Perspectives

Attaques terroristes en Europe: le retour de flamme des interventions occidentales

Suite aux attentats terroristes du 7 Janvier à Paris la police a lancé une vague d’arrestations dans toute l’Europe. Des dizaines de militants islamistes présumés ont été appréhendés dont beaucoup seraient allés en Syrie et revenus, un pays où les Etats-Unis et leurs alliés ont fomenté une guerre civile sanglante.

Alors que la presse parle d’attentats imminents et empêchés, il est évident que les responsables de la sécurité européenne étaient bien au courant de qui étaient les conspirateurs supposés et avaient suivi de près leurs mouvements et leurs activités.

Les médias qui se sont jetés dans la campagne soutenue par l’État pour terroriser le public, n’ont pas posé les questions les plus évidentes. Comment se fait-il, par exemple, que ces individus ont pu se rendre librement dans une zone de guerre à l’étranger, s’y battre, puis en revenir, sans se voir poser de questions?

La réponse la plus évidente est qu’ils bénéficiaient de l’accord, si ce n’est du soutien direct, d’éléments au sein de l’Etat. On les a laissés tranquille jusqu’à présent parce qu’on les jugeaient utiles.

Pendant près de quatre ans, Washington et ses alliés occidentaux européens – la France en tête – ont politiquement orchestré, aidé à financer et à armer, une guerre de changement de régime en Syrie où des combattants islamistes comme ceux qui ont commis le meurtre de masse dans les locaux de Charlie Hebdo, ont servi de principales troupes au sol.

Armes, combattants étrangers et argent ont été expédiés en Syrie en grande partie via la Turquie où la CIA a installé un poste secret pour coordonner ces opérations. Une bonne partie des armes et de l’aide parvenant aux « rebelles » soutenus par les impérialistes provenaient des alliés arabes clés de Washington que sont l’Arabie saoudite et le Qatar.

Deux organisations sont devenues la principale opposition armée du président syrien Bachar al-Assad : le Front Al Nusra, la branche d’al-Qaïda en Syrie et l’Etat islamique en Irak et en Syrie (EI), une milice ayant fait scission et qui a été condamnée par al-Qaïda même pour sa brutalité excessive.

Le journaliste allemand Jürgen Todenhöfer, premier journaliste occidental à voyager dans la zone contrôlée par l’EI en Syrie depuis le début de la nouvelle guerre sous direction américaine, a rapporté le mois dernier que pas moins de 70 pour cent de ceux qui se battent pour renverser le régime d’Assad en Syrie sont des combattants étrangers. Ils y sont acheminés depuis tout le Moyen-Orient, la Tchétchénie, l’Europe occidentale, l’Amérique du Nord et d’ailleurs. Selon une estimation récente du gouvernement américain, près de 1000 combattants étrangers rejoignent chaque mois ces milices.

Le bilan des morts du conflit Syrien approche les 200.000. Les attaques terroristes, exécutions de masse et autres crimes y sont depuis des années effectués par les mêmes éléments que ceux ayant commis les meurtres à Paris, sans un mot de protestation de ces mêmes milieux officiels qui font maintenant la promotion de la campagne « Je suis Charlie ». Ils faisaient alors le sale boulot de l’Occident.

Cependant, avec l’entrée de l’EI en Irak l’été dernier, les crimes impérialistes d’aujourd’hui sont entrés en collision avec ceux d’hier, produisant une crise grave. La débâcle subie par l’armée irakienne aux mains de l’EI était le produit de près de neuf ans de guerre et d’occupation américaine qui ont ravagé le pays, coûté la vie à des centaines de milliers d’Irakiens, transformé des millions d’autres en réfugiés et provoqué un intense conflit sectaire chiite-sunnite.

Washington et ses alliés ont rapidement exploité cette crise. Ils ont mené une campagne de bombardement tant en Irak qu’en Syrie et des milliers de soldats américains sont retournés en Irak. On a transformé les forces agissant hier par procuration dans la guerre de changement de régime en Syrie, en ennemis d’aujourd’hui pour une « guerre contre le terrorisme » nouvelle version. C’est là le contexte politique des attentats de Paris et des menaces d’attentats ailleurs.

L’histoire n’est guère nouvelle. L’impérialisme américain a donné sur plus d’un demi-siècle son soutien à des forces islamistes pour lutter contre des mouvements et régimes nationalistes laïques résolus à contrôler la richesse pétrolière de la région ou ayant établi des liens étroits avec l’Union soviétique.

