Le secrétaire d’Etat américain à la Défense menace la Russie et la Chine

Dans une allocution lors d’un forum à la Reagan Library en Californie le 6 novembre, le secrétaire d’Etat américain à la Défense, Ashton Carter, a lancé un avertissement précis de guerres futures. Les cibles de ses rodomontades montre le caractère irresponsable et provocateur du discours du chef du Pentagone: la Russie qui détient le deuxième plus vaste arsenal d’armes nucléaires du monde et la Chine avec le troisième plus important.

Le thème du forum était la restructuration de l’appareil militaire et de renseignement pour faire face aux menaces prévues par les stratèges de l’impérialisme américain dans les années à venir. Comme le remarquait Carter, « Après 14 ans de contre-insurrection et de lutte contre le terrorisme – deux compétences que nous voulons conserver – nous nous trouvons au milieu d’une transition stratégique dans la réaction aux défis sécuritaires qui détermineront notre avenir. »

Ne mentionnant que brièvement les guerres menées actuellement par les Etats-Unis en Afghanistan et contre l’Etat islamique en Irak et en Syrie (EI), Carter a dit vouloir « concentrer cet après-midi ses remarques sur un autre genre d’innovation pour le futur, à savoir comment nous répondrons à la Russie, l’une des causes des turbulences actuelles, et à la montée de la Chine, qui motive une transition dans la région Asie-Pacifique. »

Carter a rendu hommage au bellicisme du gouvernement Reagan (1981-1989) pour lequel il avait travaillé la première fois au Pentagone comme assistant du secrétaire à la Défense Caspar Weinberger. Il attribua à Reagan le crédit d’avoir renforcé une présence militaire qui contribua à la chute de l’Union soviétique, et notamment « le soutien des Etats-Unis aux moudjahiddines en Afghanistan, » mais Carter garda néanmoins un silence diplomatique sur le fait que ce soutien fut à l’origine d’al Qaïda.

Il affirma que la Russie comme la Chine, mais de façons différentes, remettaient en cause les fondements de l’ordre international établi par des gouvernements américains successifs dans la période d’après-guerre. « Les principes sur lesquels sont basés les fondements de cet ordre, » a-t-il dit, « y compris le règlement pacifique des différends, la liberté face à la contrainte, le respect de la souveraineté d’Etat, la liberté de navigation et de survol – ne sont pas des abstractions et ne sont pas non plus assujettis aux caprices d’un pays quelconque. »

En fait, ces principes ont été systématiquement violés par les Etats-Unis lors de guerres successives durant le quart de siècle écoulé depuis l’effondrement de l’Union soviétique. Ce fut l’existence de l’URSS et non le respect des « principes » qui avait imposé des limites aux ravages causés par l’impérialisme américain.

Dès 1991, Washington s’était senti habilité – ses stratèges avaient publiquement évoqué un « moment unipolaire » de l’histoire mondiale – à recourir à la force militaire de manière de plus en plus incontrôlée et irresponsable. Suivirent des guerres et autres interventions militaires en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Somalie, en Haïti, au Yémen et actuellement en Syrie, parallèlement au renforcement en cours des forces américaines aux frontières occidentales de la Russie et dans les eaux territoriales chinoises.

Vers la fin de son discours, Carter mentionna en passant les « plus de 450.000 hommes et femmes servant à l’étranger, dans tous les domaines, dans les airs, à terre et sur mer. » Cela dépasse le nombre total des troupes déployées en dehors de leurs frontières par tous les autres pays du monde. Ce chiffre en soi illustre la réalité fondamentale de la politique mondiale du 21ème siècle : l’impérialisme américain se considère comme le gendarme du monde en droit d’intervenir dans n’importe quel pays, de bombarder et de tuer à son gré pour contrer tout défi à sa domination.

Selon Carter, « La Russie semble déterminée à être un frein et à bafouer ces principes et la communauté internationale. Entre-temps, la Chine est une puissance montante qui devient plus ambitieuse quant à ses objectifs et ses capacités. »

Après avoir dénoncé la Russie pour avoir « violé la souveraineté de l’Ukraine et de la Géorgie » – des actions qui, si banqueroutières soient-elles, font bien pâle figure devant l’invasion de l’Irak et sa destruction par les Etats-Unis – et pour être intervenu récemment en Syrie, Carter a brandi la menace de ce qu’il a appelé « les bruits de sabre nucléaires de Moscou ». Cela dit-il, « soulève des questions sur l’engagement des dirigeants russes quant à la stabilité stratégique, sur leur respect des normes interdisant l’usage d’armes nucléaires et sur leur respect de la grande prudence montrée par les dirigeants de l’ère nucléaire concernant le recours aux armes nucléaires. »

Carter s’est servi de ce danger non existant pour justifier la vaste extension de l’arsenal nucléaire des Etats-Unis, de loin le plus important au monde, suite à une initiative du gouvernement Obama et maintenant estimée à plus de 300 milliards de dollars.

