Les syndicats et la «gauche» accueillent le magnat de presse Péladeau au Parti québécois

Le magnat de la presse Pierre-Karl Péladeau utilise depuis longtemps son empire médiatique Québecor – qui regroupe des chaînes télé, des tabloïds et de nombreux magazines – pour réclamer bruyamment un assaut frontal sur les travailleurs. En annonçant sa candidature aux prochaines élections sous les couleurs du Parti québécois, il a déclaré vouloir «faire du Québec un pays».

Le fait que cet idéologue de droite, membre du groupe select des dix personnes les plus riches de la province, s’avère un fervent souverainiste souligne une fois de plus, et à grands traits, que la séparation du Québec est préconisée par une section de la classe dirigeante comme un outil pour subordonner davantage les travailleurs à la politique bourgeoise afin d’intensifier la destruction des emplois et des services publics.

Ce projet est également soutenu par des éléments des classes moyennes – bureaucrates syndicaux, gestionnaires, petits propriétaires – qui espèrent améliorer leur propre position sociale en bénéficiant des postes administratifs et mesures protectionnistes que fournirait un Québec indépendant.

Alors que l’adhésion de Péladeau au «camp souverainiste» en dit long sur la véritable nature de ce projet, les chefs syndicaux et les éléments qui gravitent autour d’eux ont cherché à enterrer sa signification sous un tonnerre d’applaudissements. Si Québec solidaire a émis quelques plaintes, c’est parce que le recrutement de Péladeau vient compliquer ses efforts pour faire passer sa politique de pression sur le PQ, et plus fondamentalement son appui pour la création d'une république capitaliste du Québec, comme une politique «de gauche».

Dans le camp des partisans déclarés de Péladeau, on retrouve deux ex-présidents de la CSN (Confédération des syndicats nationaux), Gérald Larose et Marc Laviolette. Dans un geste qui reflète les sentiments de toute la bureaucratie syndicale, ils ont apposé leurs signatures sur une lettre ouverte de soutien à Péladeau. Parmi leurs cosignataires se trouvent deux anciens premiers ministres péquistes de droite, Jacques Parizeau et Bernard Landry, mais aussi Gilles Duceppe, un maoïste des années 70 qui a été bureaucrate à la CSN avant de devenir député puis chef du Bloc québécois, le parti frère du PQ sur la scène fédérale.

Laviolette dirige aujourd’hui SPQLibre (Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre), un club politique au sein du PQ. Dans une récente déclaration faite au nom de son organisation, il a désapprouvé «la façon dont Pierre-Karl Péladeau a géré ses relations de travail», avant de présenter l’orientation non seulement de SPQLibre, mais aussi de la bureaucratie syndicale et de larges segments de la pseudo-gauche québécoise. «Seule l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement majoritaire du Parti Québécois ouvre la voie vers l’indépendance du Québec», a écrit Laviolette. «Notre lutte est une lutte de libération nationale», a-t-il poursuivi, «et cette lutte implique, par sa nature même, différentes classes sociales et groupes sociaux dans un front uni.»

Certaines sections de la bureaucratie, dont la FTQ et la CSN, ont été forcées de se distancer verbalement du Parti québécois pendant la campagne électorale par crainte d’être associées à Péladeau et de perdre le peu de confiance qui leur reste au sein de la classe ouvrière. Cela dit, les dirigeants des deux plus importants syndicats de la province ont refusé de critiquer le «groupe des douze» [signataires de la lettre ouverte] pour leur enthousiasme envers la candidature de l’homme d’affaires.

La position de la bureaucratie syndicale est en ligne avec le rôle traitre qu’elle joue depuis des décennies. Ayant systématiquement torpillé les luttes ouvrières et subordonné la classe ouvrière au Parti québécois et à la classe dirigeante canadienne, les bureaucrates syndicaux ont obtenu en échange de nombreux avantages comme des sièges à des conseils de gestion tripartite [gouvernement-patronat-syndicats] et le contrôle de riches fonds d’investissement comme le Fonds de solidarité de la FTQ.

C’est ce tournant corporatiste, résultant de leur intégration dans la gestion de l’État capitaliste, qui lie plus que jamais les syndicats à l’élite dirigeante québécoise. Par exemple, en 2009, le Fonds de solidarité a fait savoir qu’il était prêt à s’associer à Québecor et à la Caisse de dépôt et de placement du Québec dans l’achat du club de hockey les Canadiens de Montréal.

Une autre défense vigoureuse de Péladeau est venue du Parti communiste du Québec (PCQ), un restant du Parti communiste du Canada stalinien, et l'un des nombreux groupes de la pseudo-gauche à oeuvrer au sein de Québec Solidaire. «Son arrivée contribue également, de manière incontestable, à redonner

une crédibilité à ce projet de souveraineté», a écrit le chef du PCQ André Parizeau. «En fait, cela cadre plutôt bien avec un autre aspect de notre programme et qui consiste à pousser pour une alliance la plus large possible de toutes les forces souverainistes», a insisté Parizeau.

Ce discours ultra-nationaliste sert à attacher la classe ouvrière aux sections les plus à droite de l’establishment au nom de l’indépendance. Depuis des décennies, la «gauche» québécoise encourage l’idée que les travailleurs de la province ont plus d’intérêts avec les capitalistes québécois qu’avec leurs frères et sœurs de classe du reste du Canada, des États-Unis et d'outre-mer

La «libération nationale» dont parle le PCQ n’a rien à voir avec les luttes anti-impérialistes du vingtième siècle dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. La séparation du Québec est le projet d'une section de la classe dirigeante québécoise qui recherche une meilleure position au sein du système impérialiste, notamment par une alliance plus étroite avec Wall Street. Les souverainistes ont toujours maintenu qu’une «République du Québec» serait capitaliste, ferait partie de l’OTAN et de l’ALENA, et adopterait la monnaie canadienne ou américaine.

De son côté, la députée sortante et porte-parole de Québec solidaire, Françoise David, a feint l’indignation et l’étonnement face à l'adhésion de Péladeau au PQ, affirmant qu’il était maintenant clair que le PQ «n’est pas le parti des travailleurs», comme s’il l’avait jamais été.

En discussion constante depuis des années avec le PQ pour former une alliance électorale, QS a toujours tenté de donner un vernis progressiste à ce parti de la grande entreprise. Depuis que le PQ est au pouvoir, Québec solidaire cherche à cacher sa responsabilité politique pour les mesures réactionnaires d’un gouvernement qu’il a aidé à faire élire.

En réalité, lorsque l’élite dirigeante a déclenché des élections pour mettre un terme à la grève étudiante de 2012, Québec solidaire a qualifié le PQ de «moindre mal» que les libéraux, et a fait savoir vers la fin de la campagne électorale qu’il soutiendrait le PQ pendant au moins un an s’il détenait la balance du pouvoir dans un gouvernement péquiste minoritaire, sans exiger un seul engagement politique.

Lors du référendum de 1995, les dirigeants actuels de Québec solidaire faisaient tous partie de la coalition arc-en-ciel, une alliance en faveur de la souveraineté du Québec qui allait des partis les plus à droite comme l’Action démocratique du Québec (absorbée depuis par l'actuelle Coalition Avenir Québec) jusqu’aux partis de la pseudo-gauche.

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