L’Université Humboldt tente d’interdire la critique d’un professeur de droite

Déclaration du Parti de l’Egalité Socialiste et de l’EJIES (Allemagne)

Le département d'histoire de l'Université Humboldt de Berlin a affiché sur son site internet une attaque contre le Parti de l'Egalité Socialiste (Partei für Soziale Gleichheit — PSG) et son organisation étudiante et de jeunesse, les Etudiants et Jeunes Internationalistes pour l'Egalité Sociale (EJIES), pour avoir critiqué les activités politiques de droite de Jörg Baberowski, le président du Département d’histoire de l'Europe orientale. Nous publions ci-dessous une lettre ouverte au président de l'Université, le Prof. Jan-Hendrik Olbertz, dans laquelle le Parti de l'Egalité Socialiste et l' EJIES répondent à cette attaque.

Cher Prof. Dr. Olbertz,

Nous exigeons le retrait immédiat de la « Déclaration sur les attaques contre le Prof. Dr. Jörg Baberowski », publiée par le Département d'histoire sur le site internet de l'Université Humboldt. La déclaration représente une attaque politique partisane contre le Parti de l'Egalité Socialiste et son organisation étudiante et de jeunesse, l’EJIES, en même temps qu’une tentative de mobiliser les élèves et les enseignants de l'université contre l’EJIES. Tout cela est fait au nom de l'Université Humboldt. Cela constitue une violation des principes fondamentaux de la démocratie et de la liberté d'expression. Cela crée aussi un précédent pour une forme moderne de Mise au pas [Gleichschaltung] — autrement dit, la politique, menée par le régime nazi, de répression de l'opposition politique et intellectuelle dans les universités allemandes.

Cette « déclaration » a le caractère d'une déclaration officielle de l'Université Humboldt. Elle s'affiche avec le logo de l'Université et la signature du Directeur général du Département d'histoire, le Prof. Peter Burschel, qui l'a signée « au nom du Département. » Au nom de l'Université, la déclaration attaque un parti politique officiellement reconnu, le Parti de l'Egalité Socialiste, ainsi que des membres de son organisation étudiante, l’EJIES, déclarant en substance que toute critique de l'agenda politique de droite et des activités du Prof. Baberowski, à l'intérieur et à l'extérieur de l'université, est illégitime.

Nous exigeons une enquête sur la façon dont cette déclaration a vu le jour. Nous voulons savoir qui l’a proposée, dans quels comités elle a été discutée et qui a décidé de la publier. Pourquoi le Parti de l'Egalité Socialiste n'a-t-il pas eu la possibilité, avant la publication de la déclaration, de répondre aux allégations de ses accusateurs ?

La déclaration faite par le Département d'histoire prône ouvertement la censure politique. Elle affirme que la critique des déclarations publiques de Baberowski ne peut plus être tolérée dans les « salles de conférence de l'université Humboldt » et « invite les enseignants et les étudiants de l'université Humboldt à s'opposer à la campagne contre le professeur Baberowski ».

Qu’est-ce que cela signifie? Qu’appelle-t-on exactement les étudiants à faire ? C'est à l’évidence une tentative de mobiliser les étudiants sur le plan politique pour la défense des positions de Baberowski contre le Parti de l'Egalité Socialiste et l’EJIES. Il n’est guère nécessaire de souligner le caractère manifestement inapproprié d'une telle proposition, non seulement politiquement, mais également professionnellement. Baberowski dispose de moyens organisationnels importants ainsi que de ressources considérables et il exerce une autorité importante sur les étudiants. Il a la possibilité d'avancer ou de bloquer leur carrière, et les étudiants reçoivent maintenant comme instruction de venir le défendre politiquement.

L'affirmation selon laquelle le Prof. Baberowski est victime d'une campagne politique de la part de l'EJIES et que cette campagne viole « la liberté académique protégée par la constitution » est absurde. C’est inverser la réalité des choses.

Le Prof. Baberowski n'est pas un érudit passif qui effectue des recherches scientifiques neutres dans la tour d'ivoire de l'Université. Il utilise son autorité en tant que directeur du département pour promouvoir des thèses révisionnistes et militaristes tant à l'intérieur qu’à l'extérieur de l'université. Il le fait régulièrement à la télévision et la radio et dans des articles de journaux, des interviews et des débats publics. Il entretient également des liens étroits avec des journalistes influents, de hauts responsables politiques, l'armée allemande et la Hoover Institution en Californie — la plaque tournante académique des néoconservateurs aux Etats-Unis.

