L’armée mexicaine menace d’intervenir contre le mouvement de protestation à propos de la disparition des normalistas

L’Etat mexicain est en proie à une crise politique qui s’accentue sur fond de protestations de masse contre la disparition et le probable massacre de 43 étudiants normaliens. L’armée menace d’intervenir alors que la colère populaire monte contre le gouvernement et l’ensemble de l’appareil politique.

Jeudi, des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes ont convergé vers la Place Zócalo au centre de Mexico. Un grand nombre de parents des normalistas, étudiants de l’école normale rurale d’Ayotzinapa, ont participé à ce rassemblement, deux mois seulement après la disparition de leurs enfants. Les participants ont dénoncé le gouvernement du président Enrique Peña Nieto qui est complice de la disparition des étudiants et largement détesté pour sa politique droitière et pro-patronale. 

L’armée a réagi en avertissant de façon sinistre qu’il y avait danger d’« instabilité » sociale. Jeudi, lors d’une cérémonie de remise de médaille, le général Salvador Cienfuegos, le ministre de la Défense de Peña Nieto, a fait allusion aux manifestations, citant l’« insécurité » comme l’un des « plus grands défis auxquels nous sommes confrontés. »

L’armée, a déclaré Cienfuegos, « agit avec force et détermination lorsque c’est nécessaire. » Il a ajouté, « C’est en temps de désunion que le pays a subi ses plus grandes fractures. » Tel est le langage type d’une clique militaire prête à intervenir par la force dans la vie politique, et la classe dirigeante mexicaine connaît une longue tradition pour ce qui est d’ordonner des attaques militaires contre des manifestations.

Lors de cette même cérémonie, Peña Nieto a annoncé, « La loyauté et le noble service que l’armée rend à la nation ne peut en aucun cas être mis en doute. »

Les manifestations de jeudi se sont déroulées dans 30 villes aux quatre coins du pays. Ce furent les plus vastes depuis que les normalistas ont disparu après avoir revendiqué une amélioration des conditions de l’éducation publique dans les communautés rurales. José Luis Abarca, le maire d’Iguala, ville située dans l’Etat du Guerrero, avait réagi aux premières protestations en ordonnant à la police locale d’attaquer brutalement les étudiants normaliens, causant la mort de six étudiants; quarante-trois étudiants furent kidnappés.

Les quarante trois jeunes furent par la suite remis aux Gerreros Unidos, un cartel de trafiquants de drogue lié à l’Etat. Des articles de presse ont paru selon lesquels les normalistas auraient été torturés puis brûlés vifs par des membres du cartel.

Les manifestants ont demandé la démission de Peña Nieto dont l’effigie fut brûlée sous le regard de milliers de spectateurs. Les principaux intervenants furent les parents des normalistas disparus qui avaient parcouru plus de 120 kilomètres en provenance de l’Etat de Guerrero dans le but de lancer un appel national.

« Aujourd’hui, ce 20 novembre, nous célébrons le 104ème anniversaire du début de la Révolution mexicaine, » a dit Felipe de la Cruz, le père d’un des disparus. « Si nous sommes bloqués ici, c’est parce que la classe dirigeante a mutilé en sa faveur notre Constitution dans le but de justifier ses actes. »

Le gouvernement avait auparavant annoncé l’annulation de sa propre parade de commémoration de la Révolution mexicaine au motif de protestations inattendues – un geste qui en soi est une indication significative de la crise politique grandissante.

Non seulement Peña Nieto et son Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), mais aussi tous les principaux partis politiques sont d’une manière ou d’une autre impliqués dans le massacre. Le maire d’Iguala (Abarca) tout comme le gouverneur du Guerrero est un membre du parti d’opposition, Parti de la révolution démocratique (PRD), qui entretient des liens étroits avec les bandes de trafiquants de drogue. Le parti d’Andrés Manuel López Obrador (connu sous le sigle Morena, Mouvement de régénération nationale) a soutenu Abarca et a d’autres liens avec des responsables impliqués dans le massacre.

Tous les principaux partis ont également soutenu le « Pacte du Mexique » qui vise à introduire des « réformes » libérales et une restructuration de l’économie au profit de la classe dirigeante et du capital étranger.

Au moment où la classe dirigeante mexicaine se prépare à réprimer l’opposition sociale sur le plan intérieur, elle peut compter pleinement sur le soutien de son homologue aux Etats-Unis.

En février 2014, lors d’une conférence de presse à Toluca, au Mexique, avec le président Peña Nieto, le président américain Barack Obama avait loué « notre engagement commun en faveur des valeurs démocratiques et des droits humains », louant les « énormes sacrifices » faits par les forces de sécurité mexicaines dans la lutte contre les cartels de drogue.

Alors que les Etats-Unis ont en grande partie gardé le silence sur les normalistas, la porte-parole du Département d’Etat américain, Jen Psaki, a parlé du massacre d’Ayotzinapa au début du mois en exhortant « toutes les parties à rester calmes tout au long du processus, » comme si les manifestants pacifiques et ceux responsables du meurtre des étudiants étaient la même chose. En remarquant que le gouvernement américain était « préoccupé par les tensions qui existent sur le terrain, » Psaki a ajouté que les Etats-Unis étaient « aussi étroitement engagés là-bas, avec les responsables. » Ce qui, sans aucun doute, comprend de hauts responsables de l’armée mexicaine.

Entre-temps, sous le couvert de la « guerre contre la drogue », l’armée et les services secrets américains continuent de renforcer des liens, d’ores et déjà très étroits, avec leurs homologues mexicains. Un article paru vendredi dernier dans le Wall Street Journal précisait que des responsables du Département de la Justice endossaient l’uniforme des Marines mexicains et participaient à des attaques armées sur le territoire mexicain. Les Etats-Unis ont fourni quelque 2 milliards de dollars d’armes à l’Etat mexicain sous prétexte de combattre la criminalité.

Les représentants du capital financier international ont également réagi avec inquiétude face aux manifestations. Alfredo Coutiño, le directeur de l’agence de notation Moody’s pour l’Amérique latine, a dit vendredi que « les événements politiques et sociaux du mois dernier commencent à soulever des questions quant aux perspectives économiques prometteuses qui sont générées par le travail du nouveau gouvernement. Les marchés, et avant tout les marchés internationaux, commencent à être déçus… » 

Les « perspectives économiques prometteuses, » mentionnées par Moody’s concernent avant tout la privatisation historique de l’industrie pétrolière du Mexique, une décision que le capital financier international – et particulièrement la classe dirigeante américaine – considère être une occasion unique de réaliser des bénéfices.

(Article original paru le 22 novembre 2014)

Voir aussi :

Les étudiants disparus du Mexique

[23 octobre 2014]

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