Les médias allemands réclament la guerre et la dictature suite aux attentats de Paris

Quiconque lit les tribunes des deux grands journaux du dimanche en Allemagne aurait bien du mal à ne pas conclure que les élites allemandes considèrent les terribles attentats de Paris comme l’occasion de promouvoir leur programme droitier.

Dans des articles portant des titres comme « En pleine guerre mondiale », « Ce n’est plus du terrorisme, c’est la guerre » et « Nous ne devons pas nous soumettre, nous devons lutter, » Berthold Kohler dans le Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, Stefan Aust et Mathias Döpfner dans Die Welt am Sonntag appellent à la guerre et à la dictature avec une agressivité qu’on n’avait enregistrée précédemment que dans les milieux d’extrême-droite.

Kohler, Aust et Döpfner ne sont pas n’importe qui. Ils font partie des soi-disant « journalistes alpha », ceux qui entretiennent les liens les plus étroits avec le gouvernement et les milieux sécuritaires et qui se sont servis de la crise ukrainienne pour faire une propagande de guerre contre la Russie et pour le retour du militarisme allemand.

Köhler est, depuis 1999, l’un des quatre rédacteurs du Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) et il participe régulièrement à la Conférence de Munich sur la sécurité. Döpfner, le PDG du groupe de presse Axel Springer SE, l’une des plus grandes sociétés médiatique d’Allemagne, est aussi membre du Global Board of Advisors du groupe de réflexion américain Council on Foreign Relations et figure sur la liste des participants aux réunions notoires du Bilderberg. Aust fut rédacteur en chef de Der Spiegel de 1994 à 2014 et il est depuis 1994 rédacteur en chef du journal conservateur de Springer, Die Welt.

Dans leurs articles, tous trois établissent un parallèle direct avec le 11 septembre. Cette comparaison à elle seule en dit long sur le programme politique réactionnaire de ces journalistes. Les attentats terroristes du 11 septembre 2001, dont les circonstances exactes n’ont jamais été élucidées, servirent de prétexte aux gouvernements Bush et Obama pour mener des guerres illégales, imposer un réarmement militaire massif à l’extérieur et accroître les pouvoirs de l’Etat à l’intérieur du pays.

Les Etats-Unis ont, au nom de la « guerre contre le terrorisme », envahi l’Afghanistan (2001) et l’Irak (2003). La guerre de l’OTAN contre la Libye (2011) et la guerre civile qu’elle a attisée en Syrie ont dévasté toute la région, tuant des millions de gens et faisant plus de réfugiés encore. Les Etats-Unis pratiquent dans le monde entier la torture et l’assassinat d’adversaires réels ou présumés de leur politique belliciste, ils espionnent l’humanité entière et mettent en place un Etat policier en Amérique.

Des cercles politiques conservateurs et les médias allemands sont en train d’exploiter le choc des terribles attentats de Paris pour atteindre des objectifs similaires, qu’ils n’ont jusque-là pu imposer que de façon limitée. Ils ont deux objectifs principaux: d’une part, ils veulent promouvoir le retour à une politique étrangère et de guerre plus agressive, annoncée par le président Gauck et le gouvernement fédéral. D’autre part, ils prônent ouvertement l’établissement d’un régime autoritaire dans le but de briser une résistance populaire largement répandue au militarisme; cela en armant l’appareil d’Etat en vue des luttes de classe à venir.

Pour faire progresser leur programme politique réactionnaire et « préparer » l’opinion publique à accepter la guerre et la dictature, les auteurs caractérisent les attentats de Paris comme un acte de guerre dont les « ondes de choc dépassent celles de jadis, » une référence au 11 septembre. Ils concluent que la prétendue « guerre globale » (Aust) ou « guerre mondiale » (Kohler) requiert des contre-mesures extrêmes.

Kohler écrit que les événements survenus à Paris pourraient « avoir de lourdes conséquences – pour la France, pour l’OTAN et donc aussi pour l’allié le plus important, l’Allemagne. » Le rédacteur du FAZ réclame une intervention militaire plus agressive de l’Allemagne au Moyen-Orient. « La maxime de Merkel, qu’il faut combattre les causes du flot de réfugiés en Syrie, pourrait subitement connaître pour elle un changement de signification non désiré, » a-t-il dit.

