Un tribunal allemand refuse de poursuivre un membre des SS impliqué dans le massacre d’Oradour-sur-Glane

Le 9 décembre, le tribunal régional de Cologne, a annoncé dans un communiqué de presse ne pas vouloir engager de poursuites contre un retraité de Cologne âgé de 89 ans. L’accusé, Werner Christukat, avait été inculpé par le procureur général de Dortmund chargé d’enquêter sur les crimes commis durant la dictature nazie. Il a été accusé d’avoir participé au massacre de 25 personnes et d’avoir aidé et encouragé le meurtre de plusieurs centaines d’autres. Il aurait fait partie d’un régiment de blindés SS qui avait, le 10 juillet1944, investi le village d’Oradour-sur-Glane et massacré ses habitants.

Justifiant sa décision de prononcer un non-lieu dans l’affaire Christukat, le tribunal a fait référence au « fait historiquement documenté que le 10 juillet 1944, des membres de la 3ème compagnie du 1er bataillon du régiment SS ‘Der Führer’ avait perpétré un massacre dans la région d’Oradour-sur-Glane tuant 642 personnes et incendiant le village. »

Il a toutefois conclu qu’il serait probablement incapable d’apporter la preuve que l’inculpé fut impliqué dans les meurtres. Bien que l’accusé ait reconnu avoir été présent sur le lieu des événements d’Oradour-sur-Glane, il a affirmé n’avoir ni tiré de coup de feu ni exécuté des tâches de surveillance ou de transport. Compte tenu des éléments de preuve disponibles, il ne serait pas possible de réfuter sa version des événements.

Le registre des matricules présenté par le procureur général et identifiant l’accusé comme mitrailleur dans l’un des groupes qui avaient participé au massacre a été considéré par le tribunal de Cologne comme ne fournissant pas de preuve définitive. Ceci fut justifié par l’affirmation que le registre était incomplet et n’était pas présenté dans sa version originale.

Le massacre d’Oradour fut un crime de guerre bestial. Les 642 victimes en font numériquement parlant le plus important commis en Europe de l’Ouest durant la Seconde Guerre mondiale. Le village fut totalement détruit. Les SS enfermèrent 254 femmes et 207 enfants dans l’église du village et les brûlèrent vifs. Une seule femme gravement blessée a survécu.

Les hommes et les plus grands garçons furent emmenés par les SS dans des garages et des granges et fusillés. Robert Hébras, l’un des survivants, a décrit le déroulement de ce crime horrible.

« Arrivé dans la grange, je m'assois avec mes camarades au fond, dans le foin. Sans précipitation, les soldats balaient l'entrée de la grange et installent leurs armes. Un soldat fait le tour du groupe et nous fait signe de nous lever. Je me lève et dès que ce soldat a rejoint les hommes en position de tir devant la grange, j'entends une explosion qui à mon avis vient de la place du champ de foire. A ce signal, c'est la fusillade. Nous tombons les uns sur les autres. Je ne réalise pas immédiatement ce qui se passe. Tout se déroule très vite et lorsque les mitrailleuses se taisent, des plaintes, des cris et des gémissements montent de l'amas de corps brisés. J'ai plusieurs hommes sur moi. Je ne sais même pas si je suis blessé. Je ne sais pas si je suis vivant ou mort. J'entends des pas, ce sont ceux des soldats qui montent sur les corps pour achever les survivants.

« A quand mon tour ? Je sens un pied sur mon dos, je ne bouge pas. Une balle destinée à achever un camarade me blesse légèrement à la cuisse. On nous couvre de foin, de paille, de fagots… et j'entends les soldats partir. Quelques personnes se plaignent. Peu de temps après, je réentends le bruit des bottes et les soldats mettent le feu. La progression de l'incendie est rapide et lorsque le feu m'atteint, je me dégage avec difficulté du brasier. Persuadé que je vais mourir sous les balles, je m'aperçois que les soldats ne sont plus là. » (Citation tirée de Devoir de mémoire - Témoignage http://oradourhvr.fr/?p=425)

Ce massacre eut lieu quelques semaines à peine après le débarquement en Normandie, le 6 juin 1944. Le bataillon SS était conduit par Heinrich Lammerding. En tant que commandant d’un groupe de combat de la 2ème division blindée, il avait déjà ordonné la destruction de villes et de villages entiers en Union soviétique. Dès mars 1944, il avait soutenu le commandement militaire régional du Sud-Ouest de la France dans ses soi-disant « actions de pacification » contre les combattants de la résistance.

Après l’invasion alliée, sa division devait être transférée le plus rapidement possible sur les côtes de la Manche. Selon un ordre daté du 8 juin du Haut commandement de la Wehrmacht, elle devait tout en continuant sa marche à travers l’intérieur, poursuivre la « lutte contre les terroristes ».

