La fraude du contrôle des capitaux de Syriza

« Fermer la porte de l’écurie après que le cheval se soit enfui » est peut-être une expression anglaise un peu galvaudée. Rien ne pourrait mieux caractériser pourtant la décision du gouvernement grec dirigé par Syriza d’imposer un contrôle des capitaux et de fermer le système bancaire du pays.

La mesure n’a pas été prise pour prendre le contrôle de l’économie, encore moins pour commencer à nationaliser les banques, le système financier et les grandes entreprises. Elle fut prise en réaction à la décision de la Banque centrale européenne ce week-end de suspendre le financement des banques grecques. Si les banques avaient donc ouvert cette semaine, elles auraient connu une ruée qui les aurait vite rendues insolvables.

Des milliards d’euros, détenus par des Grecs riches, des entreprises et des institutions financières, ont déjà quitté le pays et sont maintenant en sécurité en Europe et ailleurs. Les propriétaires de ce magot se sont préparés à une situation où la Grèce sortirait de la zone euro et retournerait à la drachme. Dans un tel cas, l’argent peut revenir et servir à acheter à vil prix des terres, des entreprises et des biens financiers, car une forte dévaluation vis-à-vis de l’euro suivrait tout retour à une monnaie nationale.

Un commentaire du journaliste économique Wolfgang Münchau sur le site Web du magazine d'actualité allemand Der Spiegel donne une idée de l'ampleur de ce pillage financier potentiel.

A l’apparition de la crise financière grecque en 2010, les dépôts dans les banques du pays se montaient à un peu moins de 300 milliards d’euros. Ces cinq dernières années, ils sont tombés à moins de 175 milliards d’euros. Une baisse qui s’est faite en deux étapes.

Il y eut une baisse de plus de 100 milliards d’euros entre 2010 et 2012 quand il apparut que la Grèce pouvait être forcée hors de la zone euro. Le niveau des dépôts s’est stabilisé au cours des deux années suivantes et le gouvernement grec est entré dans le programme de sauvetage organisé par la troïka – Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international (FMI). Un nouvel exode a commencé au début de cette année, après l’élection du gouvernement dirigé par Syriza.

Ce programme de sauvetage n’avait rien à voir avec une atténuation de la crise économique grecque. C’était au contraire un tour de passe-passe soigneusement organisé grâce auquel les dettes dues par la Grèce aux institutions financières privées étaient transférées au FMI et à l’Union européenne. Sur les plus de 200 milliards d’euros payés, on estime à 11 cents par euro l’argent qui a pu être utilisé pour financer les opérations du gouvernement grec. Le reste a été utilisé dans des opérations tournantes pour rembourser les banques privées et les institutions financières.

On a obligé le peuple grec à payer le prix en imposant un programme d’austérité qui a entraîné la baisse des salaires et des coupes sombres dans les retraites et les services sociaux essentiels. Les conditions de dépression imposées ont mené à une réduction de plus de 25 pour cent du produit intérieur grec.

Les chiffres du PIB montrent que cinq ans après le début de la crise, la Grèce se trouve dans une situation pire que celle des États-Unis cinq ans après le début de la Grande Dépression des années 1930. Même si l’économie grecque devait croître de 2 pour cent par an – le taux de croissance moyen pour l’Europe avant la crise de 2008 — cela prendrait 13 années juste pour revenir à la position de 2007.

Cette catastrophe économique et sociale a été à l’origine de l’élection du gouvernement Syriza, le 25 janvier, sur la base de sa promesse de combattre le programme d’austérité de la troïka et de mettre fin à la paupérisation de la population grecque.

Dès le départ, Syriza, son chef Alexis Tsipras et le ministre des Finances Yanis Vourafakis en tête, s’est opposé à l’introduction de mesures contre la dictature du capital financier. Exprimant toutes les positions politiques avancées par les partis de la pseudo-gauche hostiles au marxisme, Vourafakis a soutenu qu’une perspective socialiste était non seulement tout-à-fait irréaliste, mais qu’elle ouvrirait la voie à des formes autoritaires et même fascistes de pouvoir.

La direction de Syriza, soutenue par les divers groupes pseudo de gauche dans ses rangs alignés sur des groupes tels que l’International Socialist Organisation des États-Unis, a répandu l’illusion qu’il serait possible d’obtenir un allégement de la dette et d’autres concessions à travers des négociations et des manœuvres avec la troïka, la Grèce restant dans la zone euro.

Cette perspective, qui reflète les intérêts économiques directs de secteurs de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie grecques, représentées dans la direction de Syriza, s’appuyait sur deux fausses prémisses.

