Perspectives

Pluton et la Terre

Le survol de Pluton par la sonde New Horizons est une réalisation scientifique et technologique de premier ordre. Pour atteindre l’objet le plus lointain jamais visité dans le système solaire, le vaisseau spatial a parcouru plus de trois milliards de miles (4,8 milliards de kilomètres), utilisant une impulsion gravitationnelle de Jupiter pour réduire de trois ans la durée du voyage. 

This photo was taken on 13 July 2015 when the spacecraft was 768,000 kilometers from Pluto's surface. The heart shape is likely the result of geological activity in Pluto's history. Credit: NASA/JHUAPL/SwRI

La sonde New Horizons est plutôt minuscule, de la taille d'un piano à queue. Compte tenu de la grande distance par rapport au Soleil, la sonde ne pouvait être alimentée par des panneaux solaires. Elle dispose de 24 livres (10,88 kilos) de dioxyde de plutonium qui génèrent seulement 200 watts d’énergie pour faire fonctionner l'engin spatial et ses sept instruments, 12 watts étant mis de côté pour la transmission de données vers la Terre. 

L’énorme distance et la taille de la planète naine ont infiniment accru la difficulté et la complexité de la mission. La gravité de Pluton est trop faible pour attirer un vaisseau spatial se déplaçant à la vitesse qui devait être celle de New Horizons pour faire le voyage en ‘seulement’ neuf ans et demi. 

Le survol à 30 800 miles (49 568 kilomètres) à l’heure fut si rapide que New Horizons n'est resté que quelques minutes à son point le plus bas au-dessus de Pluton. Afin de maximiser le temps de collecte des données, l'engin s'est « éteint » pendant 22 heures, a suspendu les communications avec les contrôleurs au sol tandis que ses instruments balayaient Pluton et ses cinq lunes. 

Lorsque le vaisseau spatial a repris contact avec la à 20h52 (heure de l'Est des USA) le 14 juillet au soir, il y eut des acclamations non seulement au laboratoire de physique appliquée de Laurel, Maryland, mais dans le monde entier où des millions de personnes suivait le survol à la télévision ou sur Internet. 

L'enthousiasme populaire pour cette mission -- des centaines de milliers de personnes ont « aimé » la première photo en couleur de Pluton postée par la NASA sur Instagram, où l'agence spatiale a 3,6 millions d’inscrits – est l’expression d’un sentiments public profond: le désir d'apprendre, d'explorer, de voir des progrès tangibles dans le développement de la science et de la civilisation humaine. 

Considérée un temps comme la dernière et la moins importante des planètes, Pluton est maintenant comprise comme l'objet le plus grand de la ceinture de Kuiper, une vaste région de milliers de petits mondes de glace et de roche qui entoure le Soleil et ses huit planètes. L'étude de Pluton et d'objets similaires apportera une nouvelle dimension à la compréhension de l’origine du système solaire. 

Un demi-siècle à peine après le lancement des premiers vaisseaux spatiaux, des véhicules de fabrication humaine ont visité toutes les planètes du système solaire. Cette année seulement, des sondes spatiales ont étudié Mercure, Mars, les astéroïdes, une comète et maintenant Pluton.

Le contraste entre ces importantes réalisations scientifiques et les crises sociales, économiques et politiques apparemment insolubles de notre propre planète est frappant. Beaucoup demanderont à juste titre: comment se fait-il que notre société peut atteindre et photographier l'objet le plus lointain du système solaire et qu’elle ne peut pas fournir nourriture, vêtements et logements adéquats ou des soins médicaux décents aux humains sur la Terre? 

Il y a cela une réponse simple: la mission vers Pluton n'était pas basée sur les principes du marché. Il n'y avait pas d'actionnaires. Personne n’a fait de bénéfice en lésinant sur l'émetteur radio, le système de propulsion, les instruments pour scruter les lunes de Pluton ou pour analyser sa surface. Personne n'a placé de pari spéculatif sur l'échec de la mission, comme l’ont fait les criminels de Wall Street qui ont fait s’effondrer les marchés financiers en 2008. 

La mission vers Pluton démontre la puissance de la science, mais le capitalisme – surtout, aux États-Unis – attaque systématiquement l'éducation publique, dégrade la compréhension populaire à travers les médias et favorise toutes sortes d'arriération religieuse. La technologie moderne peut produire des avancées étonnantes comme New Horizons, mais sous l'emprise de l’Amérique patronale elle est pervertie au service de l'aristocratie financière et du militarisme mondial. 

Beaucoup plus est possible. L'ensemble de la mission New Horizons a coûté $700 millions – moins que le coût d'un seul bombardier furtif et moins que ce que le patron typique de fonds spéculatif empoche en une seule année. Même dans le budget de l'espace, le gouvernement américain dépense beaucoup plus pour les activités militaires – des satellites espions aux recherches sur les méthodes de guerre de l'espace – que pour tous les projets vraiment scientifiques pris ensemble. 

La mission New Horizons a mobilisé des centaines de scientifiques et de techniciens qui ont consacré les dix dernières années, et pour certains bien plus, à la planification, la préparation et l'exécution de la visite de Pluton. Comparez cela aux centaines de milliers de personnes, certaines tout aussi talentueuses et hautement qualifiées, recrutées par les fonds spéculatifs, les banques d'investissement, les agences d'espionnage comme la NSA et l'armée. 

La mission une fois réussie, des porte-parole de l'impérialisme américain, à commencer par le président Obama, ont essayé de s’en servir à des fins nationalistes, insistant sur le supposé «génie américain. » Le porte-parole de la NASA David Weaver s’est vanté de ce que, « Avec cette mission, nous aurons visité chaque planète et chaque planète naine de notre système solaire, un accomplissement remarquable qu'aucun autre pays ne peut égaler ».

Ce chauvinisme est à la fois dégoûtant et délirant. La science est un effort collectif international. Les succès du programme spatial ‘américain’ dépendent de travaux scientifiques réalisés sur des générations et sur tous les continents. En outre, malgré la démagogie, le programme spatial américain exprime la crise sous-jacente et le déclin du capitalisme américain.

Avant New Horizons, une demi-douzaine d'autres missions vers Pluton ont été abandonnées parce qu'elles n'offraient aucun gain technique-militaire évident. New Horizons lui-même a été sous-financé, et même maintenant, la NASA ne peut pas garantir les ressources nécessaires pour les missions secondaires, après Pluton, dans la ceinture de Kuiper, bien qu'aucun autre engin spatial n'aura cette opportunité pour de nombreuses années, voire pour des décennies. Pendant ce temps, le programme spatial habité est à l'arrêt et dépend de lanceurs russes, même pour maintenir la Station spatiale internationale.

L'immense capacité existant pour des réalisations scientifiques et des progrès technologiques est constamment pervertie par le carnage impérialiste, les conflits entre les États-nations et la subordination de l'activité humaine au principe du profit. Combien d'autres réalisations et de progrès seront possibles, à la fois dans l'espace et sur la Terre, quand la guerre et les inégalités seront abolies avec le système capitaliste!

(Article paru en anglais le 17 juillet 2015)

 

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