Kohler associe directement son appel à la guerre à un plaidoyer pour un régime autoritaire. « Plus que jamais c’est maintenant une affaire d’unité de l’occident. Et par conséquent qu’il montre sa volonté et son habilité à protéger ses valeurs, » a-t-il écrit ajoutant, « Compte tenu de l’ampleur de la menace et de l’asymétrie du conflit, ceci ne sera pas tout à fait possible sans l’imposition de restrictions des libertés qui sont à défendre, au besoin, par nos propres troupes en Syrie. Il ne sera pas possible de gagner cette bataille historique sans faire de sacrifices. »

Il a conclu sa tribune apocalyptique par une attaque à peine dissimulée contre la chancelière Angela Merkel qui, malgré la répression qu’elle fait subir aux réfugiés, est considérée depuis longtemps dans les milieux de droite comme trop « molle. » Avant les attentats de Paris, les Allemands ne trouvaient « rien à redire à un visage aimable à la tête de leur gouvernement, » a déclaré Kohler, mais, à une époque comme celle-ci, « ils veulent et ils ont besoin d’en avoir un autre : un dur. »

Aust s’en prend lui aussi violemment à Merkel et condamne « l’humanité exprimée dans la culture de bienvenue [de l’Allemagne] » comme étant « dangereusement naïve. » Il a non seulement la nostalgie d’un gouvernement « dur » mais jette une suspicion générale sur des centaines de milliers de réfugiés cherchant refuge en Allemagne pour fuir les conséquences de la politique belliciste occidentale. « L’appareil de sécurité, en veilleuse pendant des années, » a été « totalement dépassé », et l’ouverture des frontières a « permis l’exportation de la guerre. » Personne ne peut estimer « lesquels dans la foule des jeunes gens sont des réfugiés sans ressources ou lesquels sont… de violents islamistes. »

Döpfner va encore plus loin dans ses diatribes contre les réfugiés. Il nomme d’un trait la « crise de réfugiés » et « la vague de terrorisme à Paris » les qualifiant tous deux « d’accélérateurs de combustion dans une culture de la guerre qui a longtemps couvé. » Sa nostalgie d’un régime autoritaire qui dirige une « culture de guerre » ne pourrait être plus apparente. « Les régimes non démocratiques du monde sont souvent virils et dirigés plus résolument, les sociétés démocratiques sont souvent faibles, indécises et hésitantes, » se lamente-t-il.

Alors que « les Russes, les Chinois et la plupart des pays islamiques, » savent « ce qu’ils veulent, » et concrétisent leurs objectifs, « la plupart des démocraties… [recherchent] le dialogue, le compromis et surtout les acclamations de leur propre peuple. » La conséquence de cette politique est « l’inaction en Syrie. L’hésitation en Iran. Regarder ailleurs dans les régions radicalisées d’Afrique. »

Le message de Döfner est clair: faire la guerre dans d’autres endroits du Moyen-Orient et agir brutalement contre les réfugiés suppose des déportations et des expulsions immédiates – qui à leur tour requièrent un régime autoritaire. Le patron de Springer exige notamment que soit mise en vigueur une « politique de la force » grâce à « une radicalisation du centre sociétal. »

En Allemagne, le contenu politique et les conséquences historiques de telles expressions sont bien connus. La dernière fois que l’élite allemande a emprunté une politique de la « radicalisation du centre sociétal » dans le but de poursuivre une « politique de la force, » cela avait abouti à la terreur nazie, à la Seconde Guerre mondiale et aux pires crimes de l’histoire de l’humanité.

Döpfner, Kohler, Aust et les cercles conservateurs dont ils sont les porte-parole ne disposent d’aucun soutien significatif dans la population mais leurs commentaires sont un clair avertissement. En réaction à la plus profonde crise du capitalisme européen et mondial depuis les années 1930, des sections de l’élite allemande sont de nouveau prêtes à envisager la guerre, la dictature et le racisme pour défendre les intérêts du capitalisme et de l’impérialisme allemands.

(Article original paru le 17 novembre 2015)

 

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