Air France tente de lacher du lest sur les licenciements face à la colère des travailleurs

Une semaine après que des travailleurs aient envahi la salle de réunion où se tenait le comité d'entreprise d'Air France qui annonçait aux syndicats le plan de licenciement de 2900 personnes, la compagnie aérienne a annoncé en début de semaine que le plan de licenciement concernerait finalement 1000 personnes en 2016. Ce recul partiel du gouvernement et de la compagnie aérienne traduit leur crainte de la propagation d'un sentiment de colère de plus en plus profond parmi les travailleurs. 

Le 19 octobre, avant le début de la conférence sociale réunissant patronat et syndicats, Hollande s'est prononcé contre les licenciements, si les syndicats et la direction d'Air France pouvaient trouver d'autres moyens de réduire la masse salariale: « Nous pouvons éviter les licenciements. Je demande aussi bien à la direction qu'aux partenaires sociaux d'être responsables. Ils seront évités si les pilotes font le nécessaire, si la direction fait des propositions, si le personnel au sol prend conscience de certaines réalités ». 

Un nouveau comité central d'entreprise (CCE) d'Air France, où la direction doit détailler sa stratégie industrielle et ses conséquences à court terme sur l'emploi, aura lieu jeudi. 

Ce recul de la part d'Air France et du gouvernement sur l'abaissement du nombre de licenciements ne signifie pas qu'Air France ait abandonné son projet de restructurer la compagnie sur le dos des travailleurs. Air France a connu plusieurs plans ces dernières années. L'an dernier, Air France a fait passer son projet de filiale low cost et de baisse des salaires pour rendre Air France plus compétitive. 

En réaction à ce projet, une grève des pilotes d’Air France avait déstabilisé la compagnie aérienne mais aussi le gouvernement qui craignait que les travailleurs d’autres branches industrielles ne se mobilisent contre la politique d'austérité du PS. Le syndicat des pilotes, à la demande du gouvernement, stoppa la grève malgré le rapport de force favorable aux travailleurs, ce qui permit à la direction d'Air France de créer la filiale Transavia et de préparer ce nouveau plan de relance avec la complicité des syndicats, au courant des manœuvres de la direction. 

Après l'intrusion récente d'une centaine de grévistes dans la réunion du CEE, les médias et les politiques ont mené une campagne hystérique contre les grévistes, les présentant comme des « voyous ». Cinq salariés d’Air France ont été interpellés chez eux à 6 heures du matin, et un sixième a également été placé en garde à vue. 

Parallèlement à l'enquête judiciaire, dix huit procédures disciplinaires ont été engagées. Les travailleurs visés risquent de perdre leur emploi. Ces arrestations sans précédent reflètent la panique de la direction d'Air France et du PS face aux revendications ouvrières. Alors qu'il mène une politique d'austérité brutale contre les travailleurs, le PS n'a pas d'autres perspective que de mettre en prison les travailleurs hostiles à la classe dirigeante. 

Dans une vidéo prise après que les travailleurs d'Air France aient envahi la réunion du CEE, on y voit l'intervention d'une jeune hôtesse au sol Erika Nguyen Van Vai, 33 ans, qui dit: « On nous a demandé de faire des efforts, on les a fait, cela fait 4 ans que nos salaires n'ont pas évolué, qu'on travaille pour rien et c'est nous qui trinquons. On nous demande d'être gentils et que les acquis évoluent. Moi je touche 1800 euros, c'est ça qui ruine la France » ? 

On entend dans la vidéo un autre travailleur dire « Bravo le PS » pour protester contre la direction d'Air France. 

Erika elle-même est syndiquée à la CGT, mais assure ne pas être « engagée ». Interrogée par la suite sur son intervention lors du CCE, elle a dit: « C’était la première fois que je participais à un mouvement de grève, mon premier acte de militantisme. ». 

L'exaspération de cette jeune femme reflète l'état d'exaspération aigüe non seulement des salariés d'Air France, mais des travailleurs de toutes les branches industrielles, en France et à travers l'Europe. Des masses de travailleurs de l'âge d'Erika n'ont rien vu du PS et de ses alliés politiques et syndicaux sauf des mesures d'austérité ou de régression sociale. Son ras-le-bol est un signe de l'opposition beaucoup plus large de masses de travailleurs aux politiques réactionnaires de l'État et du « dialogue social » qu'il entretient entre le patronat et les appareils syndicaux. 

La direction a été aterrée par les évènements et par cette vidéo, où l'on voit des gens poussés à bout qui soulèvent des questions à caractère politique auxquelles les cadres Air France n'ont aucune réponse. En laissant entendre que ce ne sont pas ses 1.800 euros mensuels qui ruinent la France, une travailleuse soulève l'inégalité sociale criante du capitalisme français, dont la classe dirigeante dans son ensemble est responsable. 

Cette opposition réduit en miettes tout le cadre du « dialogue social », qui accorde aux travailleurs ce que le patronat, l'État, et les syndicats acceptent de leur donner, une fois qu'ils ont eux-mêmes décidé de comment défendre la rentabilité à long terme de l'entreprise au dépens des travailleurs. 

Ce phénomène de radicalisation des travailleurs est international. Les travailleurs de l'automobile s'opposent aux Etats-Unis à la nouvelle convention collective que le syndicat UAW et Chrysler veulent leur imposer. En Grèce, lors du référendum du gouvernement Syriza qui voulait obtenir un soutien pour l'austérité, les travailleurs grecs ont voté contre l'UE et les banques. 

Les syndicats sont eux aussi effrayés par ce contexte social aigu et veulent tout faire pour aider la classe dirigeante à contrôler les revendications ouvrières, comme le confirme les propos du secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez. 

Ce dernier affirme avoir « prévenu » le gouvernement que « l'exaspération des salariés » augmentait. Aux ministres, dit-il, « on leur dit : 'Faites attention, ça va exploser'. Ils nous répondent de calmer les salariés mais on n'est pas les pompiers de service, on n'est pas là pour réparer les bêtises du patronat ou du gouvernement.» 

L'énervement des syndicats, de l'Etat et des patrons à l'encontre des travailleurs vient du fait qu'ils ont conscience qu'une radicalisation profonde des travailleurs échappe au contrôle des syndicats. Les travailleurs ne peuvent pas compter sur les syndicats, véritables organisations policières à l'intérieur des entreprises. Les travailleurs d'Air France doivent rompre avec les syndicats, s'unir aux travailleurs d'autres secteurs contre les licenciements et organiser une lutte politique contre le gouvernement.

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