France: Le gouvernement s’effondre tandis que la colère enfle contre la politique d’austérité

Le président François Hollande a dissous lundi le gouvernement en place depuis cinq mois du premier ministre Manuel Valls, en congédiant d’influents ministres qui avaient publiquement attaqué la politique d’austérité impopulaire du président PS (Parti socialiste).

Au cours du week-end, le ministre de l’Economie, Arnaud Montebourg, et de l’Education nationale, Benoît Hamon, ont critiqué dans des entretiens distincts dans Le Monde et Le Parisien puis conjointement lors d’une réunion du Parti socialiste (PS) dimanche à Frangy-en-Bresse, le programme d’austérité de Hollande comme étant suicidaire et dicté par l’Allemagne.

Les deux ministres parlent au nom de sections grandissantes de la classe dirigeante française qui sont mécontentes de Hollande et qui craignent une explosion sociale au moment où l’économie de l’Europe est au bord d’une spirale déflationniste et exacerbée par les sanctions prises contre la Russie en réaction à la crise ukrainienne.

Avec la stagnation de l’économie française, l’opposition au PS atteint 80 pour cent dans les sondages et le soutien au Front national (FN) ne cesse de croître. Néanmoins, Hollande continue avec rigidité à imposer des coupes sociales impopulaires à hauteur de dizaines de milliards d’euros.

« La réduction à marche forcée des déficits publics est une aberration économique, une absurdité financière et un sinistre politique », a dit Montebourg au Monde en ajoutant qu’elle jetait la population française dans les bras « des partis extrémistes. »

Dans Le Parisien, Hamon critique la politique d’austérité de Hollande et accuse Berlin d’être motivé par ses propres intérêts égoïstes au sein de l’Union européenne (UE). « La relance de la demande est la condition de la réussite de la politique de l'offre qui a été faite depuis deux ans. On ne peut rien vendre aux Français s’ils n’ont pas des revenus suffisants, » a dit Hamon.

« [La chancelière Angela] Merkel ne peut plus être celle qui donne de l’orientation européenne, » a ajouté Hamon. « L’Allemagne sert ses intérêts personnels et pas ceux de l’Europe. »

Montebourg a repris dans le discours qu’il a tenu à Frangy-en-Bresse les critiques émises par Hamon vis-à-vis de l’Allemagne. Il a déclaré aux personnalités présentes que la France était la deuxième économie de la zone euro, la cinquième puissance au monde et qu’elle « n’a pas vocation à s’aligner sur les obsessions excessives de la droite allemande. » Il a poursuivi en disant qu'il était temps, au nom de la survie de l’Union européenne, que la France et son gouvernement opposent une juste et saine résistance.

Venant de l’intérieur du PS, les critiques de Montebourg et de Hamon acceptent le cadre réactionnaire de l’UE, reflétant les espoirs de certaines sections du capitalisme français que Paris puisse obtenir de plus vastes renflouements bancaires, comme ceux du gouvernement Obama aux Etats-Unis. Le mois dernier, Montebourg a constitué une cellule consultative ayant pour mission de « chercher la croissance » et comptant parmi ses membres des économistes comme Joseph Stiglitz, Philippe Martin de la Réserve fédérale américaine et Jean-Paul Fitoussi, professeur à Sciences-Po.

Lundi, Hollande et Valls ont fait savoir que de tels commentaires étaient inacceptables, et les services du premier ministre ont déclaré que Montebourg avait franchi « une ligne jaune. » Après la dissolution du gouvernement, Valls a invité les ministres, un par un, à des discussions. Montebourg, Hamon et la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, ont tous démissionné ; l’annonce du nouveau gouvernement est attendue aujourd’hui lundi.

Après son départ du gouvernement, Montebourg a tenu une longue conférence de presse. Expliquant qu’il n’avait cessé de « tenter de convaincre et adjurer le président » de changer de cap, Montebourg a dit, « nous avons une responsabilité éminente et collective d’interrompre ce coulage de l’économie. » En qualifiant les politiques d’austérité d’« injustes car elles frappent les classes moyennes et populaires qui n’ont pas la responsabilité de la crise », il a prévenu qu’elles étaient un danger à la démocratie : « poursuivre, s’entêter dans cette voie contribuerait à mettre en danger la République, » a-t-il ajouté.

Ce qui est en train d'émerger, en France et partout en Europe, est une crise du régime capitaliste. L’UE et les principaux partis bourgeois de « gauche » qui ont contribué à la construire, comme le PS en France, sont totalement discrédités.

