Gorbatchev avertit que le conflit ukrainien pourrait déclencher une troisième guerre mondiale

Mikhaïl Gorbatchev, le dernier président de l’Union soviétique, a accusé jeudi dernier les Etats-Unis d’avoir lancé une nouvelle guerre froide contre la Russie. Il a exprimé la crainte que le conflit ne dégénère en une troisième guerre mondiale nucléaire.

Gorbatchev a fait ses commentaires alors que les combats s’intensifient dans la région du Donbass, dans l’Est de l’Ukraine, entre les forces dirigées par le gouvernement de Kiev soutenu par les Etats-Unis et l’Union européenne et les séparatistes pro-russes.

« Pour parler franchement, les Etats-Unis nous ont déjà entraînés dans une nouvelle guerre froide en essayant ouvertement de suivre leur idée de triomphalisme, » a dit l’ancien dirigeant soviétique à Interfax. « Que va-t-il se passer maintenant? Malheureusement, je ne peux pas être sûr que la guerre froide n’en devienne pas une véritable. Je redoute que [les Etats-Unis] en prennent le risque. ».

Il a critiqué les Etats-Unis et l’UE parce qu’ils insistaient pour imposer toujours plus de sanctions économiques contre la Russie. « On n’entend parler actuellement que de sanctions des Etats-Unis et de l’Union européenne contre la Russie, » a-t-il dit. « Ont-ils complètement perdu la tête? Les Etats-Unis sont totalement ‘perdus dans la jungle’ et ils nous entraînent avec eux. »

Début janvier, Gorbatchev avait accordé une interview au magazine allemand Der Spiegel sur le conflit en cours entre les Etats-Unis, l’UE et la Russie au sujet de l’Ukraine. Tout en déclarant que c’était « quelque chose qu’il ne fallait même pas envisager, » Gorbatchev avait prévenu qu’une guerre majeure en Europe « mènerait inévitablement à une guerre nucléaire. » Il avait ajouté, « Si, dans cette atmosphère envenimée, l’un de camps perdait son sang-froid, alors nous ne survivrons pas les prochaines années. »

Toujours dans la même interview, Gorbatchev avait déploré que cette évolution des choses était le résultat de la construction par Washington d’un « méga empire » après la dissolution de l’Union soviétique.

En tant qu’initiateur, à la fin des années 1980, du processus de la restauration capitaliste sous la forme de la politique de la « perestroïka » et de « glasnost », Gorbatchev porte une énorme responsabilité pour la crise actuelle en Ukraine et pour l’expansion de l’OTAN. A l’époque, il avait affirmé que la poussée permanente de l’impérialisme vers la guerre avait été remplacée par la recherche de « valeurs humaines » universelles.

La décision de la bureaucratie stalinienne de sauvegarder ses propres intérêts en liquidant l’Union soviétique et en restaurant le capitalisme a permis à l’OTAN d’étendre son champ d’action jusqu’aux frontières occidentales de la Russie.

Gorbatchev n’est pas le seul à mettre en garde contre les dangers inhérents au conflit ukrainien. L’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger, qui a été mêlé à d’innombrables crimes de l’impérialisme américain, s’est exprimé jeudi dernier devant le Comité des forces armées du Sénat américain. Il s’est déclaré « mal à l’aise à l’idée de débuter un processus d’engagement militaire [en Ukraine] sans savoir où cela nous mènera et ce que nous ferons pour le maintenir. »

Kissinger, qui a 91 ans, a ajouté : « Je pense que nous devrions éviter d’entreprendre des démarches successives avant de savoir jusqu’où nous voulons aller. C’est un territoire situé à 300 miles (environ 700 km) de Moscou, qui a donc des implications spéciales en matière de sécurité. »

Les opérations impérialistes en cours en Ukraine, depuis le coup d’Etat de l’an dernier soutenu par les Etats-Unis et l’UE, et ayant à sa tête des fascistes, jusqu’aux combats actuels au Donbass, visent, tout comme les actuelles sanctions contre Moscou, à asseoir l’hégémonie américaine sur toute l’ancienne Union soviétique. En fin de compte, elles visent à faire éclater la Fédération russe elle-même en une série de semi-colonies, ouvrant ainsi la voie au pillage de ses vastes ressources naturelles.

