Perspectives

Une victoire judiciaire pour l'espionnage illégal de la NSA

En juin 2013, un ancien employé la National Security Agency (NSA), Edward Snowden, a commencé à divulguer un trésor de fichiers aux médias qui documentait l'espionnage systématique, illégal et inconstitutionnel mené par la NSA contre la population des États-Unis et du monde entier. Comparés à ces crimes, ceux qui ont contraint Richard Nixon à démissionner de la présidence il y a 40 ans sont insignifiants. Pourtant, deux ans plus tard, ces révélations sont étouffées par les médias et la classe politique. Elles ne jouent aucun rôle dans la campagne présidentielle américaine. 

Une décision de la Cour d'appel américaine pour le District de Columbia (DC Court), la deuxième instance judiciaire du pays, souligne la détermination de la classe dirigeante à maintenir et même à étendre son appareil d'Etat-policier. Un panel de trois juges a annulé une décision antérieure contre la collecte massive de métadonnées téléphoniques par la NSA. 

La décision précédente était la plus importante jusqu'alors sur les questions constitutionnelles soulevées par les nombreuses opérations d'espionnage de la NSA. Elle datait de décembre 2013, six mois après la révélation par Snowden de l'ampleur du programme. Le juge Richard Leon, nommé par George W. Bush, a traité la collecte d'enregistrements téléphoniques de tous les Américains de «presque orwellien ». Il a jugé que le programme violait presque certainement le 4e Amendement de la Déclaration des Droits : « Je ne peux pas imaginer d'invasion plus 'aveugle' et 'arbitraire' que cette collecte et conservation high-tech des données personnelles de pratiquement chaque citoyen, afin de les interroger et les analyser sans autorisation judiciaire ». 

Sa décision allait plus loin qu'une décision en mai 2015 par la Cour d'appel du Deuxième Circuit, qui maintenait seulement que l'USA Patriot Act ne fournissait pas de base juridique pour le programme. Cette décision n'avait pas jugé que le programme lui-même est inconstitutionnel. 

Tout en accordant une injonction préliminaire (rendue avant une évaluation du bien-fondé de la plainte) qui arrête le programme, Leon a suspendu sa décision en attendant un appel par le gouvernement Obama. Le résultat a été annoncé vendredi. En renversant l'injonction, la DC Court a ordonné que l'affaire soit renvoyée au tribunal inférieur pour de nouvelles procédures. 

Deux des trois juges de la DC Court ont rajouté au caractère orwellien du programme en statuant que les plaignants n'avaient pas démontré le bien-fondé de leur plainte, car ils n'avaient pas établi que leurs propres enregistrements avaient été recueillis par la NSA. Malgré le caractère universel de son programme d'espionnage, la NSA refuse de divulguer l'identité des personnes dont elle recueille les dossiers. Ce piège juridique a servi à l'Etat dans plusieurs affaires judiciaires : l'espionnage secret ne peut être contesté, précisément parce qu'il est secret, et que ses victimes ne peuvent donc pas démontrer qu'elles sont ciblées. 

Utilisant des arguments dignes d'un Etat policier, le haut juge de cette cour, Stephen Williams, a écrit : « Les demandeurs se plaignent du fait que le gouvernement ne devrait pas pouvoir éviter la responsabilité simplement en classifiant le matériel. Mais le silence de l'Etat sur l'ampleur de la collecte en masse est une caractéristique du programme, pas un défaut ». 

Un autre juge, David Sentelle, a marqué son accord avec les arguments sur le bien-fondé de la plainte, mais a ajouté dans une note de dissidence que l'affaire devait être écartée complètement, non pas retournée à la cour inférieure. Sentelle, nommé par Reagan, a rendu de nombreuses décisions antidémocratiques, dont l'arrêt de 2007 confirmant la Loi sur les commissions militaires, qui privait les prisonniers détenus à Guantanamo du droit de contester leur détention illimitée (habeas corpus). 

Comme on pouvait le prévoir, le gouvernement Obama a salué la décision. Son secrétaire de presse, Josh Earnest, a déclaré qu'elle confortait « ce que ce gouvernement dit depuis longtemps, à savoir que nous croyions que ces pouvoirs étaient constitutionnels ». 

La décision est conforme aux efforts de l'État pour préserver et intensifier l'espionnage de la NSA. 

Ces efforts incluent le passage de la loi "USA Freedom" en juin. Les médias ont présenté cette loi comme une transformation qui mettait fin à la collecte massive des dossiers téléphoniques. En fait, elle ne fait que transférer la responsabilité pour le stockage des données aux entreprises de télécommunications, tout en élargissant les types de données stockées et donc disponibles à la NSA. Comme le démontrent en outre les documents récemment divulgués par Snowden, les entreprises de télécommunications ont longtemps agi comme sous-traitants du renseignement américain, ce qui rend négligeable l'impact de la loi. 

Deux ans après les révélations explosives de Snowden, la collecte massive de métadonnées continue, et qui plus est avec l'approbation pseudo-juridique du Congrès américain, ainsi que de nombreux autres programmes inconstitutionnels exposés par le lanceur d'alerte. Il n'y a eu aucune enquête sérieuse ou action judiciaire à leur encontre. 

Pas un seul responsable n'a été poursuivi ou autrement tenu responsable d'actions manifestement illégales. Snowden quant à lui est exilé en Russie, ne pouvant rentrer chez lui de peur d'arrestation. D'autres lanceurs d'alerte, tels Chelsea Manning, sont actuellement en prison ; Julian Assange, le dirigeant de Wikileaks, reste piégé dans l'ambassade équatorienne à Londres. 

Après que Snowden a démasqué l'espionnage massif pratiqué par la NSA, l'Etat a réagi comme il réagit à chaque révélation de ses activités illégales. La CIA torture les prisonniers. Le président a ordonné l'assassinat extrajudiciaire des centaines de personnes, dont des citoyens américains. Des prisonniers ont été détenus pendant des années à Guantanamo sans inculpation. Personne n'est obligé de rendre des comptes, personne n'est poursuivi, l'activité illégale continue. 

Les méthodes employées sous couvert de la «guerre contre le terrorisme» sont dirigées de plus en plus contre le peuple américain. La vague incessante de violence policière indique quelle est la cible principale de l'extension de l'appareil de violence et de répression: l'opposition sociale et politique. 

Aucune de s candidats bourgeois, des Républicains de droite au soi-disant « socialiste », Bernie Sanders, ne soulève ces questions dans la campagne présidentielle. La classe dirigeante américaine et ses représentants politiques sont déterminés à maintenir les pouvoirs répressifs pour défendre leurs intérêts à l'étranger et leurs privilèges à l'intérieur du pays.

(Article paru en anglais le 29 août 2015)

 

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