Le « discours sur les Huns » de Merkel contre la Russie

Le 27 juillet 1900, l’empereur d’Allemagne Guillaume II prononçait à Bremerhaven son tristement célèbre « discours sur les Huns ». En prenant congé du Corps expéditionnaire allemand d’Asie orientale en partance pour la Chine pour y réprimer dans le sang la révolte des Boxers, il a dit que l’armée allemande avait été « constituée au cours de trente ans de travail loyal et pacifique. »

Il a accusé la Chine d’avoir « renversé le droit international » et d’avoir « tourné en dérision, d’une façon inédite dans l’histoire, le caractère sacré de l’émissaire et les devoirs d’hospitalité. »

Finalement, il a proféré cette funeste menace que le nom des Allemands en Chine devait acquérir, comme jadis celui des Huns en Europe, « la même réputation, afin que pour mille ans plus jamais un Chinois n’osât même regarder un Allemand de travers ! »

L’attaque de front menée contre la Russie par la chancelière allemande Angela Merkel après le sommet du G20 en Australie rappelle ce type de politique de grande puissance. Tout comme Guillaume II, Merkel tente de présenter sa propre attitude agressive comme le moyen de défendre la paix et le droit international et stigmatise son adversaire, en l’occurrence la Russie, comme l’agresseur.

Lors d’une réunion au Lowy Institute for International Policy (Institut Lowy pour la politique étrangère) à Sydney, un groupe de réflexion portant le nom du multimilliardaire Frank Lowy, la quatrième fortune d’Australie, Merkel a accusé le président russe Vladimir Poutine de « bafouer le droit international, » de refuser « une résolution du conflit par des moyen démocratiques et constitutionnels, » de compter sur « un supposé droit du plus fort, » et de « remettre en question, après les horreurs de deux guerres mondiales et la fin de la guerre froide… l’ordre tout entier de la paix européenne. »

C’est « précisément ce qui s’est passé au début de l’année avec l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, » a déclaré la chancelière. Maintenant, c’est ce qui « se poursuit avec les efforts de la Russie pour déstabiliser l’Ukraine orientale à Donetsk et à Lougansk. » La Russie a porté atteinte à « l’intégrité territoriale et à la souveraineté étatique de l’Ukraine. » Un Etat voisin, l’Ukraine, est considéré comme une « zone d’influence », a-t-elle ajouté.

Dans ses remarques, la chancelière s’est dite opposée à une « résolution militaire de la crise. » Cependant, ses accusations envers la Russie sont non seulement dépourvues de tout fondement, la logique même de son reproche d’une soi-disant violation de la loi internationale et de la paix par la Russie mène à la confrontation militaire. Ses remarques bellicistes étaient conçues pour empoisonner encore davantage le climat politique afin de créer les conditions d’un encerclement militaire de la Russie et de la pousser dans ses derniers retranchements.

Le sommet du G20 a été dominé par une intensification du conflit avec la Russie. Les chefs de gouvernement des puissances impérialistes ont resserré les rangs face à Poutine, provoquant son départ anticipé. Dans son allocution, Merkel s’est manifestement rangée derrière le gouvernement antirusse en Ukraine en promettant de vouloir le soutenir « politiquement et économiquement. »

Le jour même, fort de cet appui, le président ukrainien Petro Porochenko a menacé la Russie d’une « guerre totale ». S’exprimant en marge d’une commémoration se déroulant à Bratislava, il a dit, « Je n’ai pas peur d’une guerre avec les troupes russes et nous nous sommes préparés à un tel scénario de la guerre totale. Notre armée est actuellement dans un bien meilleur état qu’il y a cinq mois et nous jouissons de soutien dans le monde entier. »

Le gouvernement allemand joue un rôle central dans cette campagne agressive contre Moscou. En février, il avait organisé, en étroite collaboration avec le gouvernement américain et des forces fascistes, un coup d’Etat contre le président ukrainien de l’époque, Viktor Ianoukovitch, après que ce dernier ait refusé de signer un accord d’association avec l’Union européenne. Depuis lors, il a travaillé en étroite collaboration avec le régime de Porochenko et joué un rôle de premier plan dans l’encerclement militaire de la Russie.