La posture adoptée par Montebourg de sauveur de « gauche » de la démocratie face au néofascisme et d'alternative à Hollande est une escroquerie politique. Tout comme l’ensemble du gouvernement PS, il s’est rangé derrière Washington et Berlin au moment où ces derniers comptaient sur les milices fascistes ukrainiennes pour organiser un coup d’Etat à Kiev et pour ensuite écraser toute opposition au régime fantoche pro-occidental en Ukraine. Quant à ses propositions économiques, l’idée maîtresse en est d’assouplir le crédit et d'imposer des plans de relance et des renflouements bancaires plus importants.

Si une telle politique a renfloué les banques américaines et soutenu le niveau de vie de la classe moyenne aisée, elle a par contre entraîné la réduction drastique des salaires et des coupe claires dans les dépenses sociales afin de récupérer l’argent octroyé aux banques. De tels programmes réactionnaires, soutenus par le Parti démocrate d’Obama, par les alliés de Montebourg au sein du PS, et les groupes de pseudo-gauche comme SYRIZA en Grèce et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) en France, ne sont qu’une manière différente de reporter le fardeau de la crise capitaliste sur le dos des travailleurs.

Montebourg parle non pas en tant qu'alternative au capitalisme européen pourrissant, mais comme le représentant des sections du capitalisme français déçues que Hollande, après son élection en 2012, n’ait pas davantage oeuvré pour orienter la politique européenne vers une relance monétaire et des renflouements bancaires plus substantiels, loin des restrictions budgétaires contrôlées par Berlin.

Un responsable PS mécontent, resté dans l'anonymat, avait dit il y a deux semaines à la presse : « Si la France veut obtenir un changement de la politique européenne, elle ne l’obtiendra pas en quémandant auprès de l’Allemagne, mais en construisant une alliance avec d’autres pays européens. L’ennui est qu’elle a raté le coche en 2012. Toute l’Europe du Sud attendait alors la France et était prête à la suivre. François Hollande a préféré signer le pacte de stabilité budgétaire sans discuter et promettre de ramener le déficit à 3 pour cent. La France a perdu tout son crédit. Depuis, l’Italie a choisi d’aller son chemin. L’Espagne s’est rangée derrière l’Allemagne. Plus personne n’attend la France. »

Mais sous la surface, les tensions inter-impérialistes se sont aggravées et d’importantes sections de la classe dirigeante et de l’establishment politique français voient la consolidation de l’Allemagne comme une menace. La politique de l’UE de resserrement du crédit et d’austérité a profité à l’économie la plus compétitive d'Europe, l’Allemagne, qui a en grande partie maintenu les niveaux de production et d’emploi tandis que l'économie s’effondrait et que le chômage montait en flèche en France et partout en Europe méridionale.

Au cours de l’année passée, Berlin a aussi décidé la remilitarisation de sa politique étrangère et, aux côtés des Etats-Unis, a agressivement affronté la Russie au sujet de l’Ukraine dans un conflit qui risque de couper les liens étroits que l’Europe entretient avec la Russie et de provoquer rien moins qu'une guerre entre des Etats disposant de l’arme nucléaire.

Dans ces conditions, une coalition disparate de forces a fait son apparition dans les milieux de la politique bourgeoise française pour réclamer une politique indépendante plus agressive. Il est à noter que le Front national (FN) néofasciste a joué un rôle de premier plan. La dirigeante du FN, Marine Le Pen s’était rendu à Moscou pour prononcer un discours critiquant l’hostilité manifestée par l’UE envers la Russie durant la crise ukrainienne et le FN a adopté un programme économique demandant que la France sorte de l’euro et de l’UE pour retrouver sa propre monnaie nationale.

Davantage de voix nationalistes se sont élevées au sein du PS et de sa périphérie politique, formulant des critiques tièdes contre le soutien apporté par Hollande à l’austérité dans l’UE et à la confrontation de l’OTAN avec la Russie. Montebourg s’est présenté de manière cynique comme le défenseur des marchandises « made in France » et de l’industrie française tout en fermant des usines, tandis que le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon tentait de se distancer du PS en faisant quelques remarques critiques au sujet du coup d’Etat mené par les fascistes en Ukraine.

Il est à noter qu’en dépit de la crise en Ukraine, Hollande s’est battu pour maintenir la vente de navires de guerre porte-hélicoptère Mistral à la Russie, une vente qui avait été négociée en 2010. A l’époque, cette vente avait été décrite dans la presse comme un avertissement lancé aux Etats-Unis que la France ne voulait pas de guerre avec la Russie et aussi à l’Allemagne que la France n’entendait pas la laisser dominer économiquement la Russie.

Avec la montée des risques de guerre et d'effondrement économique partout en Europe, les âpres conflits inter-impérialistes au sein de la zone euro sont une fois de plus arrivés sur le devant de la scène, et ont eu raison du gouvernement de courte durée du premier ministre Manuel Valls.

(Article original paru le 26 août 2014)

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