Ces dernières semaines certains Etats de l’UE, notamment la France et l’Italie, avaient signalé qu’ils voulaient reprendre les relations diplomatiques avec la Russie, mais une attaque mortelle à la roquette sur la ville ukrainienne de Marioupol a contribué à remettre ces membres de l’UE au pas derrière le régime des sanctions.

Jeudi 29 janvier, une réunion en urgence des ministres des Affaires étrangères de l’UE a décidé de proroger jusqu’en septembre les interdictions de voyage et le gel des comptes en banque touchant 132 citoyens russes et 28 organisations. Les ministres des Affaires étrangères se réuniront de nouveau le 12 février pour discuter d’une escalade des sanctions économiques contre Moscou.

S’exprimant à l’issue de cette réunion, le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a déclaré, menaçant, « Si une offensive en direction de Marioupol et d’autres régions a lieu, il faudra réagir par des mesures plus évidentes et plus sévères. »

A la suite de la réunion de jeudi, Donetsk avait été soumis à de nouveaux bombardements à l’artillerie. Cinq civils au moins auraient été tués lorsque des obus de mortier ont touché une foule de plusieurs centaines de personnes faisant la queue devant un centre communautaire où on distribuait de l’aide humanitaire.

Deux autres civils auraient été tués par un obus de mortier tombé près d’un arrêt d’autobus. Les bombardements qui se sont poursuivis toute la journée de vendredi, à l’Ouest de Donetsk auraient tué au moins cinq autres civils.

Les séparatistes pro-russes poursuivent leur assaut contre un noeud ferroviaire clé situé entre Donetsk et Lougansk. Ils se sont emparés du village de Vuhlehirsk qui se trouve juste à l’Ouest de la ville de Debaltseve où 8.000 militaires ukrainiens au moins ont actuellement pris position. Si la population civile de cette ville de 25.000 habitants a pour la plupart été évacuée, sept civils au moins auraient été tués vendredi par des bombardements.

Semen Semenchenko, fondateur du Bataillon Donbass, une milice ukrainienne nationaliste qui a été intégrée à la Garde nationale ukrainienne, a rapporté que les forces soutenues par Kiev à Debaltseve avaient subi des tirs d’artillerie, de mortiers et de roquettes grad.

Les pourparlers de cessez-le-feu organisés sous les auspices de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et devant reprendre vendredi n’ont même pas pu débuter. Vladislav Deinego et Denis Pushilin, les représentants des séparatistes pro-russes, ont annoncé qu’ils quittaient Minsk pour Moscou, le représentant de Kiev, l’ancien président Leonid Kuchma, n’étant pas venu.

Le gouvernement ukrainien et ses bailleurs de fonds aux Etats-Unis et dans l’UE se sont montrés peu intéressés à aboutir à un compromis avec les rebelles. S’exprimant la semaine passée au Conseil de sécurité des Nations unies, l’ambassadrice américaine Samantha Power a rejeté le dernier plan de paix russe qu’elle a qualifié de « plan d’occupation. »

Pour tenter de relancer à tout prix son économie et éviter les ravages d’une récession, la banque centrale russe a annoncé vendredi à la surprise générale qu’elle abaissait de deux points de pourcentage son taux directeur pour le ramener à 15 pour cent. Cette décision survient près d’un mois après qu’elle a relevé ce même taux d’intérêt de 6,5 points de pourcentage, le portant à 17 pour cent, pour tenter d’endiguer le déclin du rouble. La monnaie russe a perdu plus de 17 pour cent de sa valeur depuis le début de la guerre.

La décision soudaine de la Banque de Russie est un signe que le régime de sanctions, associé à l’effondrement des prix du pétrole, contribue à créer en Russie une crise politique et économique de plus en plus importante. Selon des rapports préliminaires des Services statistiques de la Russie, l’économie du pays n’a connu qu’une croissance de 0,6 pour cent en 2014. Citigroup estime que si le prix moyen du pétrole Brent reste déflaté, l’économie de la Russie se contractera de 3 pour cent en 2015.

(Article original paru le 31 janvier 2015)

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