Les critiques que nous avons portées à l’encontre du Prof. Baberowski sont exactes et faciles à vérifier. Elles reposent sur des déclarations publiques et des documents accessibles au public et ne constituent pas une diffamation.

En février, Baberowski a été cité dans Der Spiegel — le magazine d’information le plus influent d’Allemagne — où il appelait à la réhabilitation de Ernst Nolte. Il s'agit de l'historien qui, en 1986, a provoqué l'Historikerstreit ('Querelle des historiens') en minimisant les crimes du national-socialisme allemand. Aujourd'hui, Nolte défend explicitement Adolf Hitler. Der Spiegel cite Baberowski qui déclare : « Nolte a été victime d’une injustice. D'un point de vue historique, il avait raison. »

Dans le même article du Spiegel, Nolte déclare que la Pologne et l'Angleterre partagent la responsabilité de l'invasion de la Pologne par Hitler et que les juifs ont une responsabilité pour le goulag — des conceptions habituellement associées aux milieux néo-nazis. Baberowski lui-même prône une attitude plus compréhensive envers Hitler. Il a déclaré à Der Spiegel : « Hitler n'était pas un psychopathe, et il n'était pas cruel. Il ne voulait pas que les gens parlent de l'extermination des juifs à sa table. »

Est-ce maintenant aussi l'avis de l'Université Humboldt ? En déclarant que la critique de Baberowski est illégitime, elle endosse la responsabilité de ces vues. Elle soutient une campagne de révisionnisme historique visant à légitimer Adolf Hitler et à minimiser l'horreur de l'expérience nazie.

Le 1er octobre, dans une table ronde au Musée historique allemand qui s'est tenue sous le titre Interventionsmacht Deutschland? (L’Allemagne comme force d'intervention ?) Baberowski a plaidé pour des méthodes devant être utilisées contre des groupes djihadistes qui contreviennent à toutes les normes du droit international et des conventions en vigueur. Il a déclaré : « Et si l'on ne veut pas prendre des otages, brûler des villages, pendre les gens et semer la peur et la terreur, comme le font les terroristes, si l'on n'est pas prêt à faire de telles choses, alors on ne pourra jamais gagner ce genre de conflit et il vaut mieux ne pas s’en mêler. »

Est-ce maintenant le point de vue de l'Université Humboldt? Maintient-elle sérieusement que la critique de tels points de vue fascistes constitue une atteinte à la liberté académique? Cette liberté s'étend-elle maintenant à justifier les atrocités de la guerre et les massacres commis pendant la Seconde Guerre mondiale par les dirigeants nazis qui ont été pendus pour leurs crimes en 1946 à Nuremberg ?

La tentative par le Département d'histoire d'interdire la critique de ces vues réactionnaires au sein de l'Université est elle-même une attaque contre la liberté académique, garantie par l'Article 5.3 de la Constitution allemande. Cela inclut non seulement la liberté d'enseigner — le droit des enseignants à exprimer librement leurs opinions (ce que nous n'avons jamais remis en question), mais aussi la liberté d'étudier. Les étudiants ont le droit de décider de leurs propres études, de former leurs propres opinions, libres de pressions politiques, et de critiquer les points de vue de leurs professeurs. La « Déclaration » est dirigée précisément contre ces droits.

Tandis que Baberowski cherche à échapper à la critique en se repliant derrière le principe de la liberté académique, il refuse cette liberté aux autres. Il a utilisé sa position de professeur et les ressources à sa disposition non seulement pour diffuser ses propres opinions politiques, mais aussi pour faire taire ses critiques.

Le 12 février, il a mobilisé les vigiles de la Sécurité pour réprimer les critiques à l’encontre de son homologue britannique, Robert Service, qu’il avait invité à un colloque public, pour présenter sa biographie discréditée de Trotsky. La biographie a été décrite par la prestigieuse revue American Historical Review et par 14 historiens de langue allemande comme « un travail baclé » et « diffamatoire », en raison de ses nombreuses erreurs et fausses interprétations qui contreviennent aux normes historiques les plus élémentaires.

