Grèce: Syriza est réélu au gouvernement, l’abstention est massive

Avec 35 pour cent des voix et 145 sièges remportés dans l'élection parlementaire anticipée de dimanche, convoquée le mois dernier par le leader de Syriza, le premier ministre sortant Alexis Tsipras, Syriza est revenu au pouvoir en Grèce. 

Tsipras revient au gouvernement sur un programme politique qui est, au moins en surface, diamétralement opposé à celui avec lequel Syriza a été porté au pouvoir en janvier cette année. Le parti avait remporté cette élection sur la promesse de renverser les mesures d'austérité imposées par l'Union européenne et le capital financier international comme condition de deux accords de sauvetage précédents. Maintenant, Tsipras revient au pouvoir pour appliquer les mesures d'austérité plus brutales encore dictées par le « mémorandum d'entente » qu'il a acceptées comme condition d’un troisième accord de sauvetage.

C’était la troisième fois dimanche que les Grecs étaient appelés aux urnes cette année. En janvier dernier, ils ont élu Tsipras et Syriza croyant qu'ils lutteraient contre l'austérité. En juillet dernier, ils ont voté une seconde fois, massivement, contre l'austérité dans un référendum convoqué par le gouvernement Syriza, pour voir une semaine plus tard à peine Tsipras faire volte-face et accepter les termes d'austérité dictés par la soi-disant «troïka» -- l'UE, le FMI et la BCE. 

La répudiation de la volonté populaire exprimée lors du référendum n’était qu’une étape de plus dans le renoncement de Syriza à sa plateforme électorale anti-austérité, renoncement qui a commencé plus ou moins dès qu’il eut remporté l'élection en janvier dernier. Moins d'un mois après sa prise de fonction, il avait déjà signé un accord avec l'UE promettant non seulement de ne renverser aucune des mesures d'austérité imposées précédemment, mais encore d'en fabriquer de nouvelles sur la base du mémorandum d'entente haï qu'il avait précédemment promis de vaincre. 

Cette trahison constitue une expérience stratégique de la classe ouvrière en Grèce et au plan international; elle révèle la nature férocement anti-ouvrière de la pseudo-gauche au pouvoir. Derrière sa rhétorique populiste, Syriza, un parti bourgeois au personnel venant des couches privilégiées de la classe moyenne supérieure et représentant leurs intérêts, s’est rapidement avéré un ennemi des travailleurs. 

Dans l'élection de dimanche, une nette pluralité de 45 pour cent de l'électorat grec a voté avec ses pieds, boudant les urnes en nombre record. Ce chiffre, supérieur de 9 pour cent au taux d'abstention de janvier dernier, est d'autant plus significatif qu’en Grèce voter est obligatoire. 

Cette faible participation record exprime clairement l'aliénation grandissante de la masse des travailleurs vis-à-vis du système politique grec tout entier, des vieux partis discrédités et diminués qui ont dominé la Grèce durant les quatre dernières décennies, Nouvelle Démocratie (ND) et PASOK, et envers le prétendument de «gauche» et nouveau Syriza 

Ce qui ressort très clairement du scrutin de dimanche c'est qu'aucun des partis politiques ne peut se présenter en adversaire crédible de l'austérité. Aucun d'entre eux ne peut donner une voix politique à la volonté populaire des travailleurs grecs, clairement exprimée au référendum de juillet, de mener une lutte contre le système capitaliste responsable du chômage et de l'appauvrissement de masse imposés au cours des cinq dernières années. 

Des millions de Grecs savaient que l'élection ne déciderait rien. Toutes les décisions fondamentales au sujet de leurs conditions de vie futures avaient déjà été prises, dans leur dos, à travers l'accord conclu en juillet entre Syriza et les créanciers internationaux de la Grèce. Syriza, qui a remporté 35 pour cent des voix, comme son principal adversaire, la droitière ND, qui a remporté 28 pour cent des voix, s’étaient tous deux engagés à mettre en œuvre les mesures d'austérité drastiques dictées par cet accord.

La campagne électorale de ND a consisté en grande partie à dénoncer Syriza pour ses «fausses promesses» et son «amateurisme» dans la mise en œuvre des politiques économiques. La perspective d'un assaut plus «professionnel» sur leur niveau de vie déjà décimé est bien loin d’avoir été un pôle d'attraction pour les électeurs grecs. 

Avec 145 sièges au parlement grec, Syriza ne jouit pas d'une la majorité absolue. Il reconduit la coalition formée après l'élection de janvier dernier avec les Grecs indépendants, un parti droitier qui emploie une démagogie anti-immigré et antisémite. Dans son dernier gouvernement, Tsipras a remis le contrôle effectif des forces de sécurité du pays à cette tendance politique réactionnaire.

Tsipras est monté sur scène au siège de campagne de Syriza dimanche soir, saisissant les mains du dirigeant des Grecs indépendents, Panos Kammenos, devant une foule enthousiaste de partisans de Syriza. Avec les 10 sièges parlementaires revenant à ce parti de droite, l'alliance obtiendra une courte majorité.

