Perspectives

Guantanamo en Amérique

Dans les années qui ont suivi le lancement de la « guerre contre le terrorisme » par le gouvernement Bush, toute une suite de révélations ont dévoilé les horribles méthodes de torture appliquées aux prisonniers à Guantanamo Bay, dans les « sites noirs » (centres de détention secrets de la CIA) et dans d’autres prisons hors des Etats-Unis, méthodes qui étaient politique d’Etat.

Ces pratiques barbares, documentées récemment dans un rapport du Sénat sur le programme de torture de la CIA avec tant de détail qu’on en avait l’estomac retourné, ont leur origine dans les objectifs mêmes de l’impérialisme américain: le pillage du monde et sa domination par la répression violente de toute opposition à ses desseins prédateurs. Mais, cette même classe dirigeante qui mène des guerres impérialistes à l’étranger, fait aussi la guerre de classe à l’intérieur du pays où elle préside à l’énorme enrichissement de l’oligarchie financière aux dépens de la classe ouvrière.

Il n’y a pas de mur qui séparerait strictement la politique extérieure de la politique intérieure. On l’a vu concrètement la semaine dernière avec la révélation par le journal britannique The Guardian, qu’un des principaux interrogateurs de Guantanamo Bay avait mis au point, à Chicago où il travaillait comme enquêteur de la police, les méthodes qu’il a utilisées ensuite dans le camp de torture.

Selon le Guardian, Richard Zuley avait au moins une fois obtenu des aveux ayant conduit à une condamnation injustifiée avec les méthodes qu’il devait utiliser plus tard à Guantanamo Bay. Celles-ci comprenaient l’enchaînement prolongé à l’aide de menottes en « position de stress, » les menaces à l’égard de membres de la famille, la menace de condamner les inculpés à la peine capitale s’ils n’avouaient pas et l’exigence que ceux soumis à la torture s’accusent eux-mêmes ainsi que d’autres.

Le journal cite l’exemple d’une femme de Chicago que Zuley avait laissé enchaînée à un mur pendant plus de 24 heures, jusqu’à ce quelle admette qu’elle et son ami avaient commis un meurtre. Elle est encore en prison à ce jour. Un autre cas est celui de Lathierial Boyd qui fut libéré en 2013 après avoir passé 23 ans en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis.

Le passé de Zuley et ses capacités exceptionnelles pour extorquer des aveux l’ont fait remarquer par les administrateurs de Guantanamo Bay qui décidèrent de le mettre au travail dans une équipe de tortionnaires du camp.

Parmi les victimes de Zuley se trouve, selon The Guardian, Ould Slahi, l’auteur d’un livre publié récemment, Guantánamo Diary, dans lequel il raconte comment il a été torturé, agressé sexuellement et presque battu à mort à la prison au point d’en venir à signer tous les aveux que ses tortionnaires lui présentaient.

Les révélations, dit le Guardian, montrent « une continuité entre les violences policières en milieu urbain en Amérique » et la torture perpétrée au nom de la guerre contre le terrorisme. Le cas de Zuley n’est pas une aberration. La classe dirigeante américaine gouverne un pays qui emprisonne un pourcentage plus grand de sa population que n’importe quel autre au monde et où le traitement brutal des prisonniers est une réalité quotidienne.

Un récent rapport de l’Union américaine pour les libertés civiles (American Civil Liberties Union, ACLU) documente ainsi les conditions horribles qu’ont à subir les plus de 80.000 personnes en cellule d’isolement dans le système carcéral américain, et qui comprennent des malades mentaux, des handicapés mentaux et des enfants. Ces pratiques barbares ont été déclarées être une forme de torture par les Nations Unies.

Selon l’ACLU, 95 pour cent des personnes soumises à l’isolement cellulaire développent des symptômes de maladie psychologique tels les attaques de panique et les hallucinations. Rien qu’au Texas, on compte plus de cent prisonniers à avoir passé plus de 20 ans enfermés 22 heures par jour dans des cellules minuscules et n’ayant pratiquement aucun contact avec des êtres humains.

Les prisons aux Etats-Unis mêmes, qui servent de plus en plus de lieu de détention pour ceux qui sont accusés de terrorisme, souvent après avoir été piégés par les agences de renseignement, introduisent des règles identiques à celles en vigueur à l’étranger. Cette semaine, le Bureau fédéral des prisons, l’organisme qui supervise les établissements pénitentiaires civils, appliquera un nouveau règlement qui, selon le professeur de droit David M. Shapiro, « empêchera quasiment les prisonniers incarcérés aux Etats-Unis et soupçonnés d’avoir des liens avec le terrorisme de parler à leurs familles. »

Shapiro remarque qu’un autre ensemble de méthodes récemment adopté « fait une incursion sans précédent dans le secret professionnel de l’avocat car il permet aux agents fédéraux d’intercepter des communications entre certains prisonniers, considérés comme une menace pour la sécurité nationale, et leurs avocats. » Il ajoute que les prisons à New York et au Colorado se servent déjà de ces méthodes.

Le système carcéral, avec à son pinacle la pratique barbare de l’exécution sanctionnée par l’Etat, n’est qu’une partie d’un appareil plus large qui comporte aussi une force de police massive et militarisée qui tue impunément et un système de renseignement qui espionne la population en violation des droits démocratiques les plus élémentaires. Que ce soit sous les Démocrates ou sous les Républicains, Bush ou Obama, l’Etat fonctionne de plus en plus ouvertement comme un instrument de violence et de répression.

Si les méthodes utilisées à Guantanamo et ailleurs sont en partie une « exportation » de techniques utilisées aux Etats-Unis, il est vrai aussi que les méthodes brutales perfectionnées par la classe dirigeante à l’étranger, sont de plus en plus directement réimportées aux Etats-Unis et appliquées pour réprimer l’opposition politique croissante à la guerre et à l’inégalité sociale.

La résurgence de la torture, des aveux forcés et d’autres pratiques « médiévales » sous la pression des inégalités sociales croissantes fait partie de la répudiation générale des formes démocratiques, juridiques et politiques, de la société.

L’aristocratie financière américaine qui crée sa richesse par l’escroquerie et la fraude, tout comme les voyous déclassés qu’elle recrute pour faire son sale boulot dans les prisons, les commissariats et les chambres de torture, considèrent les normes juridiques de procès en bonne et due forme et l’égalité devant la loi comme de simples obstacles au pillage, à la violence et aux meurtres.

(Article original paru le 21 février 2015)

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