboré à de nombreux articles détaillant la surveillance de masse contre la population mondiale par la NSA, le Government Communcations Headquarters (GCHQ) britannique, et les réseaux d’espionnage des autres nations.

Lors de la détention de Miranda le 18 août 2013, les officiers de police l'avaient menacé d'emprisonnement et avaient saisi son ordinateur portable, son appareil photo, son téléphone et d'autres objets personnels. Cette détention avait été menée en application de l'annexe 7 de la Loi sur le terrorisme de 2000, qui permet à la police de détenir toute personne aux frontières du Royaume-Uni et de confisquer leurs biens, même si la police n'a aucune suspicion quant à des activités criminelles.

La rétention de Miranda est la confirmation terrifiante de la construction de l'appareil d'Etat policier par les gouvernements britanniques successifs sous le prétexte de la « guerre contre le terrorisme ».

Le jugement de la cour est une validation judiciaire de ces mesures dictatoriales. En dépit de l'admission que la détention de Miranda « constituait une interférence indirecte avec la liberté de la presse », la Haute cour lui a donné sa bénédiction. Elle a également recommandé que soit refusée la demande de Miranda d'un réexamen de la décision de justice.

Suite à cette décision, Miranda a déclaré qu'il envisage d’interjeter un appel. Cependant, en droit britannique, il doit le demander directement à la Cour d'appel qui peut très bien le refuser.

Dans leur décision de 34 pages, les trois juges en charge de l'affaire, les juges Laws, Ouseley et Openshaw, ont décidé que la rétention de Miranda était « une mesure proportionnée aux circonstances, » et que « sont objectif n'était pas seulement légitime mais tout à fait urgent. »

Rédacteur de la décision, le juge Laws a déclaré, « le plaignant n'était pas un journaliste ; les documents volés à GCHQ qu'il transportait n'étaient pas du ''matériel journalistique'', ou s'ils l'étaient, ce n'est qu'au sens le plus faible du terme.

« Mais il agissait en soutien des activités de journaliste de M. Greenwald. J'accepte que la rétention en application de l'annexe 7 constitue une interférence indirecte avec la liberté de la presse, bien qu'aucune interférence de la sorte n'ait été invoquée par le plaignant au moment des faits. Pour moi, cependant, des preuves indiscutables montrent qu'elle était justifiée. »

Cette décision accepte sans aucune question la version des événements présentée par le gouvernement britannique.

Laws écrit : « M. Oliver Robbins, vice-conseiller national à la sécurité pour les questions du renseignement, de la sécurité et résilience au Bureau du cabinet indique dans son premier témoignage (paragraphe 6) que les données cryptées contenues dans le disque dur externe confisqué au plaignant contiennent approximativement 58 000 documents hautement confidentiels du renseignement britannique. Beaucoup d'entre-eux sont classés SECRET ou TOP SECRET. M. Robbins affirme que la publication ou la compromission de données de ce genre risquerait de provoquer de très grands dommages aux intérêts de la sécurité et possiblement la mort d'hommes [notre italique]. »

En fait, aucune preuve n'a été fournie à la cour par Robbins pour soutenir de telles affirmations. Cette décision ne tente pas non plus d'apporter des preuves, Laws déclare péremptoirement qu'« il peut être inféré qu'en décrivant les effets dommageables réels ou potentiels de la dissémination de ce matériel, M. Robbins a été aussi précis que le permettent des preuves publiques. »

La décision affirme de plus : « Il est nécessaire de citer une partie de son [Robbins] témoignage, tiré de sa seconde déclaration du 24 septembre 2013. » Cette proposition n'a de même révélé aucune preuve soutenant les affirmations du gouvernement.

