La capitulation de Syriza devant l’Union européenne

Cela fait à peine dix jours que le gouvernement grec est arrivé au pouvoir et ses prétentions à être de gauche s’effondrent déjà comme un château de cartes.

Syriza a abandonné sa revendication d’annuler la dette grecque et il a édulcoré son programme social. Au lieu de cela, le premier ministre Alexis Tsipras et le ministre des Finances, Yanis Varoufakis font le tour de l’Europe pour assurer les divers gouvernements et les banques qu’ils peuvent compter sur Syriza pour, comme l’a dit Varoufakis, « imposer les réformes de fond de l’Etat grec que les gouvernements précédents ont refusé de faire. »

Dans la mesure où Syriza a un programme, celui-ci consiste à exploiter les rivalités entre diverses capitales européennes pour pouvoir renégocier le remboursement de la dette grecque. Tsipras et Varoufakis ont donc passé leurs premiers jours au pouvoir à rechercher les faveurs des gouvernements français et italiens qui exigent des crédits plus faciles et veulent obtenir de Berlin une plus grande marge de manœuvre, tout en imposant, chez eux, leurs propres mesures d’austérité.

En l’occurrence, Paris et Rome insistent pour que Syriza rembourse les dettes de la Grèce par crainte que des concessions au nouveau gouvernement grec n’aille légitimer, en France et en Italie aussi, une opposition dans la classe ouvrière et déstabiliser l’ensemble de l’Union européenne (UE).

Les espoirs placés par Syriza dans la Banque centrale européenne furent déçus eux aussi. A peine Varoufakis avait-il rendu visite au chef de la BEC, Mario Draghi, à Francfort, que la Banque centrale décidait de ne plus accepter les obligations du gouvernement grec comme collatéraux à des prêts aux banques grecques. Si la BCE maintient cette politique, les banques et le gouvernement grecs tomberont en faillite à la fin du mois.

La visite ensuite de Varoufakis à Berlin et sa rencontre avec le ministre allemand des Finances Schäuble fut une humiliation publique. Dans sa campagne électorale, Syriza avait dénoncé les mesures d’austérité exigées par l’Allemagne et dit qu’elles étaient la cause de la misère en Grèce, mais à Berlin Varoufakis a dit, lors d’une conférence de presse conjointe avec Schäuble, que le gouvernement allemand ne portait aucune responsabilité et que la Grèce était seule à blâmer pour la crise.

Cette évolution des choses ne peut étonner que ceux qui ne comprennent pas ou ferment délibérément les yeux sur le caractère de classe de Syriza et de partis identiques ailleurs dans le monde. Elle souligne le gouffre qui sépare Syriza de ceux qui ont voté pour lui dans le but de mettre fin à l’austérité et aux dictats de l’UE.

Elle confirme l’opposition du World Socialist Web Site à Syriza et à sa politique pro-capitaliste. Elle souligne la justesse de la lutte menée par le Comité International de la Quatrième Internationale (CIQI) pour le socialisme et l’indépendance politique de la classe ouvrière contre des forces comme Syriza.

Avant que Syriza n’arrive au pouvoir, le WSWS avait fait cette mise en garde: « Par son origine, sa composition sociale et politique, Syriza est un parti bourgeois, un de ces partis parmi tant d’autres qui, comme les démocrates du président Obama aux Etats-Unis, arrivent au pouvoir grâce à des promesses d’‘espoir’ et de ‘changement’, et imposent ensuite une politique d’austérité et de guerre. »

Issu de l’aile ‘eurocommuniste’ du Parti communiste et de différents groupes petits-bourgeois jadis radicaux, Syriza parle au nom des couches aisées de la classe moyenne qui regardent avec envie la vaste accumulation des richesses au sommet de la société. C’est là un phénomène international. En Grèce, l’économie est contrôlée par 600 multimillionnaires.

Syriza ne vise pas à renverser le capitalisme ni ses institutions, ni l’UE pour les remplacer par une société socialiste. Il vise à réformer l’UE afin de permettre aux couches de la classe moyenne qu’il représente d’avoir accès aux charges rémunératrices de l’Etat et de redistribuer de manière un peu plus ‘équitable’ la richesse parmi les dix pour cent supérieurs de la société capitaliste. Il réagira aux revendications de la classe ouvrière, la vaste majorité de la société, avec la même hostilité que le gouvernement précédent.

