Le Canada profondément impliqué dans la politique du «pivot» des États-Unis contre la Chine

À l’insu de la population canadienne, le gouvernement conservateur de Stephen Harper intègre de plus en plus le Canada dans la politique du «pivot vers l'Asie» de Washington – l'offensive politique diplomatique, économique et militaire des États-Unis visant à encercler et isoler stratégiquement la Chine.

Lancée par l'administration Obama dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008-2009 et le marasme économique qui a suivi, la politique du «pivot» des États-Unis – ou pour reprendre le langage plus récent de Washington, le «rééquilibrage» – vise à contenir et, le cas échéant, à contrecarrer militairement la montée de la Chine, qui est devenue l'un des centres de la fabrication capitaliste mondiale à la fin du siècle dernier et est maintenant la deuxième plus grande économie du monde.

En rejoignant les États-Unis dans leur offensive contre la Chine, y compris leurs plans de guerre contre la Chine, un pays doté de l'arme nucléaire, l'élite dirigeante du Canada cherche à promouvoir ses propres intérêts impérialistes dans la région Asie-Pacifique.

Selon des documents largement ignorés par les médias et publiés par les groupes de réflexion liés à la grande entreprise canadienne et à l'establishment militaire et de sécurité nationale du Canada, si le Canada veut sa part du gâteau dans la région Asie-Pacifique, il doit adopter le virage agressif des États-Unis en Asie de l'Est et dans la région de l'océan Indien.

Non seulement les États-Unis sont depuis longtemps le partenaire économique et stratégique le plus proche du Canada, mais depuis la Deuxième Guerre mondiale, ils sont la puissance dominante dans la région Asie-Pacifique, et en tant que telle, ils ont facilité les efforts de l'impérialisme canadien pour accéder aux ressources, aux marchés, aux bassins de main-d'œuvre à bon marché, et pour acquérir de l'influence politique dans la région la plus peuplée du monde qui connait aussi la croissance économique la plus rapide de la planète.

En novembre 2013, le gouvernement Harper a signé le «Cadre de collaboration Canada-États-Unis sur la politique de défense dans l’Asie-Pacifique», un accord secret avec les États-Unis pour renforcer la coopération militaire canado-américaine. Bien qu'aucun détail de l'accord n'ait été rendu public, le gouvernement canadien a salué le Cadre comme «un exemple de la façon dont nos deux pays travaillent en étroite collaboration pour utiliser nos ressources de défense limitées d'une manière qui rend nos efforts conjoints plus complémentaires, plus judicieux et évite les doubles emplois».

Le cadre est l'un des plus de 200 accords militaires, y compris l'OTAN, le NORAD (Commandement de la défense aérospatiale nord-américaine) et la Commission permanente mixte de défense qui lient l'Armée canadienne au Pentagone. En effet, aucune autre force armée dans le monde n’est plus intégrée à celle des États-Unis que celle du Canada. Depuis des décennies, les achats militaires du Canada, y compris ceux de la Marine et de la Force aérienne, visent à assurer l'interopérabilité entre les forces canadiennes et américaines.

Comme leurs homologues américains, les stratèges de la bourgeoisie canadienne ont conclu que sous le prédécesseur d'Obama, George W. Bush, l'accent mis sur la conduite de guerres d'agression en Irak et en Afghanistan a fait que tant Washington qu'Ottawa ont accordé une attention insuffisante à la région Asie-Pacifique, permettant du coup à la Chine d'étendre son influence en grande partie sans opposition.

Le Canada, est-il affirmé dans un livre récemment endossé par le dirigeant du Conseil canadien des chefs d'entreprise et ancien ministre libéral des Finances, John Manley, «doit avoir un meilleur engagement économique et en matière de sécurité aux quatre coins du monde, et en particulier dans la région Asie-Pacifique, qui sont rapidement en train de devenir les moteurs de la croissance économique et de la prospérité mondiales, de même que des sources d'insécurité» (Derek Burney et Fen Osler Hampson, Brave New Canada).

Un élément important du pivot américain vers l'Asie est le Partenariat transpacifique (PTP), cette poussée pour créer un bloc de «libre-échange et d'investissement» réunissant les trois partenaires de l'ALENA que sont le Canada, les États-Unis et le Mexique, avec l'Australie, le Brunei, le Chili, le Japon, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam.