La réélection de Tsipras et de Syriza comme gardiens du programme d'austérité dicté par la troïka a été saluée par les dirigeants capitalistes européens comme un pas en avant pour la «stabilité» et la «continuité». Le président français François Hollande a salué le résultat de l'élection, disant que c'était « un résultat important pour la Grèce, qui va maintenant vivre une période de stabilisation avec une majorité solide ».

Jeroen Dijsselbloem, ministre des Finances néerlandais et président de l'Eurogroupe, a félicité Tsipras et dit qu'il était «prêt à travailler en étroite collaboration avec les autorités grecques et à continuer d'accompagner la Grèce dans ses efforts de réforme ambitieuse ».

Le président du Parlement européen, Martin Schulz, a déclaré: «Maintenant, un gouvernement solide et prêt à fournir des résultats est nécessaire rapidement.» Et le chef économique de l'UE Pierre Moscovici a exprimé sa confiance que Tsipras ferait ce qui est nécessaire pour approfondir l'austérité. « Dès lundi, nous sommes prêts à collaborer pour mettre en œuvre le programme de réforme de l'économie grecque », a-t-il dit.

Le Daily Telegraph britannique a résumé les sentiments du capital financier international dans un article intitulé « Les créanciers nerveux ont poussé un soupir de soulagement de courte durée après le nouveau triomphe de Tsipras. » L’article dit : « Les créanciers internationaux de la Grèce ont salué la réélection retentissante d’… Alexis Tsipras, dimanche soir, au milieu de craintes que le premier ministre de gauche ne manque à tenir ses promesses de rester dans l'euro ... La présence continue de ce premier ministre populaire va rasséréner les investisseurs qui s’étaient préparés à une période d'incertitude politique prolongée et des pourparlers de coalition ennuyeux lorsque les sondages avaient prédit un résultat au coude à coude ».

La porte-parole de Syriza Olga Gerovassili réagit en promettant de répondre à toutes leurs attentes: « Ce sera un gouvernement d’un mandat de quatre ans avec une majorité parlementaire forte, qui mettra en œuvre le programme qu'il a promis. Il poursuivra les négociations difficiles avec les créanciers, conscient que ce sera le début d'une bataille ».

Cette « bataille » sera contre la classe ouvrière et elle entraînera inévitablement l'utilisation croissante de la répression étatique pour appliquer des politiques auxquelles sont farouchement opposées des masses de travailleurs grecs.

Un élément indéniable de la date choisie pour l’élection anticipée était le désir de Tsipras d'en finir avant qu’une série de nouvelles mesures d'austérité ne soient mise en oeuvre. D’ici octobre, où la Grèce subira un examen par ses créanciers, le gouvernement doit effectuer une nouvelle éviscération des systèmes de retraite et de sécurité sociale, une série de hausses d'impôts, une nouvelle série de privatisations et l'élaboration d'un budget pour 2016 visant à de nouvelles coupes tous azimuts.

De manière significative, le parti obtenant le troisième plus grand nombre des suffrages était l'Aube dorée fasciste qui a adopté une posture d’adversaire de l'austérité et cherché à profiter de la colère populaire envers la capitulation de Syriza aux exigences d'austérité de l'UE. Le parti, dont un certain nombre de dirigeants sont en prison pour meurtre, a obtenu presque 7 pour cent des voix. Cette augmentation modérée lui donnera 19 sièges au parlement, soit deux de plus qu'après l'élection de janvier.

L’Unité populaire n’a pas atteint les 3 pour cent nécessaires à l’obtention d’un seul siège au parlement. Ce parti nouvellement formé et composé d'anciens membres de la Plateforme de gauche de Syriza, est un amalgame de divers éléments nationalistes et de la pseudo-gauche, et a scissionné d’avec Syriza le mois dernier.

Dirigée par Panagiotis Lafazanis, qui a été ministre responsable de la politique environnementale, énergétique et industrielle dans le gouvernement Syriza, l'Unité populaire a échoué lamentablement – à juste titre – dans sa campagne pour se présenter comme le champion du programme anti-austérité porté à l’origine par Syriza.

Lafazanis et ses acolytes étaient eux-mêmes totalement complice du passage forcé du plan d'austérité accepté par Tsipras, refusant d'appeler à un vote du Comité central du parti et ne rompant avec Syriza qu’au moment où Tsipras faisait connaitre son intention de les empêcher de se présenter sur la ligne du parti.

De même, le Parti communiste grec stalinien (KKE) a manqué d’enregistrer des gains sur la base de son opposition nationaliste réactionnaire aux politiques de Syriza. Il voit son pourcentage réel du vote baisser légèrement par rapport à celui de janvier.

Dans une déclaration sur tweeter dimanche alors que sa victoire se précisait, Tsipras a dit: «Une route de dur labeur et de lutte s’est ouverte devant nous » . En effet, les politiques auxquelles il s’est engagé vont ouvrir inévitablement une période de lutte de classe intensifiée en Grèce où la question décisive sera la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière contre le gouvernement de Syriza.

(Article paru le 21 septembre 2015)

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