C’est ce que signifie sa coalition avec le parti ultra-nationaliste des Grecs Indépendants (ANEL), une scission droitière de l’ancien parti au pouvoir, Nouvelle Démocratie (ND).

La décision de Syriza de former une coalition avec ANEL n’est pas seulement une concession faite à la xénophobie et au chauvinisme. La nomination du dirigeant d’ANEL, Panos Kammenos, au poste de ministre de la Défense est un signal qu’on donne à une armée et une police qui ont une longue tradition de répression sanglante de la classe ouvrière, comme pendant la guerre civile grecque et la junte des colonels de 1967 à 1974, qu’on ne touchera pas à leur pouvoir.

La récente expérience de la Grèce souligne le gouffre insurmontable qui existe entre le CIQI et les nombreuses tendances de la pseudo-gauche. Le CIQI, qui publie le WSWS, fut le seul à mettre en garde contre le rôle joué par Syriza et à lutter pour une perspective indépendante et socialiste pour la classe ouvrière.

Alex Callinicos, du parti britannique Socialist Workers Party, a fait part la semaine dernière de son enthousiasme pour Syriza: « Les socialistes révolutionnaires devraient célébrer la victoire du nouveau gouvernement et soutenir les mesures progressistes qu’il prend. »

Le site internet du Secrétariat unifié pabliste, International Viewpoint, a publié une déclaration, « Avec le peuple grec, vers le changement en Europe ». Parmi les signataires on trouve François Sabado du Nouveau parti anticapitaliste, Michael Aggelidis, du parti allemand Die Linke, Michael Voss, de l’Alliance Rouge Verte danoise, les anciens membres de Refondation communiste (Rifondazione Comunista) Gigi Malbarba et Franco Turigliatto, ainsi que le cinéaste britannique Ken Loach.

Cette déclaration qualifie l’élection grecque de « tournant » et glorifie Syriza, en faisant « une force politique en contact avec les luttes dans la rue et prête à amener le changement politique dans les institutions. »

Ces gens n’apprendront jamais rien, parce qu’ils représentent les mêmes couches sociales et la même orientation anti-classe ouvrière que Syriza. Ils ont passé des décennies à réinterpréter le marxisme afin de l’adapter aux intérêts de la classe moyenne supérieure, s’appuyant pour ce faire sur l’Ecole de Francfort, l’existentialisme et d’autres courants idéalistes et antimarxistes. Au lieu de la lutte de classe, ils préconisent diverses formes de protestation et de politique identitaire et, dans des pays comme la Libye et la Syrie, ils soutiennent des guerres impérialistes qu’ils présentent comme des interventions « humanitaires. »

Il est tout à fait urgent de construire des sections du CIQI partout en Europe et d’avancer une alternative politique pour la classe ouvrière contre la faillite et la politique pro-capitaliste de Syriza. Ceci requiert une lutte systématique pour l’héritage historique du marxisme et, en particulier, pour la lutte menée par Léon Trotsky et la Quatrième Internationale contre le stalinisme, la social-démocratie et l’influence paralysante et déroutante des tendances de la pseudo-gauche.

Partout, les ouvriers sont en train d’entrer dans un conflit irréconciliable avec la classe dirigeante et ses défenseurs politiques. L’expérience d’un gouvernement Syriza présentera d’énormes dangers pour la classe ouvrière, en même temps que des opportunités.

La déception et la confusion résultant de la politique pro-capitaliste de Syriza menacent d’entraîner des défaites amères pour la classe ouvrière et d’ouvrir la voie à la guerre et au fascisme, comme le montre la montée du parti grec pronazi Aube dorée. Dans le même temps mûrissent les conditions objectives pour une révolution socialiste.

La question brûlante qui doit être résolue est la crise de la direction révolutionnaire. Le CIQI lutte pour que les travailleurs et les jeunes tirent les enseignements politiques de la banqueroute de Syriza, jetant ainsi les bases pour l’émergence d’un mouvement révolutionnaire politiquement conscient de la classe ouvrière en Grèce et pour le socialisme au plan international.

(Article original paru le 7 janvier 2015)

 

 

Loading