Le pétrolier français Total utilise des fonds chinois pour financer ses opérations russes

Contournant les sanctions imposées contre la Russie par les Etats-Unis et l'Union europénne, Total développe un projet de $27 milliards pour construire un terminal méthanier à Yamal, en Sibérie. Les sanctions bloquent l'accès de Total aux banques américaines ou européennes pour financer ce projet, et Total compte donc faire appel à des banques chinoises pour un montant de $15 milliards. 

Le PDG de Total, Patrick Pouyanné, a dit au Wall Street Journal que Total financerait le projet en euros et en yuan, la devise chinoise. Il a dit qu'il y avait « un grand volontarisme de développer le financement du projet [chez les institutions financières chinoises] et, soyons clairs, ce n'est pas facile. Nous aurions préféré le faire en dollars ». 

« Le business du pétrole et du gaz se fait en dollars, donc quand on utilise d'autres devises, il y a des risques monétaires », a-t-il dit, soulignant le risque de mouvements soudains des taux de change entre le dollar, l'euro, le yuan et le rouble, la devise russe. « On peut couvrir le risque en euro facilement. C'est plus compliqué pour le yuan et pour le rouble ». 

Le projet lancé par Total à Yamal serait le plus grand partenariat privé international entrepris par des banques chinoises, selon le WSJ, dépassant un prêt de $12 accordé à Daimler en 2013 par un consortium de banques dont deux étaient chinoises. Total, le principal pétrolier français avec un chiffre d'affaires de $235.9 milliards en 2014, mise beaucoup sur le développement de sa production en Russie. Total prévoit de produire l'équivalent de 400,000 barils de pétrole par jour en Russie en 2020, environ un cinquième de sa production mondiale. 

Le projet Yamal est éminemment politique et stratégique, et le président russe Vladimir Poutine se serait impliqué personnellement dans les négociations liées au projet. Total escompte une production annuelle de 16,5 millions de tonnes de gaz naturel liquiéfié (GNL), destinées aux marchés européens et asiatiques, notamment chinois. Le pétrolier partage 20 pour cent du projet avec l'entreprise russe Novatek et avec la China National Petroleum Corporation. 

Ce projet souligne les tensions inter-impérialistes croissantes provoquées par la course à la guerre de l'OTAN contre la Russie à propos de l'Ukraine, et la fragilité du rôle du dollar en tant que devise mondiale. 

La nouvelle que les banques chinoises aideraient à financer le projet Yamal s'est répandue peu après l'annonce qu'une large coalition de pays – dont la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la France, l'Italie, la Corée du Sud, et l'Australie – rejoindrait la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (AIIB) financée par la Chine. 

Le leadership financier et militaire des affaires collectives de l'impérialisme mondial par Washington en Eurasie est de plus en plus contesté. La crise provoquée en Ukraine par le putsch de février 2014 à Kiev, soutenu par Washington et par Berlin, menace le monde d'une catastrophe nucléaire. François Hollande a déjà souligné le risque d'une guerre « totale » entre la Russie et l'OTAN. 

Alors que les multinationales américaines et européennes cherchent à diviser entre elles les marchés russes et asiatiques, le conflit économique sur la division des profits monte. 

L'année dernière, Washington avait contraint Paris à abandonner la livraison de quatre navires Mistral à la Russie, prévue par un accord conclu en 2011. 

En février 2014, les autorités américaines avaient bloqué une délégation française à Téhéran et menacé de punir sévèrement toute infraction aux sanctions contre l'Iran par une société française. 

En juin dernier, les autorités financières américaines avaient infligé une amende de $9 milliards à la plus grande banque française, BNP Paribas, parce qu'elle avait contourné des sanctions américaines affectant le Soudan, l'Iran, et Cuba. Poutine a dit que l'amende était en fait dirigée contre le manque d'enthousiasme des dirigeants français pour les opérations américaines contre la Russie en Ukraine. 

A présent, les sanctions américaines contre la Russie et le « pivot vers l'Asie » de Washington, destiné à isoler la Chine, menacent de couper les multinationales européennes d'investissement lucratifs sur des marchés chinois en expansion. 

Alors que la Chine se tourne vers la Russie pour son approvisionnement énergétique afin d'éviter de transporter son énergie par des voies maritimes menacées par la marine américaine, la Russie se tourne vers la Chine pour vendre du pétrole et du gaz menacés de sanctions à l'Ouest. 

En mai dernier, Poutine avait signé à Shanghai un accord de $400 milliards avec les dirigeants chinois, et trois mois plus tard, les travaux commençaient sur des pipelines reliant la Sibérie à la Chine. 

Les capitalistes français et européens s'inquiètent de plus en plus de ce que les sanctions américaines leur enlèvent des parts de marché et des profits juteux. Le 25 mars, des hommes d'affaires français et russes se sont rencontrés à Paris pour renforcer leurs liens économiques et exprimer leurs inquiétudes quant aux sanctions contre la Russie. 

Trente-sept des sociétés du CAC-40 sont implantées en Russie, ainsi que 1.200 PME françaises. Total, Renault, Danone, Sanofi, Auchan, et Decathlon y emploient tous plus de 50.000 travailleurs. 

Michèle Assouline du Medef a dit à cette rencontre que les décisions politiques s’étaient transformées en arme économique et que les sanctions qui semblaient cibler la Russie étaient en fait dirigées contre les sociétés françaises.

 

Claude Goasguen, le maire de droite du très bourgeois 16e arrondissement de Paris, a carrément déclaré qu’en fait, l'Europe n'était pas d'accord avec la façon dont les sanctions étaient appliquées.

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