Les syndicats du Québec font semblant de lutter contre l’austérité

Les travailleurs ont besoin d’une perspective socialiste

Les politiques d’austérité entrainent la destruction des emplois, le démantèlement des services publics et une détérioration des conditions de travail pour les travailleurs qui prodiguent ces services. Ces politiques ne sont pas seulement le fait du gouvernement libéral du Québec. Elles sont imposées par l’élite dirigeante partout au Canada, en Amérique du Nord et à l’échelle internationale. 

Le caractère universel de cet assaut anti-ouvrier, qui est dicté par les marchés financiers mondiaux, signifie que les travailleurs doivent eux aussi adopter un point de vue global. L’opposition aux mesures de démolition sociale du gouvernement Couillard doit être basée sur la compréhension qu’il ne s’agit pas de contester les mesures d’un gouvernement en particulier, mais de remettre en cause un système économique et social qui a fait faillite: le capitalisme mondial. 

Le principal obstacle à la lutte pour les services publics, ce sont les syndicats pro-capitalistes. Depuis de longues années, ils consacrent toutes leurs énergies à étouffer la colère sociale des membres de la base et à imposer les concessions et l’austérité. 

Après avoir promis un «printemps chaud», les syndicats ont évité de s’associer à la grève étudiante anti-austérité de mars dernier sous le prétexte qu’ils préparaient plutôt une mobilisation de masse à l’occasion du 1er mai. Mais craignant avant tout l’entrée en lutte des membres de la base, les chefs syndicaux ont refusé d’organiser ne serait-ce qu’une grande manifestation pour célébrer la journée internationale des travailleurs. 

Alors que le gouvernement Couillard, agissant au nom de toute l’élite dirigeante, a déclaré la guerre aux travailleurs par des compressions budgétaires massives, un assaut sans précédent sur les régimes de pensions et l’élimination de milliers d’emplois dans les secteurs de la santé et de l’éducation, les syndicats plaident en faveur d’une «négociation de bonne foi» et pour que l’équilibre budgétaire soit repoussé d’un an. 

Il y a quelques jours, les présidents des deux grandes centrales syndicales de la province, André Boyer de la FTQ et Jacques Létourneau de la CSN, rencontraient le président du Conseil du patronat du Québec, Yves-Thomas Dorval, pour appeler à un «véritable dialogue social». 

Le système de «négociation» et de «dialogue social» a pour objectif principal de confiner les travailleurs à un rôle de spectateurs passifs alors que leurs intérêts économiques et leurs droits démocratiques sont bafoués par l’élite dirigeante avec la complicité des syndicats. 

Par exemple, le projet de loi 3 du gouvernement Couillard, adopté en décembre dernier, a essentiellement rouvert les conventions collectives des employés municipaux pour augmenter leur part des cotisations aux caisses de retraite et diminuer le niveau des prestations – un recul majeur que les syndicats se disaient toujours prêts à accepter à condition qu’il soit «négocié». 

C’est un scénario similaire que préparent les centrales syndicales pour le demi-million de travailleurs du secteur public dont les conventions collectives sont échues depuis le 31 mars dernier. 

Plusieurs facteurs, toutefois, placent les membres de la base sur la voie d’une collision non seulement avec le gouvernement Couillard, mais aussi avec les appareils syndicaux. Il y a l’expérience amère et encore fraiche du projet de loi 3, ainsi qu’un ras-le-bol général dans la population face au démantèlement des services sociaux et publics et face à l’explosion des inégalités sociales. 

Il règne aussi une vive colère parmi les employés des hôpitaux, des écoles et des autres établissements publics suite aux «offres» gouvernementales qui se résument à une baisse du salaire réel, une charge de travail accrue et des pensions réduites. Des enseignants d’une trentaine de cégeps de la province seront d’ailleurs en grève pour une journée à l’occasion du 1er mai. 

Mais la question clé est l’élaboration d’une alternative politique socialiste à la perspective pro-capitaliste et nationaliste des syndicats. 

En opposition aux appels incessants des chefs syndicaux en faveur de la paix sociale, les travailleurs du secteur public doivent se préparer à un affrontement politique avec le gouvernement Couillard et toute l’élite dirigeante, ainsi que son appareil de répression étatique, y compris la police et les tribunaux. 

Les syndicats cherchent à enfermer les travailleurs dans la camisole de force du système de négociation collective qui sert à imposer les dictats de la grande entreprise et du gouvernement. Les chefs syndicaux soutiennent que les travailleurs du secteur public ne peuvent mener la moindre action sérieuse avant une longue période de médiation et de préavis de grève, c’est-à-dire pas avant l’automne ou l’année 2016, et que toute grève doit respecter à la lettre les lois anti-syndicales adoptées par divers gouvernements libéraux et péquistes. Un débrayage en violation de ces lois serait une «bombe atomique», s’est exclamée le mois dernier la vice-présidente de la CSN, Francine Lévesque. 

