L'UE prépare un plan pour refouler des réfugiés en masse hors d'Europe

Le discours sur l'état de l'Union européenne (UE) du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker mercredi a mis en évidence le gouffre politique séparant la solidarité populaire pour les réfugiés arrivant en Europe des politiques vindicatives de la classe dirigeante. Alors que les sondages en Allemagne montrent un large soutien pour donner l'asile à tous les réfugiés, des milliers de personnes se mobilisent pour accueillir et aider ceux qui arrivent en Allemagne et en Autriche, l'UE elle, se prépare à refouler des réfugiés en masse. 

Juncker a dévoilé une proposition visant à dépenser une somme pitoyable pour un système de quotas qui fera que seule une petite fraction du nombre total de réfugiés resterait en Europe. « Depuis le début de l'année, près de 500.000 personnes ont pris le chemin de l'Europe », a-t-il dit, principalement depuis la Syrie et la Libye. Quelque 213 000 sont en Grèce, 145 000 en Hongrie, et 115 000 en Italie. 

Il a néanmoins proposé un système de quotas qui accueillera seulement 160 000 réfugiés, moins d'un tiers du nombre total, et qui les distribuera de force dans divers pays de l'UE, même vers des pays où les réfugiés peuvent ne pas vouloir aller. Le programme de quotas recevrait €780 millions ($875 millions) d'aide budgétaire de l'UE.

Juncker a donné l’image d’autorités européennes débordées par des événements qu’elles ne contrôlaient plus. Il a dit sombrement, «notre Union européenne n'est pas dans un bon état » et prédit que la crise des réfugiés, comme les guerres en Syrie et en Libye, continuerait indéfiniment. « Soyons clairs et honnêtes avec nos citoyens, souvent inquiets: aussi longtemps qu’il y a une guerre en Syrie et la terreur en Libye, la crise des réfugiés ne va pas simplement disparaître, » a-t-il dit et, « Je ne veux pas créer l'illusion que la crise des réfugiés sera terminée bientôt. Elle ne le sera pas. » 

En effet, après que le président français François Hollande et le premier ministre britannique David Cameron ont appelé cette semaine à des frappes aériennes accrues en Syrie, les pouvoirs de l'UE semblent n'avoir aucun autre projet à part une nouvelle escalade de la crise syrienne. 

Juncker a également décrit une situation intérieure européenne désastreuse. « La situation économique et sociale parle d’elle-même: plus de 23 millions de personnes sont encore au chômage aujourd'hui dans l'Union européenne, plus de la moitié sans emploi depuis un an ou plus. Dans la seule zone euro, plus de 17,5 millions de personnes sont sans emploi. Notre reprise est entravée par les incertitudes mondiales. La dette publique dans l'UE atteint plus de 88 pour cent du PIB en moyenne et se situe à près de 93 pour cent dans la zone euro. La crise n'est pas terminée. Elle a juste été mise en pause », a-t-il dit. 

Le contenu de son discours constitue un réquisitoire contre l'ordre social. Les guerres de changement de régime que les pouvoirs de l'UE ont lancées avec Washington en Libye et en Syrie, utilisant les milices islamistes réactionnaires comme forces par procuration, ont dévasté des sociétés entières. Alors que les réfugiés affluent en Europe, l'élite dirigeante européenne refuse de les aider, mais se chamaille violemment sur la façon de répartir la responsabilité de les accueillir ou de les expulser.

L'Europe reste le continent le plus riche du monde. Néanmoins, l'UE prévoit de dépenser bien moins pour la crise des réfugiés que des pays du Moyen-Orient beaucoup plus pauvres qui dépensent des milliards pour loger des millions de réfugiés. Pour ce qui est des seuls réfugiés syriens, 1.938.999 sont hébergés en Turquie, 1.113.941 au Liban, 629 266 en Jordanie, 249 463 en Irak et 132 375 en Egypte, selon les statistiques des Nations Unies. Plus de sept millions de personnes ont été déplacées en Syrie même. 

Cette situation a suscité une protestation du premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, parue dans le Guardian, et intitulée « La Turquie ne peut pas faire face à la crise des réfugiés seule ». Il écrit: «Nous avons dépensé plus de $6 milliards pour les Syriens, les Irakiens et autres migrants en Turquie. La contribution que nous avons reçue à ce jour de la communauté internationale est une fraction de ce chiffre ($ 417 millions au total, dont seuls $165 millions viennent des pays de l'UE, ONG comprises). La notion de partage du fardeau est devenu un slogan creux ».

