Perspectives

Les meurtres policiers et l'effondrement de la démocratie en Amérique

Il est désormais clair que la police fonctionne, dans les communautés ouvrières et sur tout le territoire américain, quasiment comme des escadrons de la mort qui battent et tuent les gens en toute impunité.

Une réalité démontrée une fois de plus vendredi avec le meurtre d’Anthony Terrell Robinson, 19 ans, à Madison, dans le Wisconsin. Ce lundi, quelques quinze cents personnes, dont des centaines de lycéens, se sont rassemblées à l'intérieur de l’édifice du parlement de l’Etat pour protester contre ce meurtre.

Matt Kenny, un policier de Madison ayant douze ans d’ancienneté, est entré en force dans la maison où logeait Robinson et a tiré plusieurs balles sur l'adolescent qui n’était pas armé. Le policier, qui avait déjà en 2007 tiré sur un autre homme et l’avait tué, a ensuite affirmé que Robinson l'avait agressé. Il y a huit ans, il avait été disculpé et avait même reçu une mention élogieuse.

Robinson avait tout juste obtenu son diplôme de fin d’études secondaires et se préparait à entrer à l’Area Technical College de Milwaukee pour y faire des études commerciales.

Chaque jour, des millions de travailleurs et de jeunes des États-Unis ont à faire aux menaces, à l'intimidation, aux coups et même aux assassinats aux mains de flics dont l’insigne constitue un permis de tuer. La violence et la terreur arbitraires de la police sont, avec le chômage de masse chronique, l'aggravation de la pauvreté et la diminution des possibilités d'éducation, des réalités de la vie quotidienne.

Robinson est la 192e personne tuée par la police aux États-Unis cette année. Il y eut cinq nouvelles victimes dans les trois jours écoulés depuis sa mort. Selon les statistiques officielles, le nombre d'Américains tués par des flics en 2013 était le plus élevé depuis des décennies.

La mère de Robinson a dit que le jeune homme parlait de la brutalité de la police « en permanence » et avait été profondément affecté par les manifestations de l'été dernier contre la violence policière à Ferguson (Missouri).

On a pu voir quelques jours seulement avant la mort de Robinson comment l'Etat approuvait « de facto » les meurtres policiers lorsque l'administration Obama a annoncé qu'elle ne poursuivrait pas Darren Wilson, le policier de Ferguson qui a tué un autre jeune Afro-américain non armé, Michael Brown, en août dernier.

Prenant la parole devant des étudiants lors d'une réunion, vendredi dernier, à la mairie de Columbia en Caroline du Sud, le jour même où Robinson était tué, Obama a défendu la décision du ministère de la Justice d’innocenter Wilson qui avait, au grand jour, tiré au moins six balles sur Brown. Obama a salué la police, qui faisait son travail de façon « équitable » et « héroïque. »

« L’agent Wilson, » a déclaré Obama, « bénéficie comme toute personne accusée d'un crime, d'un procès régulier et d’une norme de doute raisonnable. Et s'il y a incertitude quant à ce qui s’est passé, alors vous ne pouvez de toute façon pas l'inculper juste parce que ce qui est arrivé est tragique. »

Voilà une falsification sidérante de la notion de procès régulier telle qu’elle est définie par la Constitution des Etats-Unis. Son résultat est d'empêcher en pratique la poursuite de flics, quelque soit la brutalité de leurs crimes. Obama a ignoré le fait que Wilson n'avait pas été inculpé et a justifié cette parodie de justice en substituant la norme de la preuve requise pour condamner un accusé lors d’un procès, la culpabilité hors de tout doute raisonnable, à la norme beaucoup plus lâche de la cause probable, utilisée pour engager des poursuites criminelles.

La « cause probable » pour inculper Wilson d’assassinat était plus que suffisante, étant donné l’existence de plusieurs témoignages; il en était de même pour une inculpation du flic de New York, filmé en train de tuer Eric Garner par étouffement, qui n’a fait, lui non plus, l’objet d’aucune inculpation.

La Maison-Blanche a étendu à la police l'immunité de facto s’appliquant déjà aux agents supérieurs de l'Etat capitaliste, comme les tortionnaires de la CIA et leurs supérieurs, et à ceux, dont Obama lui-même, qui commandent l'assassinat extrajudiciaire de terroristes présumés, citoyens américains inclus. Ce statut d’ « intouchables » s'applique également aux criminels de Wall Street qui ont plongé les Etats-Unis et le monde dans le marasme économique et ont utilisé une catastrophe qu’ils ont eux-mêmes produite pour tricher et voler avec encore moins de contrainte, s’enrichissant encore dans le processus.