Pendant ce temps, le gouvernement Couillard utilise l’appareil répressif de l’État capitaliste pour intimider les travailleurs et les jeunes. Début avril, il a ordonné une violente intervention policière à l’intérieur des murs de l’UQAM pour casser la grève étudiante. Cette semaine, il a fait appel à la Commission des relations du travail pour demander l’interdiction de la grève d’une journée votée par les enseignants de cégep à l’occasion de la Fête des travailleurs. 

En repoussant les «offres» du gouvernement Couillard avec tout le mépris qu’elles méritent, les travailleurs du secteur public sont engagés dans une lutte politique qui soulève la question fondamentale de savoir quelle classe dirige la société et au nom de quels principes. Ils doivent faire de la lutte contre le gouvernement Couillard le coup d’envoi d’une vaste contre-offensive de tous les travailleurs du Canada – français, anglais et immigrés – pour la défense des emplois, des pensions et des programmes sociaux. 

Une telle lutte doit s’inscrire dans la perspective d’établir un gouvernement ouvrier qui réorganiserait l’économie afin de satisfaire les besoins humains, et non les profits d’une minorité de super-riches. C’est dans ce contexte que les employés du secteur public doivent se préparer dès maintenant à défier les lois anti-grèves qui violent leurs droits démocratiques et à lutter pour mobiliser toute la classe ouvrière dans une grève générale politique visant à renverser le gouvernement libéral de Philippe Couillard. 

La bureaucratie syndicale – de même que les associations étudiantes et les organismes communautaires qui gravitent autour d’elle – présente les mesures d’austérité du gouvernement Couillard comme une attaque sur le «modèle québécois». 

Cette position nationaliste vise à garder les travailleurs attachés au système capitaliste. Les programmes sociaux, qui ont été établis au Québec dans les années 60 dans le cadre d’une rébellion de la classe ouvrière internationale, sont plutôt présentés comme le fruit d’un choix de société purement «québécois», basé sur un régime spécial de concertation tripartite entre syndicats, patronat et gouvernement. 

La logique de cette position est que les travailleurs du Québec devraient se tourner, non pas vers leurs frères et sœurs de classe du Canada dans une lutte commune contre le système de profit, mais vers les sections de la bourgeoisie québécoise qui sont ouvertes au «dialogue social» – c’est-à-dire qui sont prêtes à utiliser les services de la bureaucratie syndicale, et d’autres couches privilégiées des classes moyennes, pour étouffer la lutte des classes et imposer les dictats des marchés financiers. 

Cette perspective réactionnaire a pris depuis longtemps la forme d’une alliance politique de longue date entre les syndicats et le Parti québécois (PQ), qui représente la section souverainiste de la classe dirigeante. 

Le PQ se prépare maintenant à choisir pour prochain chef, Pierre-Karl Péladeau – un richissime homme d’affaires du Québec, identifié à la section de l’élite dirigeante qui réclame le démantèlement des programmes sociaux, un programme massif de privatisations et l’abolition des droits syndicaux. De manière prévisible, les bureaucrates syndicaux ont réagi en réaffirmant leur soutien au PQ, endossant Martine Ouellet comme la «candidate des travailleurs» à la direction du PQ. 

La subordination politique des travailleurs au PQ et la promotion du nationalisme québécois servent à isoler les travailleurs du Québec de leurs frères et sœurs de classe du reste du Canada, et à désamorcer les crises sociales en les canalisant sur des voies inoffensives pour l’ordre capitaliste existant. L’exemple le plus récent a été fourni par la grève étudiante de 2012, que les syndicats ont d’abord isolée, puis détournée derrière l’élection du gouvernement péquiste de Pauline Marois, qui a vite fait d’imposer ses propres mesures draconiennes d’austérité. 

Québec solidaire, un parti nationaliste «de gauche», formé de déçus du PQ et d’éléments des classes moyennes issus des groupes communautaires et de la pseudo-gauche, demeure entièrement dans l’orbite du PQ et aspire seulement à devenir partie prenante de l’establishment dirigeant. 

Le mouvement qui lui sert de modèle, la coalition de la «gauche radicale» de Syriza, a été porté au pouvoir en Grèce en faisant campagne contre l’austérité. Mais devant la résistance prévisible de l’élite dirigeante européenne, Syriza a abandonné toutes ses promesses électorales en un temps record, acceptant d’imposer les sévères mesures d’austérité auxquelles il se disait opposé. Le parti d’une section de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie grecques, Syriza s’est refusé à lancer un appel à la seule force ayant le pouvoir de briser l’emprise de l’élite financière mondiale sur la vie économique: la classe ouvrière européenne et mondiale. 

Comme un premier pas dans la lutte contre l’austérité, les employés du secteur public devraient mettre sur pied des comités indépendants formés de travailleurs militants de la base et complètement indépendants des syndicats. Ces comités de lutte lanceraient un appel large à toutes les couches de travailleurs et de jeunes afin de préparer une grève générale politique de toute la classe ouvrière, en défi aux lois anti-syndicales. La lutte contre l’austérité au Québec pourrait ainsi devenir le fer de lance d’un mouvement de la classe ouvrière à travers le Canada et toute l’Amérique du nord, pour des gouvernements ouvriers et une réorganisation socialiste de la société.

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