Perspectives

Il y a un an débutait la crise ukrainienne

Ce samedi 29 novembre, marque le premier anniversaire du Sommet du partenariat oriental à Vilnius où le président ukrainien Viktor Ianoukovitch avait refusé de signer un accord d’Association avec l’Union européenne. Un an plus tard, l’Ukraine est plongée dans une guerre civile qui a déjà coûté la vie à plus de 4.000 personnes. L’OTAN se trouve au bord d’un conflit armé avec la Russie, qui menace l’humanité d’anéantissement nucléaire.

Comment en est-on arrivé là ? La propagande occidentale répond par un seul nom de sept lettres : POUTINE.

Selon les accusations proférées par la chancelière allemande Angela Merkel, le président russe raisonne en termes de « sphères d’influence », viole le droit international, met en danger « le cadre de la paix en Europe, » et cherche non seulement à annexer l’Ukraine, mais aussi la Géorgie, la Moldavie et les Etats baltes.

Un flot de propagande déversé par les médias 24 heures sur 24 cherche à convaincre l’opinion publique que seul le méchant du Kremlin empêche que l’Ukraine ne se développe en une prospère oasis de démocratie et l’Europe en un paradis de paix.

Le WSWS n’a absolument aucune sympathie pour le président russe. C’est un nationaliste de droite qui représente les intérêts des oligarques russes et qui est diamétralement opposé aux objectifs socialistes et internationalistes que nous défendons. Mais rendre la Russie responsable de l’escalade de la crise durant ces douze derniers mois, c’est montrer le monde à l’envers.

Parmi les rares voix occidentales qui contredisent la propagande officielle il y a celle du professeur de sciences politiques à l’université de Chicago, John J. Mearsheimer. Dans le numéro de septembre/octobre de la revue Foreign Affairs, il a déclaré que Poutine n’était pas l’agresseur. « Les Etats-Unis et leurs alliés européens partagent l’essentiel de la responsabilité de cette crise. L’origine du conflit est l’élargissement de l’OTAN, l’élément central d’une stratégie plus large de sortir l’Ukraine de l’orbite de la Russie et de l’intégrer à l’Ouest. »

Mearsheimer poursuit en disant: « La réaction de Poutine n’aurait pas dû surprendre… Sa réponse aux événements (en Ukraine) a été défensive et non offensive. » Il souligne que les Etats-Unis eux, ne « toléreraient pas que des grandes puissances éloignées déploient des forces militaires où que ce soit dans l’hémisphère Nord, et encore moins à proximité de leurs frontières. Imaginez l’indignation à Washington si la Chine construisait une puissante alliance militaire et essayait d’y inclure le Canada et le Mexique. »

Mearsheimer, un partisan de l’école théorique des relations internationales connue sous le nom de néo-réalisme, examine les conflits entre les Etats, mais ne traite pas des questions économiques et sociales qui jouent aussi un rôle dans la crise ukrainienne. Son affirmation selon laquelle les Etats-Unis ont encerclé la Russie dans le but de sauvegarder leur position de puissance mondiale, alors que l’Allemagne aspire à en devenir une est néanmoins correcte.

La pénétration de l’OTAN et de l’UE en Europe de l’Est a encore une autre dimension. Elle vise à transformer l’Ukraine et finalement la Russie elle-même en une sorte de semi-colonie – un réservoir de main-d’œuvre bon marché et de matières premières pour les entreprises occidentales, un marché pour leurs produits et une source de profit pour les fonds d’investissement et les banques occidentales. A cet effet, ils ont besoin d’un régime qui soit subordonné à l’OTAN et à l’UE et qui réprime brutalement la classe ouvrière.

Tel était le but de l’accord d’Association que Ianoukovitch a refusé de signer il y a un an et qui fut accepté par le nouveau régime après la destitution du président ukrainien.

Cet accord protège les actifs des oligarques ukrainiens et ouvre l’Ukraine aux entreprises et aux banques occidentales tout en appâtant l’élite politique et une petite couche de la classe moyenne avec des pots-de-vin venus de l’UE. Il n’a rien d’autre à offrir à la grande masse de la population qu’une quantité illimitée du « remède grec » -- des programmes d’austérité prescrits par le FMI et l’UE, des coupes massives dans les prestations sociales, l’éducation, les soins de santé et l’administration publique, ainsi que la fermeture et la privatisation des usines.

Ianoukovitch avait initialement soutenu l’Accord d’association, mais il avait finalement décidé de s’y opposer car il craignait pour son avenir politique. Il avait peur d’une explosion sociale s’il mettait en œuvre les coupes exigées par l’UE dans un pays qui souffrait déjà d’une extrême pauvreté. La Russie pour sa part offrait des prêts avantageux tandis que l’UE insistait sur des économies drastiques et immédiates.