Robbins a affirmé, « il n'est évidemment pas possible dans une déclaration publique de donner le détail des dommages réels et sérieux déjà causés par les révélations qui s’appuient sur les détournements de M. Snowden, ni sur les dommages supplémentaires qui pourraient suivre [notre italique]. »

Il a ajouté : « Cependant, étant donné le volume des reportages médiatiques publiés au cours des trois derniers mois, et des déclarations publiques des gouvernements britannique et américain, je peux dire avec certitude que les documents saisis sont très probablement des descriptions des techniques qui ont été essentielles dans les opérations anti-terroristes qui ont sauvé des vies, dans la prévention et la détection de crimes graves, et d'autres activités du renseignement essentielles à la sécurité du Royaume Uni. Compromettre ces méthodes causerait des dommages sérieux à la sécurité nationale du Royaume-Uni, et finirait par mettre des vies en danger [notre italique]. »

La contribution citée favorablement par le juge Laws était tellement vide de preuves qu'elle se terminait par une auto-congratulation venant du Bureau national du renseignement américain ! Cet organisme comprend les diverses branches du renseignement militaire, la NSA, la CIA, le FBI et d'autres agences dont les activités néfastes ont été révélées par Snowden.

Cette décision révèle l'étendue de l'étroite surveillance des mouvements et des communications de Greenwald et Miranda par l'État britannique avant la détention de ce dernier. Il note : « Les services de sécurité […] avaient entrepris une opération concernant M. Snowden. Ils ont eu connaissance des mouvements du plaignant [Miranda]. »

L'opération pour détenir Miranda avait été préparée au moins trois jours avant d'être menée. La décision note que le commissaire de police judiciaire Stokley du SO15, le bureau de l'anti-terrorisme de la police londonienne, avait été averti de l'opération par les Services de sécurité le 15 août au matin.

Le 16 août, le Service de sécurité avait envoyé une note à Stokley intitulée « Justification de sécurité nationale pour une action opérationnelle envisagée concernant David MIRANDA. »

Le texte, qui, comme l'a noté le juge, avait été édité, déclare : « Nous affirmons fortement que MIRANDA est porteur d'objets qui aideront GREENWALD à publier encore des documents de la NSA et du GCHQ que nous jugeons être en possession de GREENWALD. Des recherches sur des sources disponibles publiquement détaillent la relation entre [la journaliste Laura] POITRAS, GREENWALD et SNOWDEN qui corroborent notre affirmation que GREENWALD a probablement accès aux documents confidentiels que SNWODEN possède. Notre principal objectif contre David MIRANDA est de comprendre la nature de tous les documents qu'il transporte, de mitiger les risques pour la sécurité nationale que cela créée [...] »

Afin d’arrêter Miranda, pas moins de trois Port Ciculation Sheets (PCS), documents utilisés pour informer les officiers de police de l'anti-terrorisme, avaient été publiés par les Services de sécurité à l'attention de la police londonienne.

La première avait été publiée le 16 août. La dernière PCS publiée le 17 août exigeait que Miranda soit arrêté spécifiquement pour des motifs liés au « terrorisme. » Elle affirmait que « nous savons qu'il transporte des documents dont la publication mettrait en danger la vie des gens. De plus la publication, ou la menace de publication, est conçue pour influencer un gouvernement, et est faite dans le but de promouvoir une cause politique ou idéologique. Cela tombe donc dans la définition du terrorisme et par conséquent nous demandons que le sujet soit examiné dans le cadre de l'annexe 7 [notre italique]. »

Cette action sans précédent représente la première fois que l'annexe 7 de la Loi sur le terrorisme a été appliquée à la possession de documents journalistiques.

La rétention de Miranda était un acte manifeste d'intimidation politique, sanctionné au plus haut niveau par Londres et Washington. Elle visait à empêcher toute publication supplémentaire des opérations de surveillance illégales conduites par leurs agences d'espionnage, tel que l'a révélé Snowden.

Cette persécution ainsi que la décision judiciaire qui a suivi en défaveur de Miranda, ainsi que l'opération toujours en cours pour faire taire le Guardian, font partie d'un effort plus large de l'Etat britannique pour intimider ceux qui sont impliqués dans la dissémination des révélations de Snowden et de tous ceux qui sont opposés à l'Etat policier qui est en pleine construction au Royaume-Uni, aux États-Unis et partout dans le monde. Le Guardian a été menacé à plusieurs reprises de poursuites judiciaires pour avoir soi-disant mis en danger la sécurité nationale. Ce verdict augmente les chances que de telles poursuites soient organisées.

(Article original paru le 20 février 2014)

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