Perspectives

Le scandale des émissions chez Volkswagen

Le scandale de la manipulation des lectures d’émissions des voitures Volkswagen (VW) aux États-Unis a plongé cette entreprise dans une crise majeure. La société qui est, avec Toyota, le plus grand producteur d’automobiles du monde, risque des amendes pouvant aller jusqu’à $18 milliards, des frais massifs liés au rappel de près d’un demi-million de véhicules et d’énormes demandes d’indemnisation. Le ministère américain de la Justice a ouvert une enquête criminelle et un comité du Congrès a annoncé des plans pour une audience sur le scandale. 

VW avait reconnu que les accusations de la US Environmental Protection Agency (EPA) étaient valables. Il a admis qu'il a délibérément trompé les clients américains et les autorités gouvernementales.

Le directeur général de VW Martin Winterkorn, dont le contrat aurait dû être prolongé de deux ans à une réunion du conseil d’administration ce vendredi a démissionné de ses fonctions hier et l’entreprise affronte à présent une lutte de pouvoir au sommet.

« Soyons clairs : notre société a été malhonnête », a déclaré le chef de VW aux Etats-Unis Michael Corne lors de la présentation du nouveau modèle Passat à New York. « Nous avons fait n’importe quoi.»

VW a enfreint la loi de façon calculée en vue de manipuler les lectures d’émissions. Dans les modèles diesel vendus aux États-Unis, l’entreprise a installé un logiciel spécialement conçu pour permettre aux véhicules de déterminer quand ils étaient mis à l’essai et de passer alors automatiquement à un mode réduisant les émissions de polluants. Après l’essai, les voitures reviennent automatiquement au mode normal, augmentant leur libération d’oxydes toxiques de 10 à 40 fois.

VW a utilisé les taux d’émissions peu élevés des tests comme argument de vente sur le marché américain où les voitures diesel ne représentent qu’un pour cent des ventes totales, pourcentage bien plus faible qu’en Europe. Beaucoup d’acheteurs américains ont décidé d’acheter un modèle diesel VW ou Audi parce que, contrairement aux véhicules hybrides des producteurs asiatiques, à taux d’émission faible mais peu maniables, les modèles allemands étaient vus comme respectueux de l’environnement et sportifs.

L’ampleur totale du scandale n’est pas encore connue. On soupçonne que VW n’a pas manipulé les chiffres des émissions qu’aux États-Unis, mais aussi sur d’autres marchés. L’Allemagne, la Suisse, la France et la Corée du Sud ont toutes annoncé des enquêtes sur une manipulation des véhicules diesel.

VW a annoncé mardi que le logiciel avait été introduit sur bien plus de véhicules que l’on ne pensait. Il y a en tout dans le monde entier 11 millions de véhicules avec le modèle de moteur EA189, dont les émissions sont sensiblement plus basses durant les tests qu’en utilisation normale.

Les actions de VW ont chuté de 20 pour cent lundi et encore de 23 pour cent mardi. Cela porte la perte de valeur des actions de la société depuis le début du scandale à €27 milliards.

La question est posée de savoir si d’autres constructeurs manipulent les lectures d’émissions. Outre VW, BMW, Mercedes et beaucoup d’autres sociétés européennes et asiatiques vendent le type de véhicule impliqué dans le scandale. La Süddeutsche Zeitung s'interroge: « La crainte d’une destruction massive dans l’industrie automobile allemande est omniprésente en ce lundi. VW est-il l’exception ? Ou n’est-il que le premier à être découvert? »

Les experts préviennent que le scandale chez VW pourrait conduire à des pertes d’emplois en Allemagne où un emploi sur sept dépend directement ou indirectement de l’industrie automobile. Les véhicules allemands, relativement coûteux, ont pu conserver leur position sur le marché mondial en raison de leur réputation de qualité technique et de fiabilité. Une réputation maintenant menacée.

Il est difficile de savoir qui était au courant de la manipulation. Beaucoup de commentateurs estiment improbable que cela ait pu se faire à l’insu du directeur général Winterkorn, qui dirigeait la société depuis 2007. Comme ses deux prédécesseurs, Bernd Peschetsrieder et le petit-fils de Porsche, Ferdinand Piëch, Winterkorn est un expert technique et non un directeur financier. Il aurait une connaissance approfondie des aspects techniques des véhicules VW.

Plus tôt cette année, Winterkorn avait battu Piëch, qui dirigeait le Conseil de surveillance de VW depuis 2002, dans une lutte pour le pouvoir déclenchée par la tentative de Piëch de le renvoyer. Piëch avait ensuite démissionné de son poste au conseil d’administration.