Il a ensuite parlé avec enthousiasme du potentiel des nouvelles armes à utiliser contre la Russie, dont « de nouveaux systèmes sans pilote, un nouveau bombardier à long rayon d’action, de l’innovation dans des techniques comme le canon électromagnétique (railgun), les lasers et les nouveaux systèmes pour la guerre électronique, l’espace et le cyberespace, dont certaines sont surprenantes, mais que je ne peux vraiment pas décrire ici. »

Il a réitéré l’engagement américain vis-à-vis de l’article 5 de la charte de l’OTAN qui exige une guerre totale de l’Alliance en cas de conflit entre la Russie et un des Etats baltes, Lituanie, Lettonie ou Estonie, qui possèdent des minorités russophones et sont gouvernés par des cliques viscéralement antirusse. Peu de citoyens aux Etats-Unis – en Grande-Bretagne ou en Allemagne, réalisent que leurs gouvernements se sont engagés à faire la guerre à une Russie dotée de l’arme nucléaire en cas de confrontation à la frontière avec l’Estonie.

Carter a aussi salué les récents exercices de l’OTAN comme Trident Juncture et auxquels participent 4.000 soldats américains, simulant une invasion russe de l’un des pays de l’OTAN en Europe de l’est. Il a précisé « [N]ous fournissons l’équipement et l’entraînement afin d’aider l’armée ukrainienne confrontée à des insurrectionnels soutenus par la Russie en Ukraine de l’est. » Ceci comprend la formation de forces issues des milices néonazies désormais intégrées à l’armée ukrainienne.

Sur la Chine, Carter a été moins ouvertement axé sur la confrontation et révéla avoir accepté une invitation du président chinois Xi Jinping à se rendre à Pékin en 2016. La rhétorique militariste était ici inutile car il rentrait tout droit d’une visite bien médiatisée à bord de l’USS Theodore Roosevelt. Le navire est l’un des porte-avions américains redéployé du Moyen-Orient vers le Pacifique dans le cadre du « pivot vers l’Asie » du gouvernement Obama et doit mettre la Chine face à une présence militaire accrue et massive.

La visite à bord du porte-avions eut lieu peu de temps après qu’un destroyer américain, l’USS Lassen a fait une incursion provocatrice dans les eaux chinoises entourant un îlot en Mer de Chine du sud, non loin du groupe opérationnel du porte-avions. Les Etats-Unis ont délibérément défié la limite des 12 miles nautiques que la Chine avait fixée autour des îlots, au motif qu’ils n’avaient pas été faits par l’homme ni soumis à une expansion artificielle.

Répondant aux questions des médias demandant si la marine américaine était engagée dans ce qui est techniquement appelé un « passage inoffensif » et reconnaîtrait les revendications territoriales chinoises ou dans un « exercice de liberté de navigation » qui affirme que les eaux sont internationales et pas chinoises, Carter a clairement signifié qu’il s’agissait bien de ce dernier cas.

Il a souligné le lien entre le repositionnement des moyens militaires américains dans le Pacifique, l’établissement du Partenariat Trans Pacifique (un bloc commercial antichinois dominé par les Etats-Unis et le Japon) et le renforcement des alliances des Etats-Unis dans la région. Il a ajouté, « Nous modifions aussi fondamentalement nos projets opérationnels et notre approche pour dissuader l’agression, remplir nos obligations statutaires vis-à-vis de Taïwan, défendre nos alliés et planifier un éventail plus large d’éventualités dans la région que nous n’en disposons traditionnellement. »

Tout aussi important que le militarisme déchaîné du discours de Carter était son caractère bipartite. Carter a toujours été démocrate et ses menaces visant la Russie et la Chine jouissent de l’appui total de l’aile libérale de l’élite dirigeante américaine. Ses observations ne sont pas des commentaires hâtifs mais font partie d’une réunion soigneusement planifiée et délibérément bipartite, une tribune ayant pour thème la « Force de l’avenir » et organisée par la Fondation Reagan qui gère la librairie présidentielle à Simi Valley, près de Los Angeles.

Le gouvernement Obama était représenté par Carter, son adjoint Robert Work et le secrétaire à la Sécurité intérieure Jeh Johnson. Le président de la commission des forces armées du sénat, John McCain, et le président de la commission des forces armées à la Chambre des représentants Mac Thornberry, représentaient les républicains du Congrès.

L’appareil permanent de sécurité, qui mène la barque, indépendamment du parti qui occupe la Maison Blanche, était représenté par trois des cinq membres du Comité des chefs d’état-major.

(Article original paru le 9 novembre 2015)

 

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