Entrevues avec des travailleurs en grève

«Je serais prête à défier une loi spéciale»

Des reporters du World Socialist Web Site se sont entretenus avec des travailleurs de la grande région de Montréal lors des journées de débrayage des 28 et 29 octobre dernier.

À Montréal et à Laval, des lignes de piquetage ont été dressées devant les établissements de santé et d'éducation, tandis qu'un plus grand rassemblement était organisé sur la Rive-sud, réunissant surtout des enseignants et autres membres du personnel scolaire.

Les premières entrevues publiées ci-dessous ont été faites à l'occasion de ce rassemblement.

Linda, Mélanie et Geneviève

Linda, une éducatrice en service de garde a expliqué pourquoi elle appuyait la grève: «On fait la grève pour améliorer nos conditions de travail, mais aussi pour améliorer les services auprès des enfants. Il y a beaucoup d’élèves en difficulté, mais ils n’ont pas tous les services nécessaires. Les coupures du gouvernement nous empêcheront de répondre à des besoins urgents et essentiels».

Geneviève, une enseignante au préscolaire a parlé des impacts directs ressentis par le personnel: «Il y a beaucoup d’enfants par classe, et les enfants en difficulté sont intégrés mais sans soutien. On est seulement en octobre et je vois déjà du personnel épuisé, à bout de souffle».

Questionnée sur la tentative de retirer le droit de grève au personnel en service de garde, Linda a répondu: «C’est de la foutaise! Nous, on est solidaires aux profs. Même avec cette loi, je suis certaine que la majorité des éducatrices ne serait pas entrée au travail».

Lorsque les reporters du WSWS ont fait le lien entre la récente motion et un possible décret, Mélanie, une éducatrice en service de garde, a dit: «Je crois que la loi spéciale est déjà écrite. Le gouvernement attend juste le bon moment pour la sortir».

Interrogée sur la stratégie à adopter dans le cas d’un décret, Linda a affirmé: «Pour ma part, je serais prête à défier une loi spéciale. On va suivre ce que le syndicat va dire, mais si le syndicat dit on la défie, on la défie. Advienne que pourra».

Geneviève a rappelé que les travailleurs n’ont pas de fonds de grève, mais qu’elle serait prête à poursuivre la lutte. «Il faut un Front commun de tous les travailleurs qui perturberait carrément le système dans l’ensemble de la province», a-t-elle dit. Lorsqu'on lui a demandé si elle croyait que les syndicats mèneraient une telle lutte, elle a répondu: «Les syndicats ont des règles à suivre, nous, on est plus radical».

Mathieu et Pascale

Mathieu et Pascale, deux enseignants du primaire ont aussi exprimé leur mécontentement. «Ça n’a pas de bon sang que les offres salariales ne couvrent pas même le coût de la vie. En plus le gouvernement veut augmenter les ratios, retirer l’aide aux enfants plus en difficulté», a dit Mathieu. Pascale a affirmé que «c’est faux de dire que les services ne sont pas affectés. Pour ma part, je n’ai même plus l’aide d’un éducateur spécialisé alors que j’enseigne en adaptation scolaire».

Mathieu a affirmé que «le gouvernement ne va pas chercher l’argent là où il est, c’est-à-dire dans les compagnies privées, les grosses entreprises». Il était aussi inquiet. «J’ai l’impression qu’après les deux prochaines journées de grève, il risque d’avoir une loi spéciale. Mais je crains qu’on n’ait pas les moyens financiers comme travailleurs de passer au travers».

François-Pierre, un enseignant en éducation physique, a déclaré quant à lui: «Je ne suis pas quelqu’un qui d’emblée veut défier les lois. Mais si on veut que les choses changent et ne pas se faire imposer le bâillon, on n’aura pas le choix de défier les lois, mais il va falloir le soutien de toute la population».

À Montréal, des reporters du WSWS ont recueilli les commentaires de plusieurs employés faisant du piquetage devant des établissements de santé.

