L’Italie après les élections européennes

Le Parti démocrate (PD, Partito Democratico) au pouvoir en Italie est sorti vainqueur des élections européennes du 25 mai avec 40,8 pour cent des suffrages. Le Mouvement cinq étoiles du populiste Beppe Grillo est arrivé en deuxième position avec 21 pour cent. Juste avant les élections, les sondages avaient prédit une course au coude à coude pour la première place entre les partisans de Grillo et les Démocrates.

Le parti de Silvio Berlusconi, Forza Italia, est arrivé troisième avec près de 17 pour cent des voix, la Ligue du Nord a recueilli 6 pour cent et le Nouveau Centre droit (Nuovo Centrodestra, NCD), né d’une scission du parti de Berlusconi, a obtenu 4,4 pour cent. La « liste Tsipras – Pour une autre Europe » a tout juste franchi la barre des 4 pour cent (4,3 pour cent) et enverra trois députés au Parlement européen.

Le taux de participation de 57,2 pour cent était de près de dix pour cent inférieur à celui du précédent scrutin (2009) où 66 pour cent des électeurs avaient voté. S’il n’y avait pas eu aussi, le 25 mai, des élections régionales et municipales dans une partie de l’Italie, la participation aurait été bien plus faible encore.

Le soulagement manifesté au sein des cercles dirigeants après la victoire de Matteo Renzi était tangible. La bourse de Milan a réagi à la victoire de son candidat préféré par un bond de 3,4 pour cent et par un plongeon des taux d’intérêt des titres d’Etat à dix ans de 14 points.

A Bruxelles, les chefs de gouvernement ont félicité Renzi pour sa victoire électorale et la chancelière allemande, Angela Merkel, a décrit celui-ci comme un « matador ». En juillet prochain, l’Italie prendra la tête de la présidence du Conseil de l’UE. La bourgeoisie européenne avait eu peur qu’une victoire de Beppe Grillo ne « plonge finalement dans le chaos les relations politiques d’ores et déjà ingérables de l’Italie, » comme l’avait exprimé le magazine allemand Der Spiegel. 

Le banquier allemand Schmieding a dit au journal Die Welt qu’avec la victoire de Renzi, le risque avait diminué « que l’Italie, l’un des plus importants pays, ne connaisse des turbulences politiques ». Le patron de PD disposait maintenant d’un « solide mandat pour des réformes institutionnelles et du marché du travail. »

Ces « réformes » se feront une fois de plus aux dépens de la classe ouvrière qui, depuis le début de la récession de 2008, a payé pour la crise par un chômage plus élevé et une extrême pauvreté parmi les jeunes et les personnes âgées. Selon une enquête de l’Istat publiée fin mai, le nombre d’emplois en Italie était inférieur de près d’un million (984.000 ou 4,2 pour cent) à celui de 2008. Ce nombre a même chuté de 2 pour cent par rapport à 2012.

Le chiffre du chômage des jeunes a officiellement dépassé la marque des 40 pour cent l’année dernière et il est actuellement bien supérieur à cela. Selon une nouvelle étude, seuls 40 pour cent des jeunes entre 15 et 24 ans occupent un emploi quelconque.

La victoire électorale des Démocrates est due avant tout à l’absence d’une authentique alternative de gauche à leur politique droitière.

Dès le début, le World Socialist Web Site avait souligné le caractère droitier du parti de Grillo. Ceci a maintenant été confirmé.

Durant la campagne électorale, Grillo avait vivement critiqué l’UE et le gouvernement à Rome. Lors d’un rassemblement électoral sur la place San Giovanni à Rome il avait annoncé que ses partisans marcheraient sur Rome pour assiéger la résidence officielle du président Giorgio Napolinato aussi longtemps qu’il faudra pour qu’il dissolve le parlement et fasse tenir de nouvelles élections.

Grillo a lui-même subi de fortes pertes électorales de plus de 40 pour cent dans d’anciens bastions du Mouvement cinq étoiles (en Sicile, au Frioul Vénétie julienne (au Nord-Est de l’Italie) et au Trentin-Haut-Adige (à l’extrémité Nord-orientale de l’Italie).

Il a réagi en s’adressant à Bruxelles au dirigeant de l’UKIP (Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni), Nigel Farage pour lui proposer une collaboration au niveau européen. UKIP représente un programme carrément réactionnaire prévoyant la déréglementation, le chauvinisme anti-immigrant, une faible imposition des sociétés et un militarisme impitoyable.

Les protagonistes de la « Liste Tsipras » ont profité des résultats électoraux pour se rapprocher encore davantage des Démocrates. Quelques heures à peine après la fermeture des bureaux de vote, la « Liste Tsipras » se décomposait effectivement en ses parties constituantes.