La semaine passée, le journal Die Welt a rapporté que l’armée allemande (Bundeswehr) constituerait le fer de lance d’une force de réaction rapide que l’OTAN est en train de mettre en place pour répondre au conflit en Ukraine, dans le but d’envoyer un « signal clair à Moscou. » En septembre, l’Allemagne avait pris la tête des patrouilles aériennes menées au-dessus des Etats baltes en doublant son contingent au sein du Corps multinational Nord-Est à Stettin en Pologne. La semaine dernière, le général allemand de l’OTAN Hans-Lothar Domröse avait lancé la menace d’importantes manœuvres près des frontières russes.

C’est l’OTAN qui étend ses frontières vers l’Est depuis des années et qui prépare actuellement, de plus en plus ouvertement, une guerre contre la Russie. Mais à Sydney, Merkel a mis le monde à l’envers et accusé la Russie d’étendre systématiquement sa sphère d’influence. « Il ne s’agit pas seulement de l’Ukraine, il s’agit aussi de la Moldavie, de la Géorgie, » a-t-elle dit. « Et si ça continue, est-ce qu’il faudra aussi se poser la question de la Serbie ? Ce n’est en aucun cas compatible avec nos valeurs. »

« L’histoire nous a appris qu’on ne doit pas être trop pacifique, qu’il faut prendre les mots au sérieux et avoir une oreille attentive, » a-t-elle poursuivi.

Quand un chef de gouvernement allemand dit que l’histoire enseignait que l’Allemagne ne devait pas être « trop pacifique » envers la Russie, cela fait froid dans le dos. Il y a soixante-quinze ans, l’Allemagne a mené une guerre d’anéantissement contre l’Union soviétique, commettant les crimes les plus odieux de l’histoire de l’humanité, dont l’holocauste, le meurtre de 27 millions de citoyens soviétiques et la dévastation d’une bonne partie de l’Europe de l’Est.

Merkel a dit que le conflit au sujet de l’Ukraine « ne [pouvait] pas être réglé par la voie militaire », ajoutant pourtant de manière menaçante, « Il ne faut pas pour autant dire : puisque nous ne pouvons pas résoudre la crise par la voie militaire, nous ne pouvons pas la résoudre du tout. »

L’élite dirigeante allemande est parfaitement consciente des crimes historiques qu’elle a commis. A Sydney, Merkel a rappelé « le début de la Seconde Guerre mondiale il y a 75 ans et l’effondrement de la civilisation incarné par la Shoah, et tout particulièrement, le début de la Première Guerre mondiale il y a cent ans. »

Mais son évocation de la « diplomatie » et de solutions « non militaires » censées être fondées sur les expériences vécues lors des guerres du siècle dernier, est pure propagande. Elle vise à dissimuler le retour au militarisme allemand et à la politique de grande puissance, en faisant passer, tout comme sous l’empereur Guillaume, sa politique belliciste agressive pour une « politique de paix. »

En faisant référence à la « catastrophe originelle du 20ème siècle, » Merkel a posé la question, « Mesdames et Messieurs, comment, il y a cent ans, les choses ont-elles pu en arriver là entre les peuples et les nations. »

Merkel devrait savoir la réponse. De nos jours comme jadis, la politique impérialiste implacable et agressive appliquée par les grandes puissances risque de précipiter l’humanité dans un abîme. Le coup d’Etat orchestré en Ukraine par l’Occident, l’encerclement militaire de la Russie et de la Chine et la nouvelle guerre au Moyen-Orient ont transformé le monde en une poudrière qui pourrait exploser à n’importe quel moment. Tout comme dans la première moitié du siècle dernier, l’Allemagne y joue un rôle tout particulièrement agressif.

(Article original paru le 19 novembre 2014)

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