La capture d’un commandant de bataillon près de Limoges servit d’excuse à de brutales mesures de représailles qui furent appliquées par le 1er bataillon du régiment « Der Führer » à Oradour en début d’après-midi, le 10 juin 1944, sous la direction du commandant de bataillon Dieckmann.

Dans son livre Frankreich und die Deutschen Kriegsverbrecher (La France et les criminels de guerre allemands) Claudia Moisel a écrit, « Avec Oradour, l’opinion publique a subitement pris conscience que des troupes allemandes étaient maintenant également prêtes à exécuter de brutales mesures de représailles contre la population civile sur le front ouest, des mesures qui avaient fait partie du quotidien depuis le début de la guerre sous le régime de terreur national-socialiste dans les régions occupées et conquises en Europe de l’Est. »

Elle écrit encore, « La Wehrmacht et la police de sécurité avaient collaboré étroitement dans les mesures punitives mises en œuvre contre la résistance française depuis l’automne 1943. Le déploiement de gens disposant d’une expérience de combat sur le front de l’Est s’inscrivait dans cette stratégie. Des attaques à l’encontre de la population civile et des représailles collectives faisaient, durant la dernière année d’occupation allemande en France, partie de la vie quotidienne. »

Comme dans le cas de nombreux crimes de guerre identiques en Italie, en Grèce, en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie et en Union soviétique, le système judiciaire allemand n’a jamais tenu un individu pour responsable ou l’a extradé vers la France. Seul un tribunal d’Allemagne de l’Est avait condamné Heinz Barth, 63 ans, à la prison à vie en 1983 pour sa participation dans le massacre d’Oradour en tant que lieutenant SS. Après la réunification allemande, Barth perçut une pension d’invalidité d’ancien combattant et recouvra sa liberté en 1997. Il mourut en 2007.

En 1953, un tribunal militaire français condamna à Bordeaux deux officiers SS à mort et dix-huit autres aux travaux forcés. Mais quatorze autres participants au massacre, originaires d’Alsace et figurant parmi les condamnés, furent immédiatement libérés suite à l’amnistie accordée aux citoyens français. Les officiers SS allemands, y compris ceux condamnés à mort, furent tous libérés en 1959.

L’amnistie, votée en 1953, fut précédée de plusieurs conflits politiques et juridiques en France et entre la France et l’Allemagne. Après les procès de Nuremberg qui visait la direction de l’Etat allemand durant la dictature nazie, la poursuite en justice des criminels de guerre fut rapidement restreinte puis abandonnée en Allemagne de l’Ouest et dans de nombreux pays d’Europe de l’Ouest ayant souffert de l’occupation allemande.

La toile de fond de cette politique était le début de la Guerre froide avec l’Union soviétique, l’entrée de la République fédérale allemande (RFA) dans l’alliance militaire occidentale de l’OTAN et l’intégration de nombreux anciens nazis dans des positions dirigeantes en Allemagne de l’Ouest. Selon Wikipedia, après la guerre, Lammerding a dirigé avec succès une entreprise de bâtiment à Düsseldorf et passa ses dernières années heureux sur les bords du Tegernsee en Bavière.

La loi d’amnistie française eut pour conséquence que des proches des victimes d’Oradour refusèrent que des responsables du gouvernement participent aux cérémonies commémoratives annuelles du massacre. Les restes calcinés du village martyr furent immédiatement classés monument historique et servent aujourd’hui encore à commémorer cet horrible crime de guerre.

L’ouverture du procès contre l’un des derniers membres SS encore vivants qui, selon les faits et de son propre aveu, était présent au massacre, aurait au moins pu jeter de la lumière sur le contexte politique et historique de ce monstrueux crime de guerre. Sa déclaration selon laquelle, bien que présent, il n’a ni participé ni été complice des meurtres est à peine crédible.

Etant donné la reprise, par l’actuel gouvernement allemand, d’une politique étrangère militariste et agressive, la décision du tribunal de Cologne n’a rien de surprenant. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier (Parti social-démocrate allemand, SPD) a exigé dernièrement que l’Allemagne, une fois de plus, « dirige l’Europe pour diriger le monde. » Au moment où l’élite allemande entreprend une nouvelle campagne pour accéder au rang de puissance mondiale, elle est encore plus déterminée à s’absoudre judiciairement des crimes de guerre du passé, qu’elle ne l’avait été immédiatement après la Seconde Guerre mondiale. (Voir : « Le discours du ministre allemand des Affaires étrangères Steinmeier au patronat sur l’Allemagne Grande puissance »)

Deux des plaignants de la partie civile ont fait savoir par leurs avocats qu’ils feraient appel de la décision du tribunal de Cologne de ne pas intenter de procès.

(Article original paru le 17 décembre 2014)

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