Alors qu’Obama exige la quasi-certitude de la culpabilité avant d'inculper les policiers tueurs, leurs victimes n’ont elles, absolument aucun droit. L'invocation éloquente par la Déclaration d'indépendance des Etats-Unis de « la vie, la liberté et la poursuite du bonheur » est vidée de son sens dans une société où la police exerce la fonction du juge, du jury et du bourreau, libre de mettre fin à la vie d'un jeune comme Tony Robinson, sachant qu'elle n’aura pas à rendre de comptes.

Que la police se comporte sur une grande partie du territoire américain comme l'équivalent de forces paramilitaires de contre insurrection et d'occupation a été indiqué dans le propre rapport du ministère de la Justice sur les abus systématiques commis par la police à Ferguson. Rapport publié le jour où on annonça que le policier Wilson ne serait pas inculpé.

Le rapport déclarait que « les agents violent le quatrième amendement en interpellant des personnes sans soupçon raisonnable, en les arrêtant sans cause probable, et en utilisant une force excessive. » Il notait encore que « les gens sont punis parce qu’ils répondent à des policiers, voire parce qu’ils enregistrent des activités publiques de la police ou protestent légalement contre ce qu’ils perçoivent comme des injustices. »

Le rapport citait l'exemple de policiers incitant un chien à attaquer un garçon de quatorze ans, puis « le [frappant] alors qu'il était au sol, l'un d'entre eux appuyant son brodequin sur le côté de sa tête, » et qui ont ensuite ri de l'incident.

Si M. Obama allègue que le régime de terreur de Ferguson n’est pas « endémique » en Amérique, le gouvernement fédéral a lui, publié des rapports similaires l'année passée sur les services de police des villes de Cleveland et Albuquerque, au Nouveau-Mexique, qui montrent le contraire. Les mêmes conditions prévalent à New York, Chicago, Los Angeles, Detroit et toutes les autres villes du pays.

Comment s’explique la vague croissante des violences et des assassinats policiers? Les tentatives visant à l’attribuer à quelques « brebis galeuses » ou même à la simple corruption sont dérisoires. Un phénomène d'une telle virulence et d’une telle ampleur refléte nécessairement des facteurs objectifs profondément enracinés dans la structure de la société. Même si on voulait en donner la principale responsabilité à une tendance au meurtre et à l’arriération sociale dont le racisme de flics individuels, la question qui se pose alors est pourquoi on recrute tant de ces éléments dans les services de police du pays.

Les États-Unis sont déchirés par des contradictions sociales et de classe qui ne peuvent plus être contenues dans le cadre des procédures démocratiques bourgeoises. D'abord et avant tout il y a la croissance de plus en plus virulente de l'inégalité sociale. Cela va de pair avec l’escalade de la violence et de l'agression militaire au plan international, grâce à laquelle la classe dirigeante américaine cherche à compenser son déclin économique; par la guerre et le pillage.

Guerre sans fin et militarisme à l'étranger alimentent la militarisation de la société à l’intérieur. La classe dirigeante américaine considère la classe ouvrière américaine comme son plus grand ennemi. Elle vit dans la crainte perpétuelle d'une opposition de masse à l'inégalité sociale, à la guerre et à la répression. D'où la militarisation de la police sur le sol américain et l'utilisation croissante des méthodes de la contre insurrection, de l’assassinat et de la répression employées en Iraq, en Afghanistan et dans d'autres pays contre les travailleurs et les jeunes aux Etats-Unis mêmes.

Madison, la capitale de l'État du Wisconsin, a été le théâtre en 2011 de manifestations de masse des travailleurs et des jeunes contre l'offensive menée par le gouverneur républicain Scott Walker (qui recherche actuellement la nomination de son parti pour l’élection présidentielle) pour réduire les dépenses sociales, diminuer les pensions des salariés du secteur public et ôter aux travailleurs le droit de négocier collectivement.

Le mois dernier, Walker, se référant à la guerre américaine contre l'EI, a déclaré: « Si j’ai pu affronter 100 000 manifestants, je peux faire la même chose partout dans le monde, » établissant implicitement un signe d'égalité entre les manifestants de la classe ouvrière et les groupes terroristes dont les États-Unis visent l'anéantissement.

La déclaration de Walker reflète l'état réel des rapports de classe en Amérique. Il a souligné le fait que la division essentielle en Amérique est celle qui existe entre la classe ouvrière et les capitalistes. Ce fait est délibérément obscurci par l'establishment politique et les médias, tout comme par leurs annexes dans la pseudo-gauche, par une concentration sur la seule question de la race.

Si le racisme joue sans aucun doute un rôle dans la violence policière, les tentatives de présenter la question comme essentiellement une question de race sert à empêcher la classe ouvrière de reconnaître que la cause première de la répression et de la pauvreté est le système capitaliste, et que la défense des droits démocratiques nécessite l'unification de toutes les sections de la classe ouvrière dans la lutte pour le socialisme.

(Article original publié le 10 mars 2015)

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