Perspectives

La Grande-Bretagne se joint à la campagne de révocation des passeports

On prétend priver les dissidents politiques de citoyenneté

Le nouveau projet de loi relatif au contre-terrorisme et à la sécurité rendu public cette semaine par le gouvernement britannique doit fonctionner comme une sonnette d’alarme. Une fois de plus, sous le prétexte de « guerre contre le terrorisme », l’Etat s’attribue des pouvoirs autoritaires, dont la capacité de rendre effectivement apatride un citoyen britannique.

Les passeports britanniques sont établis par le ministre de l’Intérieur qui dispose du pouvoir exécutif en vertu de la prérogative royale. Ces dernières années, il y a eu une augmentation sensible du nombre de passeports retirés à des personnes soupçonnées – mais pas obligatoirement accusées – d’actes « liés au terrorisme. »

Selon un rapport de 2013 publié par l’organisation dédiée au journalisme d’enquête « Bureau of Investigative Journalism, » 53 personnes ont été privées de la citoyenneté britannique depuis 2002 ; 48 d’entre elles l’ont été dans les trois années écoulées depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuelle coalition conservatrice-libérale. Parmi elles figurent les détenteurs de passeports ayant été naturalisés ou ayant la double nationalité et le ministre de l’Intérieur pouvait prétendre que ceux qui étaient ainsi visés ne devenaient pas apatrides. 

Le nouveau projet de loi habilitera le ministre de l’Intérieur à agir contre des citoyens nés au Royaume-Uni. Il autorise la police et les gardes-frontières à confisquer pendant 30 jours des passeports et des documents de voyage, et ce à de multiples occasions par la suite, s’ils sont d’avis que quelqu’un voyage à des fins terroristes.

Le gouvernement affirme que la loi n’enfreint pas les droits humains, vu que les ordres d’exclusion sont « temporaires » et que les personnes touchées pourront encore retourner au Royaume-Uni « à [ses] conditions. » C’est un argument bidon. L’Etat jette totalement par-dessus bord la présomption d’innocence et aura le droit de restreindre arbitrairement la liberté de circulation des citoyens en se fondant sur la « prépondérance des probabilités ».

Les personnes faisant l’objet d’ordres d’exclusion seront inscrites sur des listes de contrôle, dont la liste d’interdiction de vols et seront passibles d’une peine d’emprisonnement de cinq ans si elles tentaient de retourner au RU sans l’approbation du gouvernement. Les compagnies aériennes qui ne fourniraient pas à l’avance la liste de leurs passagers ne pourraient plus atterrir en Grande-Bretagne.

Les personnes privées de leurs passeports seront pris au piège dans un vide juridique. Vu que les ordres d’exclusion peuvent être prorogés pendant plus de deux ans, les individus ciblés pourraient avoir à passer une longue période de temps dans le pays où ils sont bloqués sans accès à un emploi, à des soins de santé, des prestations sociales ou des droits légaux.

Leur seul moyen de rentrer chez eux est d’accepter d’être contrôlés et escortés par les services de sécurité du Royaume-Uni. Même en l’absence d’inculpation, ils doivent consentir à l’imposition d’une mesure de prévention du terrorisme et d’enquête (TPMI) qui prévoit des conditions de quasi assignation à résidence, de contrôle policier et l’obligation de suivre un cours de « déradicalisation ». La loi habilite aussi le ministre de l’Intérieur à déplacer n’importe où dans le pays quiconque est assujetti à une TPIM, un exil interne qui n’en porte pas le nom.

Une nouvelle obligation statutaire doit être imposée aux lycées, écoles, prisons, à la police et aux autorités locales afin de « garantir » que les individus ne sont pas entraînés dans l’« extrémisme. » Les fournisseurs de service Internet devront conserver les données des adresses IP afin de permettre à l’Etat d’identifier les individus accédant à des sites « extrémistes. »

La législation devrait être rapidement adoptée par le parlement avant les élections législatives de mai 2015 avec l’approbation de tous les partis. Une telle hâte n’a rien à voir avec une menace de terrorisme ou des considérations pour des Britanniques qui subissent la barbarie de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EI) ou d’al Qaïda.