De nombreux commentateurs ont qualifié l’audace de VW à tromper ses clients et les régulateurs non seulement de criminelle mais aussi de stupide. Ils ont fait valoir qu’il n’était pas difficile de réaliser que l’escroquerie finirait par être découverte et porterait un coup énorme non seulement aux finances mais encore à la réputation de l’entreprise.

VW n’est cependant pas une aberration. Ces dernières années ont vu une série de scandales où les entreprises automobiles ont trompé les régulateurs publics, cachant des négligences graves et des pratiques illégales. Pendant presque une décennie, General Motors a caché un problème de commutateurs d’allumage menant à la défaillance du moteur, à la désactivation de mécanismes de pilotage ou du déploiement des sacs gonflables. La société a seulement commencé à rappeler les 2,6 millions de véhicules affectés lorsqu’au moins 124 personnes ont été tuées et 275 blessées par des accidents causés par ce problème.

La semaine dernière, l’Administration Obama a annoncé un accord avec GM qui évite des sanctions pénales et qui impose une amende symbolique de 900 millions de dollars. Pas un seul responsable de la société n’a été nommé dans cet accord.

Le fournisseur japonais Takata a été visé par le ministère de la Justice des États-Unis pour avoir équipé des dizaines de millions de véhicules dans le monde entier avec des sacs gonflables défectueux. Au moins huit personnes ont été tuées par l’explosion de sacs gonflables et plus de 100 blessées.

Toyota a dû payer 1,2 milliard de dollars d’amendes aux États-Unis et rappeler des millions de véhicules qui accéléraient tout seuls. Au moins cinq personnes sont mortes à la suite de ce défaut.

Des progrès techniques importants ont été réalisés récemment dans le secteur de l’automobile. Les nouvelles technologies et le pilotage digital ont considérablement amélioré la sécurité et le respect de l’environnement des voitures. La voiture électrique à commande automatique n’est plus une utopie. Mais ces progrès techniques sont en conflit permanent avec un système social irrationnel qui subordonne chaque aspect de la vie à la course au profit de l’aristocratie financière.

La criminalité et le manque de scrupules employés par VW et d’autres constructeurs dans la lutte pour les parts du marché mondial reflètent les contradictions inhérentes au système capitaliste, qui rendent impossible le développement rationnel et socialement progressif des forces productives de l’humanité. Ces contradictions fondamentales entre la production socialisée et la propriété privée des moyens de production, et entre l’économie mondialisée et la division du monde en États-nations rivaux, trouvent leur expression politique dans les guerres menées par les grandes puissances pour l’élargissement de leurs sphères d’influence et le contrôle des marchés, dévastant des pays entiers et faisant des dizaines de millions de réfugiés désespérés.

L’autre face de la criminalité des entreprises est l’assaut implacable sur les droits et le niveau de vie des travailleurs. On le justifie en disant qu’il est nécessaire de rester compétitif à l’échelle internationale. Aux États-Unis, les salaires réels, corrigés de l’inflation, de nombreux travailleurs de l’automobile, ont été baissés au niveau qui prévalait sous le régime des « cinq dollars par jour » de Henry Ford dans la première décennie du siècle dernier. En Allemagne, on détruit les salaires en externalisant la production vers les pays à bas salaires d’Europe orientale et en augmentant les emplois à temps partiel et temporaires.

Les alliés les plus proches des constructeurs automobiles dans l’attaque des travailleurs sont les syndicats qui, comme la direction, voient leur principal objectif dans la défense de la compétitivité de leur entreprise contre ses rivaux internationaux.

VW est en tête dans ce domaine. L’entreprise illustre cette forme spécifiquement allemande du « partenariat social ». Nulle part la symbiose entre actionnaires, direction et syndicats n’est si étroite. Winterkorn doit sa position en grande partie au président du comité d’entreprise de VW, Bernd Osterloh, et au syndicat IG Metall dont l’ancien président, Berthold Huber, a dirigé le conseil d’administration de VW jusqu’à il y a quelques jours.

Aux États-Unis, les travailleurs de l’automobile commencent à se rebeller contre les attaques des constructeurs et ils entrent en conflit aigu avec le syndicat UAW. Les travailleurs de VW devraient déclarer leur solidarité avec leurs frères et sœurs Américains. Seule une lutte unie internationale pour le socialisme à savoir la réorganisation de la société basée sur la satisfaction des besoins sociaux plutôt que la recherche du profit privé peut stopper les activités criminelles des entreprises, la destruction des emplois des travailleurs et l’abaissement de leur niveau de vie.

(Article paru en anglais le 23 septembre 2015)

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