Après l’élection de Péladeau, Québec solidaire demeure soudé au Parti québécois

C’est sans grande surprise que le magnat de la presse et ultra-droitier notoire Pierre-Karl Péladeau est devenu le nouveau chef du Parti québécois (PQ) le 15 mai dernier. Tout au long de la course à la direction, Péladeau était considéré comme le favori. Il était soutenu par de hauts dirigeants du parti, d’anciens premiers ministres péquistes, ainsi qu’une section de la bureaucratie syndicale.

La victoire de Péladeau confirme – pour ceux qui pourraient en douter encore – que le Parti québécois est un parti de la grande entreprise, entièrement voué à défendre l’élite financière et patronale. En fait, son élection représente une nouvelle étape dans le profond virage à droite opéré par le PQ au cours des dernières décennies.

Le fait que le richissime homme d’affaires soit également un ardent souverainiste est un éloquent commentaire sur la véritable nature de classe du projet de l’indépendance du Québec.

Depuis des années, Péladeau joue un rôle idéologique de premier plan pour tourner le débat politique franchement à droite. Par le contrôle de son empire médiatique Québecor, Péladeau sert de porte-voix aux sections les plus rapaces de l’élite dirigeante – y compris d’anciens dirigeants péquistes et libéraux ayant publié un manifeste des «lucides» en 2005 – qui réclament d’un côté une baisse massive de l’impôt sur les riches et la grande entreprise, et de l’autre, le démantèlement et la privatisation des services publics, la hausse des tarifs et la réduction des salaires et des conditions de travail. Péladeau a lui-même mis en œuvre de vastes restructurations dans ses filiales – au nom de la «convergence» des plateformes médiatiques – qui ont résulté en des pertes de milliers d’emplois.

Ses divers journaux et tabloïds populistes, dont le Journal de Montréal, ont aussi largement contribué à alimenter le chauvinisme anti-immigrant et le nationalisme identitaire.

L’ascension de Péladeau à la tête du PQ a non seulement démasqué les syndicats, qui se sont vite ralliés à lui, mais aussi Québec solidaire (QS). Ce parti des classes moyennes aisées, malgré des «critiques» occasionnelles, est entièrement orienté vers le Parti québécois et fait partie intégrante du mouvement indépendantiste bourgeois.

Comme à chaque fois où le PQ montre son réel caractère de classe, QS a feint l’étonnement et la déception suite à la victoire du magnat de la presse. Après avoir «salué» la victoire de Péladeau, les coporte-parole de QS, Françoise David et Andrés Fontecilla, ont affirmé que «l’aile plus progressiste du PQ du parti a perdu devant un vote qui a privilégié le choix d’un "sauveur"».

Les critiques de Québec solidaire envers Péladeau sont essentiellement réactionnaires et font écho à celles soulevées par Bernard Drainville et d’autres péquistes aspirants durant la course à la direction du parti. Elles sont basées sur l’idée qu’avec Péladeau, le mouvement souverainiste ne pourra pas mobiliser les travailleurs et les gens ordinaires derrière le projet indépendantiste. David a dit que le «style» de Péladeau «n’est pas rassembleur» et qu’il «polarise». Elle ajoute qu’un «homme seul ne fera pas l’indépendance» et que «le pays du Québec s’obtiendra par la mobilisation populaire».

L’idée que l’indépendance serait bénéfique pour la population travailleuse sert à garder les travailleurs politiquement attachés à leur propre classe dirigeante en perpétuant le mythe qu’ils ont plus en commun avec celle-ci qu’avec leurs frères et sœurs de classe du reste du Canada et des États-Unis.

En fait, la séparation du Québec est le projet politique d’une section de la bourgeoisie québécoise qui voit la création d’une République capitaliste du Québec comme un levier pour faire avancer ses propres intérêts économiques et comme un outil idéologique pour accélérer, au nom des «intérêts supérieurs de la nation», le démantèlement des services publics et l’assaut contre les travailleurs.

Quant aux couches des classes moyennes aisées, comme Québec solidaire, qui embrassent pleinement ce projet réactionnaire, elles reniflent une occasion en or d’atteindre les corridors du pouvoir et d'obtenir des postes lucratifs dans la gestion des affaires de l’élite dirigeante.