Afin de lier l’Ukraine à l’Union Européenne et à l’OTAN malgré tout, il était nécessaire d’organiser un coup d’Etat et de mobiliser des forces fascistes. Dès le début, les manifestations de la Place Maïdan se sont trouvées sous l’influence des forces soutenues par l’Occident. La sous-secrétaire d’Etat américaine Victoria Nuland, a par la suite admis que les Etats-Unis avaient investi cinq milliards de dollars dans de tels éléments depuis 1991.

Au début, seuls quelques milliers de personnes sont descendues dans la rue et il rien n’indiquait un large sentiment en faveur de l’UE. Les sondages d’opinion montrent que durant les dix dernières années seuls 30 à 40 pour cent de la population ukrainienne étaient en faveur d’une intégration à l’UE, et un nombre similaire favorisait une intégration à la Russie.

Les porte paroles du mouvement étaient des figures familières: Arseni Iatseniouk, un représentant de la ‘révolution orange’ de 2004, sponsorisée par les Etats-Unis ; Vitali Klitschko qui vivait en Allemagne, un boxeur professionnel qui entretenait des liens étroits avec la Fondation Konrad Adenauer, affiliée à la CDU, et Oleh Tyagnybok, le dirigeant du parti fasciste Svoboda. Dans ce qui constituait une complète rupture avec les normes diplomatiques, des membres de gouvernement, des parlementaires des pays de l’OTAN se mêlèrent publiquement aux manifestants qui bloquaient des bâtiments gouvernementaux et exigeaient le renversement du président élu.

Lorsque Ianoukovitch a refusé de céder aux exigences des manifestants, des groupes droitiers armés commencèrent à dominer les événements sur le Maïdan. Svoboda a amené ses partisans à Kiev depuis ses bastions dans l’Ouest du pays. Sorti pratiquement de nulle part, le Secteur droit, une alliance de néo nazis et de milices paramilitaires, est apparu. Les conflits devinrent plus brutaux, des tireurs d’élite tuèrent des dizaines de personnes. Il n’a pas à ce jour été établi s’ils faisaient partie des forces de sécurité du régime ou s’il s’agissait de provocateurs politiques venus des rangs de l’opposition.

Le 21 février, Ianoukovitch accepta la formation d’un gouvernement intérimaire et des élections anticipées. Sous la menace des milices de droite, il prit la fuite la même nuit. Le 22 février, ses adversaires prirent le pouvoir à Kiev. On laissa aux médias occidentaux et à une kyrielle d’organisations soi-disant de gauche le soin de présenter ce coup d’Etat organisé par les puissances occidentales comme une « révolution démocratique ».

La prise du pouvoir par les ultranationalistes à Kiev déclencha la panique, en particulier dans l’Est du pays où vit une large population russophone. Avec le soutien du Kremlin, la Crimée déclara son indépendance et fut incorporée à la Fédération russe. Des séparatistes pro-russes prirent le pouvoir à Donetsk et Lougansk et se sont trouvés depuis en guerre avec le gouvernement central ukrainien.

Dans l’intervalle, les Etats-Unis et l’Allemagne ont systématiquement utilisé cette crise, qu’ils ont déclenchée, pour accroître la pression économique et militaire sur la Russie. L’OTAN a amené des troupes en Europe de l’Est, accru les vols de surveillance le long de la frontière russe, organisé des manœuvres sur terre et sur mer à proximité de la Russie et réarment systématiquement. Les Etats-Unis et l’UE ont imposé des sanctions économiques à la Russie et coupé l’accès de la Russie aux marchés financiers internationaux.

Si l’on cherche les causes réelles de cette escalade dangereuse et du risque de guerre qui lui est lié, il faut regarder du côté de la Maison Blanche et de la chancellerie à Berlin plutôt que vers le Kremlin. Comme ce fut le cas dans la première moitié du siècle dernier, les puissances impérialistes répondent à la crise du capitalisme mondial et aux tensions sociales grandissantes par la guerre et la dictature.

Les événements de Ferguson montrent que la société américaine est au bord de l’explosion sociale. Il en est de même en Europe, où des vagues incessantes d’austérité forcent de larges couches de la population dans la pauvreté et le chômage. Les élites dominantes répondent par le militarisme à l’intérieur comme à l’extérieur, par la conquête de nouvelles sphères d’influence, de nouveaux marchés, par le développement de la surveillance et de l’appareil répressif de l’Etat.

Il n’y a qu’une façon de combattre cette évolution : la construction d’un mouvement socialiste international de la classe ouvrière, qui allie la lutte contre la guerre à la lutte contre sa cause première, le système capitaliste.

(Article original paru le 28 novembre 2014)

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