La loi est la septième législation anti-terrorisme majeure adoptée par le parlement depuis le 11-septembre. Aucune d’entre elles n’a contribué à réduire la menace terroriste qui est fondamentalement la conséquence des guerres d’agression néocoloniale répétées et continues et que mènent les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Les pouvoirs proposés n’auraient pas empêché l’horrible décapitation du chauffeur de taxi britannique Alan Henning par l’EI ou le meurtre brutal du soldat Lee Gigby dans une rue de Londres. En fait, le récent meurtre d’un soldat à Québec, au Canada, avec délit de fuite, a été commis par un musulman converti dont le passeport avait déjà été saisi une fois.

Ce que signifie cette toute récente loi – et ce qu’elle vise – c’est de consolider le cadre juridique d’un Etat policier au Royaume-Uni. La définition de ce que constituent des actes « terroristes » ou « extrémistes » est volontairement floue de façon à ce qu’elle puisse s’appliquer à toute personne que l’Etat estime présenter une menace pour ses propres intérêts.

Ceci a des ramifications internationales. La législation britannique se fonde sur la résolution 2178 formulée par les Etats-Unis et votée par le Conseil de sécurité des Nations unies lors de la réunion du 24 septembre dernier. Exigeant la répression de « combattants étrangers », la résolution est légalement contraignante pour les 193 pays membres de l’ONU sous peine de sanctions économiques ou de l’usage de la force.

Plusieurs pays, dont le Canada, l’Australie et la France, ont d’ores et déjà pris des mesures visant à confisquer les passeports, à criminaliser les voyages vers des régions jugées être « d’accès interdit » et de bloquer des sites Web. La Nouvelle-Zélande devrait suivre la même voie, de même qu’un certain nombre de pays européen, y compris l’Allemagne qui est en droit de révoquer les passeports dans certains cas et qui prépare une nouvelle législation pour confisquer les cartes d’identité.

Comme d’habitude, les mesures adoptées sous prétexte de combattre l’extrémisme islamique serviront à étouffer toute expression d’opposition politique. Les ordres proposés au Royaume-Uni s’appliqueront à ceux entreprenant des « activités nuisibles », dont la définition inclut le risque de « harcèlement, de désarroi ou de détresse » ou qui constituent une « menace pour le fonctionnement de la démocratie. »

La ministre de l’Intérieur, Theresa May, a dit que l’« extrémisme » concernait ceux qui considéraient que l’« intelligence des femmes étaient ‘déficiente’ », et qui dénoncent les « gens sur la base de leurs croyances religieuses. » Sur cette base, d’autres « délits » peuvent être ajoutés à volonté.

Washington a pratiqué la saisie de passeport la plus fortement médiatisée et politiquement la plus significative à l’encontre non pas d’un « extrémiste » ou d’un « terroriste » violent mais contre l’ancien consultant de la NSA, Edward Snowden. En juin 2013, le lanceur d’alerte de 29 ans, a rendu un service inestimable au grand public en démasquant le réseau d’espionnage de masse illégal des communications électroniques, déployé à l’échelle mondiale, par les agences de renseignement américaines et britanniques.

En guise de représailles, Washington a considéré Snowdon comme un facilitateur de « terrorisme » en retenant contre lui trois chefs d’inculpation en vertu de l’Espionnage Act de 1917, introduit dans le but de criminaliser l’opposition à la Première Guerre mondiale et qui prévoit la possibilité d’une condamnation à mort.

Le gouvernement américain a aussi confisqué le passeport de Snowden, le laissant en plan pendant plus de quatre semaines dans la zone transit de l’aéroport de Moscou. Confronté à la menace d’une restitution extraordinaire vers les Etats-Unis, il a été obligé de lancer des appels d’urgence de demande d’asile à 20 pays – tous refusant sa demande – avant d’être accepté par la Russie.

Comme l’expliquait à l’époque le WSWS, l’attitude courageuse de Snowden a terrifié l’élite dirigeante parce qu’elle incarne l’attitude d’une génération entière qu’elle s’est aliénée et qui est devenue hostile à son programme de militarisme et de dictature. En laissant Snowden piégé sur une « planète sans via », le gouvernement américain a espéré non seulement de faire taire le lanceur d’alerte de la NSA, mais d’intimider tous les autres.

Depuis plus d’un an, la crise à laquelle fait face la bourgeoisie internationale s’est aggravée. L’inégalité sociale s’est accrue partout alors que se rapproche de plus en plus la menace d’une nouvelle guerre impérialiste mondiale. C’est la raison pour laquelle le précédent qui a été créé dans le cas de Snowden est actuellement appliqué dans le monde entier.

(Article original paru le 27 novembre 2014)

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