Initialement proposé par plusieurs petits pays en 2005, le PTP a été effectivement pris en charge par les États-Unis comme moyen de forger un bloc économique qu'ils domineraient en Asie-Pacifique. Les États-Unis ont l'intention d'exclure la Chine du PTP non seulement parce qu'ils veulent obtenir un accès privilégié aux ressources, aux marchés et à la main d'œuvre des différents pays de façon à saper le rôle de celle-ci comme centre de production, mais aussi parce qu'ils souhaitent utiliser le PTP pour faire pression sur elle afin qu'elle ouvre ses marchés et comme moyen d'établir un ordre économique mondial américain dans lequel les règles rédigées par les États-Unis seront appliquées, qu'il s'agisse des brevets, des investissements, du rôle des sociétés d'État, et autres.

Sur l'insistance des États-Unis, le Canada a été inclus dans les négociations du PTP en 2012. L'élite du Canada voit dans ces négociations une occasion en or d'élargir le rayonnement de la grande entreprise canadienne. Le Canada est en effet un chef de file mondial dans l'exploitation minière et les services bancaires et financiers et a de grandes ambitions pour l'exportation du pétrole et du gaz naturel en Asie.

En plus du PTP, le Canada a négocié un accord de libre-échange avec la Corée du Sud, est l'un des participants au Forum régional de l'ASEAN, et cherche à devenir un membre à part entière du Sommet de l'Asie de l'Est.

L'alignement du Canada derrière la politique du «pivot» des États-Unis est une réponse aux problèmes croissants auxquels le capitalisme canadien est confronté dans un contexte de crise économique mondiale et l'effondrement de l'ordre capitaliste d'après-guerre qui était fondé sur la domination économique incontestée des États-Unis et de son dollar.

Bien que le commerce avec les États-Unis représente encore 70 pour cent du total des échanges du Canada, la grande entreprise canadienne perd des parts de marché aux États-Unis et la Chine a dépassé le Canada comme principal exportateur vers ce pays. L'élite canadienne est soucieuse de consolider sa position en augmentant ses échanges et ses investissements en Asie.

Parallèlement, la bourgeoisie canadienne réagit au déclin économique et stratégique relatif de l'impérialisme américain en renforçant son partenariat militaro-stratégique avec les États-Unis, ce partenariat restant, à son avis et de loin, le meilleur moyen d'affirmer et de défendre ses propres intérêts prédateurs sur la scène mondiale.

À une exception près, le Canada a joué un rôle majeur dans toutes les actions militaires d'envergure lancées par Washington depuis la fin de la guerre froide, notamment lors de la guerre du Golfe en 1991, de l'incursion de 1993 en Somalie, de la guerre de l'OTAN en Yougoslavie en 1999, de l'invasion et de l'occupation de l'Afghanistan, de l'intervention de 2004 en Haïti et de la guerre de 2011 pour un «changement de régime» en Libye.

Le Canada s'est également joint aux États-Unis en soutenant l'expansion de l'OTAN en Europe de l'Est, y compris l'intégration des États baltes de l'ex-URSS, et a joué un rôle particulièrement provocateur dans la campagne américano-allemande menée pour harnacher l'Ukraine à l'impérialisme occidental, au risque même de provoquer une guerre avec la Russie.

Le gouvernement Harper vient de déployer des avions de combat pour participer à la nouvelle guerre américaine au Moyen-Orient. Bien qu'actuellement dirigée contre l'État islamique, cette guerre a pour objectif principal le renversement du gouvernement de la Syrie, un proche allié de l'Iran et de la Russie, le tout afin de renforcer la domination des États-Unis sur la région exportatrice de pétrole la plus importante du monde.

Le Canada, depuis le projet initial de la Confédération d'unir les colonies britanniques en Amérique du Nord, s'est toujours considéré comme un «pays du Pacifique». Des troupes canadiennes ont servi en Inde, en Birmanie et à Hong Kong au cours de la Seconde Guerre mondiale, en plus de participer à de nombreuses missions militaires en Asie depuis, les plus importantes étant les conflits coréens et afghans. L'intervention canadienne qui a duré dix ans en Afghanistan (de 2001 à 2011) s'inscrivait dans une poussée des États-Unis pour établir une tête de pont stratégique en Asie centrale – une région avec d'énormes réserves de gaz et de pétrole – dans un pays bordant la Chine et l'Iran et à courte distance de la Russie.