Lorsque l’EJIES a informé à l'avance Baberowski qu'il entendait participer au colloque public et a soumis des questions écrites à Service, Baberowski a réagi en déclarant que le colloque était annulé. En fait, il a déplacé le colloque vers un autre emplacement, auquel il a refusé l'accès à toute personne qui aurait pu soulever des questions critiques. Parmi les personnes exclues de la réunion figurent des étudiants en histoire de l'Université Humboldt, des historiens renommés comme le Prof. Mario Kessler de l'Université de Potsdam et le rédacteur en chef du World Socialist Web Site, David North. Kessler s’est vu refuser l’entrée parce qu'il avait signé la lettre des 14 historiens à l’éditeur Suhrkamp lui recommandant de ne pas publier une édition allemande du livre de Service. North l’a été parce qu'il avait écrit un livre très apprécié en défense de Léon Trotsky. Le seul motif de son exclusion était ses opinions politiques.

L’EJIES s’est plaint par la suite de ce comportement dans une lettre ouverte à votre intention, Prof. Olbertz, déclarant que « les droits démocratiques fondamentaux et les libertés académiques à l'Université Humboldt étaient en cause. » Nous n’avons jamais reçu de réponse.

Quand l’EJIES a programmé une réunion à l'Université Humboldt au début d'octobre intitulée « Pourquoi les élites allemandes veulent-elles la guerre? » vous avez autorisé la mise à disposition d'une salle sous la condition qu'aucun membre de l'Université ne soit critiqué en tant que fauteur de guerre. Après que nous ayons rejeté cette forme de censure, vous avez finalement approuvé la mise à disposition.

Comme nous l’avons découvert plus tard, le Prof. Baberowski avait fait des démarches auprès de l'administration de l'Université pour empêcher la tenue de la réunion, qui a cependant eu lieu et a été chaleureusement accueillie, attirant un public de 200 personnes. Cela a montré qu'il existait une large opposition aux positions droitières du Prof. Baberowski parmi les étudiants.

La déclaration du Département d'histoire fait progresser plus encore ces méthodes anti-démocratiques. Elle vise à interdire la critique à l'Université des opinions politiques d'un professeur et de mobiliser les enseignants et les étudiants contre un parti politique qui s'oppose à ces positions. Si cette attitude prévalait à l'Université, les conceptions droitières et militaristes du Prof. Baberowski deviendraient en pratique inattaquables.

Cela évoque les jours les plus sombres de l'Université, qui, dans les années 1930, a joué un rôle de premier plan dans la répression de la liberté d'expression et l'imposition de la Gleichschaltung dans les universités allemandes. En 1926, la ligue étudiante nationale-socialiste allemande était fondée à l'ancienne Université Friedrich-Wilhelms, et les autodafés de livres organisés par les nazis ont commencé ici, le 10 mai 1933. Conjointement à la Gleichschaltung, le Führerprinzip (principe du Führer) a été introduit dans les universités allemandes. Ceux qui refusaient de se subordonner au « chef » de l'université ont dû partir et ont été victimes de persécutions.

La déclaration publiée par le Département d'histoire sur le site internet de l'Université Humboldt est une dangereuse indication de l'ampleur de l’atteinte déjà portée à l'intégrité de l'Université. Le Prof. Baberowski et ses collègues ont transformé la Chaire d'histoire de l'Europe orientale en un centre idéologique pour le révisionnisme historique et l’anticommunisme. Maintenant, ils cherchent à imposer leur agenda politique à toute l'Université, à l'aide de méthodes antidémocratiques.

Nous demandons à l'Université de retirer immédiatement cette déclaration de son site internet. Nous réitérons notre demande pour une enquête sur la façon dont elle a vu le jour. Le Prof. Burschel l’a signée « au nom du Département ». Le département, cependant, n'est pas que lui et son collègue de longue date à l’université, Baberowski, mais elle inclut tous les enseignants ainsi que les élèves. Quand et où cette déclaration a-t-elle été discutée? Qui en a été informé ? Qui l’a approuvée ?

Les étudiants de l'Université ont le droit de le savoir.

Avec nos meilleures salutations.

Ulrich Rippert

Parti de l’Egalité Socialiste

Christoph Dreier

Etudiants et Jeunes Internationalistes pour l'Egalité Sociale 

(article original publié le 27 novembre 2014)

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