Mais même le programme inadéquat et réactionnaire de Juncker rencontre l'opposition de tous côtés au sein de l'UE. Les diplomates de l’UE se sont montrés peu confiants que le prochain sommet des ministres de l'Intérieur de l'UE, lundi, parviendrait à trouver un accord final sur la proposition de Juncker. « Je souhaite que les ministres de l'Intérieur soient au moins capables d'accepter les points essentiaux », a déclaré M. Juncker aux journalistes après son allocution.

La Grande-Bretagne, le Danemark et l'Irlande ont déjà annoncé qu'ils resteraient en dehors du plan de Juncker. Des dirigeants des pays d'Europe orientale, dont la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque se sont tous opposés à un système des quotas – le premier ministre hongrois Viktor Orban a attaqué les réfugiés, en faisant une menace pour « l'identité chrétienne » de l’Europe.

S’adressant au Parlement britannique, le premier ministre David Cameron a dénoncé le plan de quotas de Juncker qui encourageait les réfugiés à demander l'asile. « Si tout l'accent est mis sur la redistribution de quotas de réfugiés à travers l'Europe, cela ne résoudra pas le problème et envoie effectivement le message que c’est une bonne idée de prendre un bateau et de faire ce périlleux voyage », a-t-il dit.

Le gouvernement français soutient le plan Juncker, apparemment pour tenter de limiter le nombre de réfugiés qu'il aurait à accepter sur son sol. Lundi, il a proposé d’accueillir 24.000 réfugiés cette année, précisément le nombre qui lui a été confié en vertu du système de quota dévoilé par Juncker.

La veille, cependant, la chancelière allemande Angela Merkel avait dit que le système de quotas de Juncker n'était en fait qu’une « première étape » dans la construction d'une «nouvelle politique d'asile » qui répartirait les migrants plus équitablement entre les pays de l'UE.

Merkel a fait ces remarques après une rencontre avec le premier ministre suédois Stefan Löfven qui a attaqué d'autres pays de l'UE qui « esquiv[aient] leur responsabilité » d'accueil des réfugiés. « La Suède et l'Allemagne sont les pays de l'UE qui accueillent la plus grande part de réfugiés et prônent un système commun de quotas contraignants, que tous les pays de l'UE doivent respecter », a dit Löfven.

« Il y a une autre mesure qui doit être prise parce que ni l'Allemagne ni la Suède ne peuvent déterminer le nombre de réfugiés, étant donné que ce dernier procède de la situation sur le terrain », a dit Merkel. Elle a ajouté, « nous avons besoin d'un système ouvert pour répartir ceux qui ont un droit d'asile ».

Entretemps, les réfugiés continuent d'affluer en Europe. Il y a eu des affrontements avec la police hongroise mercredi quand des réfugiés ont forcé le passage à travers la frontière serbo-hongroise. Une journaliste filmant pour la chaîne N1TV proche du parti d’extrême droite Jobbik, a été congédiée devant l’indignation générale produite par des images la montrant en train de donner des coups de pied et de faire des croche-pieds aux réfugiés lors des affrontements avec la police.

L'île grecque de Lesbos, où 30.000 habitants vivent maintenant côte à côte avec 20.000 réfugiés, a commencé à délivrer des permis permettant à ceux-ci d’aller vers d'autres pays de l'UE.

Le Danemark a suspendu le trafic ferroviaire avec l'Allemagne mercredi, après que la police a empêché des centaines de migrants de rejoindre la Suède ou l'Allemagne. Les responsables ferroviaires danois avaient monté des contrôles extraordinaires de passeport après que deux trains transportant plus de 200 migrants ont été retenus à Rodby, un port avec des liaisons par ferry vers l'Allemagne. La police a dit que les migrants avaient refusé de quitter les trains pour éviter d'être enregistrés au Danemark.

La région prospère du Bade-Wurtemberg au sud-ouest de l’Allemagne a temporairement cessé d'accepter de nouveaux réfugiés mercredi, déclarant que ses centres d'accueil étaient pleins. Elle a cependant prévu de commencer l’accueil des réfugiés jeudi, bien que 20.000 personnes soient maintenant hébergées dans ses centres, dont la capacité technique est de 12.000 personnes.

(Article paru en anglais le 10 septembre 2015)

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