La première était que toute sortie de la Grèce de la zone euro provoquerait de telles turbulences financières et frapperait directement les intérêts financiers allemands et autres que la troïka serait forcée de se retirer du précipice. C’était ignorer le fait que les opérations de sauvetage avaient largement sorti les banques privées et les sociétés de financement de l’impact immédiat d’un Grexit.

La deuxième était que le gouvernement serait en mesure de monter les différents secteurs de la bourgeoisie européenne les uns contre les autres et que la pression de l’administration Obama, ne voulant pas voir un effondrement de la Grèce et ses effets négatifs potentiels pour les intérêts financiers américains, forcerait la bourgeoisie européenne à changer de cap.

Cette évaluation ignorait cependant un fait élémentaire de la politique, établi de longue date par l’économie politique marxiste. Si divers secteurs de la bourgeoisie peuvent à certains moments avoir des divergences qui reflètent les intérêts de différentes sections du capital, ceux-ci unissent leurs efforts pour faire face à la classe ouvrière et luttent pour les intérêts du capital dans son ensemble. C’est ce qui s’est passé.

Ce qui impulse l’intransigeance du gouvernement allemand et sa capacité à gagner le soutien du reste des élites dirigeantes européennes est qu’il a reconnu que la guerre menée en Grèce n’est qu’une étape dans l’assaut mené contre la classe ouvrière dans toute l’Europe. Toute hésitation en Grèce aurait des conséquences majeures pour le reste du continent. De même, le président Obama est conscient que tout recul opéré en Europe aurait un impact significatif sur les États-Unis.

Le jugement totalement faux de Syriza, s’appuyant sur les conceptions des forces sociales qu’il représente, a déterminé ses actions dès sa prise de fonctions. Il n’a fait aucun préparatifs pour faire face à l’intransigeance de la troïka et a déclaré après chaque gifle reçue, qu’un accord serait néanmoins conclu avec « ses collègues » de la direction de l’UE.

Dans l’intervalle, le capital a continué de fuir vers l’étranger. Selon les chiffres de Münchau, en plus de l’argent expatrié entre 2010 et 2015, plus de 50 milliards d’euros ont quitté le pays après l’arrivée au pouvoir de Syriza en janvier.

Ces chiffres, qui concernent les dépôts bancaires, sous-estiment sans aucun doute beaucoup la fuite des capitaux. Les sociétés et les ultra-riches peuvent transférer grâce à de nombreux mécanismes de l’argent à travers les frontières nationales et le placer dans des refuges, hors du système bancaire officiel.

Le gouvernement dirigé par Syriza n’a pris aucune mesure comme le contrôle des capitaux pour répondre à une situation qui était visible dès le début. Il n’a ni cherché à mobiliser la classe ouvrière en Grèce ni à faire appel au soutien des travailleurs en Allemagne ou ailleurs en Europe. Il a au contraire permis aux sections dominantes de la bourgeoisie grecque de ravager l’économie et de se positionner pour faire des affaires financières en or si la Grèce était forcée de quitter l’euro et de revenir à une monnaie nationale ou à un système hybride avec un mélange des deux.

Syriza a appelé à voter « non » au référendum de dimanche. Mais l’objectif de ce vote n’est pas d’engager une lutte contre l’imposition de la dictature financière. Comme l’a clairement fait savoir Tspiras, la faillite de la voie de la soi-disant « négociation » – en réalité, le processus par lequel Syriza s’est adapté à l’escalade des exigences de la troïka – continuera avec la victoire d’un « non » censée renforcer la position de la Grèce dans les négociations.

Cette orientation n’est pas le produit de l’ignorance ou d’une incapacité à tirer les leçons des cinq derniers mois. Elle est une expression de la base de classe et de l’orientation de Syriza et de sa direction, qui comprennent qu’une véritable lutte contre la dictature financière a des implications révolutionnaires – une éruption de la classe ouvrière par le bas. Ceci est la perspective qu’ils craignent le plus.

Le WSWS préconise un vote pour le « non ». Il insiste cependant pour dire que cela doit se fonder sur une perspective révolutionnaire, à savoir la lutte pour prendre le pouvoir politique par la mise en place d’un gouvernement ouvrier qui prendra le contrôle du système financier, des grandes compagnies maritimes et d’autres grandes sociétés. Une telle perspective ne peut être réalisée que dans le cadre d’une lutte internationale fondée sur la mobilisation de la classe ouvrière à travers l’Europe contre la dictature du capital financier.

(Article paru d'abord en anglais le 30 juin 2015)

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