Élise

Élise, employée aux laboratoires, nous a parlé de l'impact des mesures gouvernementales. «Actuellement, nous avons de la difficulté, parce qu'il manque d'employés et ils nous demandent d'en faire plus avec moins», a-t-elle expliqué. 

«Je travaille aux laboratoires, et ils sont en train de transférer toutes les analyses qui se faisaient avant à l’hôpital Hôtel-Dieu et Notre-Dame [qui ferment pour faire place au nouveau CHUM], mais sans rajouter de personnel. Donc c'est trois hôpitaux qui fusionnent en un et on va devoir prendre sur nous la charge de travail supplémentaire.» 

Élise a également parlé des limites imposées sur le droit de grève. «En raison des services essentiels, nous avons 45 minutes pour aller faire la grève. Nous faisons une rotation entre nous, car il faut continuer d'assurer le service.» 

Ginette, de son côté, est travailleuse dans le secteur de la diététique. Elle était inquiète des mesures touchant aux pensions. «Nos caisses de retraite vont très bien, ils n'ont aucune raison d'y toucher.» 

Elle a protesté contre les réductions salariales exigées par le gouvernement. «Ils prévoient le gel des échelles de salaire, des heures supplémentaires par jour qui ne sont pas comptées comme des heures supplémentaires [comptées plutôt à la semaine]. Ça n'a aucun sens ce qu'ils proposent.» 

Questionnée sur la possibilité d'une loi spéciale, Ginette a répondu: «Il n'y a rien qui va les arrêter». Et quand on lui a demandé si les syndicats évoquent cette possibilité, sa réponse fut courte: «Je n'ai rien entendu à ce sujet». 

Nancy

Nancy, employée de bureau, nous a parlé durant son heure de dîner, car elle avait épuisé ses 45 minutes autorisées de grève. 

«Je fais partie des coupures», a-t-elle expliqué. «Ma semaine a été réduite à 4 jours mais mon travail est resté le même. L'administration impose les coupures pour rentrer dans le budget, mais la charge de travail ne diminue pas». 

Nancy a réagi à l'annonce que le gouvernement Couillard allait débloquer un milliard de dollars pour venir en aide à l'entreprise montréalaise d'aéronautique Bombardier. «Il y en a de l'argent. Mais ils n'investissent pas aux bons endroits. Ils subventionnent les écoles privées puis coupent dans les écoles publiques. Où est la logique là-dedans?» 

Questionnée sur la menace d'une loi spéciale, elle a répondu: «Je n'en ai pas entendu parler. Vous êtes les premiers à me l'apprendre, mais nous n'allons pas nous laisser faire.»

Nancy a conclu ses propos en disant: «Je ne vois pas un seul parti qui se démarque et qui aurait envie de changer les choses.» 

Des reporters du WSWS ont également interviewé des travailleurs en grève à Laval, au nord de Montréal. 

Josette, éducatrice spécialisée dans une école secondaire de Laval, a parlé de l'impact des mesures d'austérité: «Lors de l'affectation, on est obligé de choisir un poste qui n'est pas dans le cadre de notre travail», a-t-elle expliqué. «Depuis un an, nos heures sont coupées et des postes sont abolis. Les profs sont débordés parce qu'il n'y a pas assez d'éducateurs spécialisés.» Questionnée sur la menace d'une loi spéciale, elle a répondu que les «syndicats ne nous en parlent pas», tout en ajoutant: «Est-ce que les syndicats sont sur notre bord ou pas?» 

Denis, quant à lui, est infirmier dans un hôpital de Laval. «La charge de travail augmente», a-t-il fait savoir. «À chaque fois qu'on demande plus d'employés, ils nous disent qu'il n'y a pas de budget. Ils ont rapatrié certains soins offerts dans le privé vers le public mais sans nous donner plus de moyens».

 

 

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