Les dirigeants du parti de Nichi Vendola SEL (Gauche, Ecologie et Liberté) ont donné une série d’interviews à des quotidiens où ils préconisaient une collaboration plus étroite avec les Démocrates voire même une adhésion à ce parti. Ils ont justifié cette décision sur la base de la montée des Eurosceptiques au sein de l’UE. 

Le dirigeant du groupe parlementaire de SEL, Gennaro Migliore, a proposé dans le journal la Repubblica un parti unifié avec le PD. « Nous ne pouvons pas attendre, nous devons nous trouver au cœur des événements, » a dit Migliore. « Le défi » avait été de « créer une gauche unifiée en Italie qui réponde au désir en faveur d’un changement. » La députée SEL Ileana Piazonni a dit au journal Espresso vouloir « rassembler la gauche. »

Nichi Vendola, le patron de SEL et gouverneur de la région des Pouilles, a déclaré le 28 mai à Naples, « Renzi doit maintenant employer le puissant levier que l’électorat lui a fourni pour changer l’Europe. » S’il le faisait et changeait de cap en Europe, « nous transformerons nos critiques et nos vues oppositionnelles en un consensus, » a précisé Vendola.

La position de Rifondazione Comunista (Parti de la Refondation communiste) qui avait également rejoint la Liste Tsipras, fut résumée sur Facebook par un politicien des Pouilles, Nicola Fratoianni. Celui-ci a dit ne pas partager les vues de Vendola. Après les élections, il était nécessaire d’adresser un « appel politique » à tous ceux qui avaient « compris » la Liste Tsipras comme « une importante occasion d’avoir une gauche forte et innovative, non sectaire et non minoritaire. » 

Ceci n’a rien à voir avec une alternative politique indépendante pour la classe ouvrière. Ce groupe souhaiterait maintenir une certaine distance par rapport au PD dans le but de pouvoir lui fournir une couverture de gauche plus efficace. Tous ceux qui sont associés à Refondation communiste, le successeur du Parti communiste italien, font partie d’une petite classe moyenne privilégiée qui cherche à défendre les postes bien rémunérés qu’ils occupent dans les syndicats, la bureaucratie gouvernementale et les médias. 

Renzi, qui avait pris le contrôle du gouvernement en février, a célébré sa victoire électorale comme un triomphe personnel. En fait, son succès électoral n’a pas vraiment été énorme. A peine 23 pour cent des électeurs inscrits l’ont soutenu.

Sa réaction aux élections a été l’annonce de « réformes très dures et décisives ». « L’Italie prend cette fois-ci la chose au sérieux, » a-il-dit dans une interview accordée le 31 mai aux journaux Süddeutsche Zeitung, The Guardian, Le Monde et à La Stampa. Il imposerait fermement ses réformes concernant le marché du travail, la constitution et le système électoral a-t-il dit.

Renzi est en train de poursuivre un vaste programme de privatisations et de coupes sociales. Son gouvernement est déterminé à réduire les dépenses publiques de 34 milliards d’euros d’ici deux ans. Dans le même temps, son ministre de la Défense, Roberta Pinotti, a clairement fait comprendre que l’Italie acceptait et soutenait inconditionnellement les agissements agressifs de l’Allemagne et des Etats-Unis à l’égard de la Russie dans le cadre de la crise Ukrainienne.

Egalement révélatrice fut la toute récente floraison des pratiques financières proposées par l’homme qui avait participé aux élections en tant que « pourfendeur » de l’élite corrompue. Durant la campagne il avait promis à maintes reprises de mener une lutte contre la corruption et le gaspillage. Mais, actuellement, confronté au problème du déclin du PIB de l’Italie, il a trouvé une solution tout à fait originale : l’Italie doit améliorer son PIB en incorporant à partir de septembre 2014 l’économie souterraine aux éléments le constituant.

L’« économie souterraine » comprend non seulement le « travail illégal » mais aussi le trafic de cigarettes, de drogue et d’armes ainsi que la prostitution. Ceci a même permis à des membres du parti de Silvio Berlusconi qui avaient été plusieurs fois accusés de corruption de ridiculiser le gouvernement. Le sénateur Maurizio Gasparri de Forza Italia avait suggéré de remplacer le chef de la BCE, Mario Draghi, par Salvatore « Toto » Riina, un chef bien connu de la mafia.

Les élections européennes ont démontré plus clairement que jamais que la classe ouvrière italienne n’a pas de parti ou d’organisation qui parle en son nom. Il existe un vide politique béant entre la classe ouvrière et l’ensemble du spectre politique.

(Article original paru le 11 juin 2014)

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