L’exemple le plus célèbre est l’Afghanistan où la CIA a parrainé, en étroite collaboration avec les services secrets pakistanais, une guerre par des forces islamistes intégristes pour renverser un gouvernement soutenu par les Soviétiques à Kaboul. Les forces qui deviendraient plus tard al-Qaïda ont joué un rôle clé dans cette opération.

Depuis, pratiquement tous ceux désignés comme cibles et suspects importants dans la « guerre contre le terrorisme » sont des individus bien connus de la CIA et d’autres agences de renseignement.

Il y a les attaques du 11 Septembre, où les principaux pirates de l’air avaient des liens étroits avec le gouvernement saoudien, allié clé de Washington dans le monde arabe. Plus de treize ans après, le gouvernement américain refuse de déclassifier vingt huit pages d’un rapport issu d’une enquête du Congrès sur les événements et qui traitent du financement saoudien des attentats. Les principaux organisateurs de l’attentat étaient sous surveillance directe de la CIA, mais on leur a permis d’entrer, de sortir et de retourner aux États-Unis librement, sans même posséder les visas appropriés. Une fois aux États-Unis, ils ont été autorisés à se former comme pilotes de vols commerciaux.

Il y a ensuite le cas d’Anwar al-Awlaki, le religieux musulman d’origine américaine assassiné dans l’attaque d’un drone américain au Yémen en 2011. Accusé à présent d’une foule de complots présumés, y compris d’avoir dirigé les tueurs de Paris, al-Awlaki avait des liens étroits avec l’Etat américain. Il a été le premier imam à diriger un service de prière pour membres du personnel musulmans du Congrès, au Capitole, en 2002. Quelques mois après les attentats du11Septembre, on l’a fait venir au Pentagone pour y parler de l’apaisement des tensions entre les musulmans et l’armée américaine.

Plus récemment, dans le cas des attentats du marathon de Boston en 2013, le principal suspect, Tamerlan Tsarnaev, était non seulement surveillé par le FBI, mais on l’avait en vue pour le recruter comme informateur contre la communauté musulmane. On a permis à Tsarnaev, tué quatre jours après l’attentat, d’aller librement dans le sud de la Russie, où il rencontrait des islamistes en lutte contre le gouvernement de Moscou, et d’en revenir. Moscou avait averti, non pas une fois mais deux, les autorités américaines de ses activités.

Pour les auteurs des attentats tués la semaine dernière à Paris, il est reconnu qu’ils avaient été sous la surveillance non seulement des services de renseignement français, mais aussi de ceux des États-Unis et de la Grande Bretagne.

Comment ce fait-il que les gens sous surveillance et en contact direct avec la police et les agences de renseignement soient les auteurs d’une attaque terroriste après l’autre? La possibilité d’une provocation délibérée ne peut nullement être exclue. Il est impossible de dire avec certitude pour chacun de ces événements s’il n’y a pas eu une forme ou l’autre de manipulation de la part de la CIA, les autorités permettant aux choses, exécutées par des individus connus de l’État de se produire, par acte d’omission ou de commission.

La tentative des médias de présenter les personnes impliquées dans ces actes de terrorisme comme des individus mystérieux et inconnus est frauduleuse. Vendredi dernier, ils ont rapporté, l’un après l’autre, les arrestations de masse à Paris et le démarrage de nouveaux plans américains pour financer et former des « rebelles » syriens. On n’a pas examiné le rapport entre les deux.

Après une première décennie de « guerre mondiale contre la terreur » durant laquelle on a présenté al-Qaïda comme une menace existentielle, on a utilisé ces mêmes forces comme alliés dans des guerres de changement de régime soutenues par l’Occident contre des gouvernements arabes laïques, d’abord en Libye, puis en Syrie. Maintenant, on se sert à nouveau de leurs actes pour promouvoir la guerre à l’extérieur et la répression à l’intérieur.

En fin de compte, les attaques comme celle menée contre Charlie Hebdo sont le produit de décennies d’interventions impérialistes au Moyen-Orient. Les guerres qui ont ravagé un pays après l’autre ont déclenché une vague de violence qui ne peut que se répandre au-delà de la région. Dans l’intervalle, Washington et ses alliés promeuvent les forces mêmes impliquées dans ces attaques et collaborent avec elles.

(Article original paru le 17 janvier 2015)

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