Si QS garde une certaine distance à l’égard de Péladeau, c’est pour préserver sa prétention à être un parti de «gauche» et pour donner une couverture au projet indépendantiste qui est de plus en plus démasqué comme le projet d’une section de l’élite dirigeante. Les dirigeants de QS ont d’ailleurs indiqué qu’ils maintiendront leur étroite collaboration avec le PQ.

Il y a quelques semaines, Françoise David a affirmé de manière à peine voilée que QS serait prêt à s’allier à un parti dirigé par Pierre-Karl Péladeau. «Québec solidaire est toujours ouvert au dialogue, aux discussions, en particulier lorsqu’il s’agit de préparer la souveraineté», a dit David, ajoutant que «des discussions, il doit y en avoir, il devra y en avoir, quel que soit d’ailleurs le nouveau chef du Parti québécois». Pendant la course à la direction du PQ, alors que tout indiquait que Péladeau deviendrait le nouveau chef, QS a accueilli avec enthousiasme l’appel de la députée péquiste Véronique Hivon à un «rassemblement» des forces indépendantistes.

Au cours des dernières années, Québec solidaire a proposé à maintes reprises de faire alliance avec le PQ, même si celui-ci se tournait toujours plus à droite.

Le cas le plus éloquent a été lors de la grève étudiante de 2012. Lorsque le mouvement de contestation a menacé de s’étendre à la classe ouvrière suite à l’adoption de l’anti-démocratique projet de loi 78 par le gouvernement libéral, Québec Solidaire s’est rallié au slogan mis de l’avant par les syndicats «Après la rue, les urnes» dans le but de détourner la grève derrière l’élection du Parti québécois. Alors que les syndicats et les associations étudiantes faisaient campagne pour le PQ sous le prétexte de barrer la route aux «néolibéraux», QS présentait le PQ comme un moindre mal et proposait de donner carte blanche pendant un an à un gouvernement minoritaire péquiste si QS détenait la balance du pouvoir.

QS a répondu à l’élection de Péladeau de manière complètement malhonnête. «Va-t-il écouter sa base sociale-démocrate ou va-t-il se positionner à droite?», a lancé David. «Je veux bien lui donner une chance, mais j'ai de grandes inquiétudes». Qui David pense-t-elle tromper? Par l’entremise de ses journaux, le richissime homme d’affaires, qu’elle qualifie elle-même d’«anti-syndicaliste acharné», a critiqué systématiquement chaque gouvernement pour ne pas avoir imposé l’austérité assez brutalement et rapidement.

Par ses propos, David encourage également le mensonge que le PQ a déjà été un parti progressiste, et qu’un autre chef pourrait préserver cet héritage. Au contraire, le PQ est un parti de gouvernement de l’élite dirigeante au même titre que les Libéraux. Chaque fois qu’il a été au pouvoir, il a imposé les plus importantes coupures sociales de l’histoire de la province.

Historiquement, le PQ et tout le mouvement nationaliste québécois ont été un instrument de l’élite dirigeante pour diviser les travailleurs de la province du reste de la classe ouvrière canadienne sur la base de la langue et de la culture. Pour empêcher un mouvement unifié de la classe ouvrière à travers le pays, le PQ a alimenté le nationalisme identitaire par divers moyens, l’exemple le plus récent étant la «Charte de la laïcité» anti-démocratique du gouvernement Marois de 2012-14, que Québec Solidaire a endossée.

Loin d’offrir une alternative à ce parti bourgeois, QS tente plutôt, aux côtés des syndicats, de «sauver» le PQ alors que sa popularité est dans un creux historique. En continuant de servir de couverture de gauche au PQ et au mouvement souverainiste, QS bloque la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière et subordonne ainsi les travailleurs au système capitaliste.

Québec solidaire, comme toutes les organisations de la pseudo-gauche à travers le monde, mentionne que son modèle est Syriza, la «Coalition de la gauche radicale» qui a pris le pouvoir cette année en Grèce. Bien qu’il s’était présenté comme un parti «anti-austérité» pour exploiter la colère populaire, Syriza a aussitôt mis en œuvre le programme d’austérité exigé par l’élite financière européenne et internationale.

Québec solidaire, qui a passé les dernières années à courtiser le Parti québécois et qui continuera à le faire sous Péladeau, aspire à jouer un rôle semblable au Québec en tant que partenaire junior du PQ et de la bureaucratie syndicale.

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