Les Forces armées canadiennes (FAC) cherchent actuellement à établir des «bases avancées» à Singapour et en Corée du Sud, qui deviendraient opérationnelles en cas de conflit ou d'une aggravation des tensions internationales. Déjà les FAC participent régulièrement aux exercices militaires des États-Unis dans la région Asie-Pacifique, notamment aux manœuvres navales biennales RIMPAC (Rim of the Pacific). En vertu de son programme d'instruction et de coopération militaires (PICM), les FAC gèrent un certain nombre de programmes d'entrainement dans toute la région, y compris en Mongolie (un pays pauvre et isolé, mais où les sociétés minières canadiennes sont actives), en Thaïlande et aux Philippines.

Le Canada est également un acteur majeur dans l'exercice Ulchi Freedom Guardian, qui teste le contrôle opérationnel des forces multinationales sous commandement américain dans la péninsule coréenne. Après les États-Unis, le Canada est ces dernières années le plus grand contributeur de troupes étrangères aux exercices menés sur la péninsule coréenne.

Bien que le Canada ait considérablement augmenté ses dépenses militaires depuis 2000, cela n'empêche pas l'administration Obama, ainsi que des sections de l'élite dirigeante canadienne et des médias, d'exprimer leurs préoccupations à propos du fait que le Canada n'investit pas suffisamment en dépenses militaires, et devrait faire plus, en particulier en Asie. Elles ont réagi farouchement en septembre quand Harper a dit que le Canada ne serait pas conforme à la demande de l'OTAN que tous les États membres dépensent l'équivalent d'au moins 2 pour cent de leur PIB pour leurs forces armées.

Ce n'est certes pas par manque de désir que le gouvernement conservateur s'oppose à la politique de l'OTAN, mais plutôt du fait de la reconnaissance que la décision d'augmenter considérablement les dépenses militaires dans le contexte d'austérité sociale actuel pourrait déclencher une large opposition populaire, voire même des troubles sociaux.

Le Canada a néanmoins des plans ambitieux pour développer ses forces armées. S'adressant à la conférence Shangri-La Dialogue en 2013 (la plus importante conférence militaire et de sécurité d'Asie), le ministre de la Défense d'alors, Peter MacKay, avait fait valoir que le Canada avait «investi massivement dans la Marine, modernisant en fait l'ensemble de sa flotte de navires de guerre et de ravitaillement».

Bien que cela n'ait pas été confirmé publiquement, les Forces armées canadiennes envisageraient de suivre l'exemple des États-Unis et de modifier l'équilibre entre ses flottes de l'Atlantique et du Pacifique, de sorte que 60 pour cent de sa force navale serait déployée dans le Pacifique. Si ce changement est introduit, la marine canadienne serait encore plus étroitement intégrée dans les plans de guerre américains.

Dans un discours prononcé en août dernier à Singapour à l'Institut international d'études stratégiques, le ministre canadien des Affaires étrangères John Baird a précisé le lien étroit entre les plans de l'élite canadienne pour étendre sa puissance économique dans la région Asie-Pacifique et son soutien à une politique agressive en matière de sécurité militaire étroitement coordonnée avec celle des États-Unis. En outre, cette politique, comme le soulignent les remarques de Baird, vise à assurer la domination américaine non seulement sur l'Asie, mais aussi sur l'ensemble de l'Eurasie.

«On ne peut pas, a déclaré Baird, avoir la libre circulation des ressources essentielles comme le gaz naturel liquéfié quand une zone maritime clé comme la mer de Chine méridionale bouillonne de tensions. On ne peut pas espérer un approvisionnement durable de certaines ressources du Moyen-Orient si un régime de mollahs en Iran menace de lancer une course aux armements nucléaires. On ne peut pas avoir de commerce ouvert quand il est nécessaire de prendre des mesures de sanctions contre la Russie suite à ses provocations en Ukraine.»

Le «pivot vers l'Asie» des États-Unis soutenu par le Canada a déjà énormément exacerbé les tensions dans la région. Washington ne cesse d'encourager le Japon, le Vietnam, les Philippines et d'autres pays à poursuivre agressivement leurs revendications territoriales maritimes contre la Chine, tout en mettant de l'avant sans relâche son intention de réduire économiquement et militairement la Chine et de l'obliger à se soumettre à la domination américaine.

Les travailleurs au Canada doivent unir leurs forces avec leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis, en Chine et d'ailleurs dans le monde, pour s'opposer à la résurgence de l'impérialisme et du militarisme en Amérique du Nord. Le seul programme viable pour la paix est la mobilisation de la classe ouvrière internationale pour désarmer la bourgeoisie et mettre en place des gouvernements ouvriers engagés dans la réorganisation socialiste de la société.

(Article paru d’abord en anglais le 14 novembre 2014)

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