Québec: le Front commun défend son entente de trahison

Lors d’une conférence de presse tenue à Montréal dimanche dernier, les dirigeants du Front commun, qui représente 400.000 des quelque 550.000 travailleurs du secteur public québécois, ont livré les détails de l’entente de principe qu’ils ont signée avec le gouvernement libéral de Philippe Couillard. C’est avec difficulté qu’ils ont justifié cet accord qui mine les salaires réels, augmente l’âge de la retraite et laisse le champ libre pour les cinq prochaines années au démantèlement des services publics.

Les présidents de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Jacques Létourneau, du Secrétariat intersyndical des services publics (SISP), Lucie Martineau, et de la Fédération des travailleurs et travailleurs du Québec (FTQ), Daniel Boyer, ont tenté de présenter l’entente comme une grande victoire.

«Pour nous, c'est clair qu'on a atteint d'abord l'objectif d'éviter encore plus l'appauvrissement des travailleuses et des travailleurs», a déclaré Létourneau. De son côté, Daniel Boyer a affirmé: «On a réussi dans le cours de cette négociation à faire abandonner la plupart de ces demandes-là par la partie patronale».

Quel mensonge éhonté! En réalité, les travailleurs verront une baisse de leur salaire en termes réels et une détérioration de leurs conditions de vie. Même le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, s’est réjoui d’avoir signé une entente qui «respecte le cadre budgétaire» du gouvernement.

Cette évaluation a été confirmée, sans le vouloir, par la présidente de la CSQ (Centrale des syndicats du Québec), Louise Chabot, lorsqu'elle a déclaré que «cette entente est loin d'être une approbation des politiques d'austérité du gouvernement libéral». Autrement dit, cette entente laisse intacte la grande majorité des profondes coupes sociales déjà imposées par le gouvernement Couillard.

Les dirigeants syndicaux, qui revendiquaient une augmentation salariale de 13,5 % sur trois ans au début du conflit et refusaient la hausse de l’âge de la retraite, ont capitulé sur toute la ligne.

Le règlement salarial prévoit un montant forfaitaire de 500$ en 2015 et des augmentations de 1,5% en 2016, 1,75% en 2017 et 2% en 2018. En 2019, un autre montant forfaitaire de 250$ sera offert à tous les employés, alors que seule une partie d'entre eux obtiendrait une hausse moyenne de 2,4% suite à l'entente nébuleuse sur la «relativité salariale».

Le gouvernement a obtenu le gel salarial qu'il exigeait pour 2015 et 2019: les montants forfaitaires (ridiculement bas) ne sont pas intégrés aux échelles de salaire et n’augmentent pas le salaire de base. Pour ce qui est de la «relativité salariale», le but évident du gouvernement est de diviser les travailleurs sur la base de l’ancienneté et du secteur d’emploi. Les syndicats n’ont d'ailleurs pas explicitement écarté la possibilité, soulevée lors des négociations, que les nouveaux employés dans certains secteurs aient des salaires inférieurs à ceux en vigueur actuellement.

En somme, un employé qui n’est pas touché par le remaniement des échelles salariales obtiendra une augmentation de 5,25% sur cinq ans, ce qui est largement sous le taux d’inflation. Même la hausse salariale plus élevée d'environ 8% représente, en termes réels, un appauvrissement. Les syndicats abandonnent ainsi leur objectif du «rattrapage salarial», alors qu’il a été abondamment documenté qu’un écart significatif existe entre les salaires du secteur public et ceux du secteur privé pour un emploi équivalent.

Le Front commun a aussi reculé au niveau des pensions. L’âge de la retraite passera de 60 à 61 ans en 2019, alors que la pénalité actuarielle, qui est de 4% depuis 1998, passera à 6% à partir de 2020. Plusieurs détails contenus dans les ententes dites sectorielles concernant les conditions de travail n’ont pas été dévoilés, mais on peut s’attendre aussi à des reculs à ce niveau.

Les dirigeants du Front commun ont indiqué qu’ils recommanderaient cette entente pourrie à leurs instances locales, sous le prétexte que dans un contexte d’austérité, c’est le mieux qu’ils pouvaient faire. Ils ont aussi souligné que les «gains significatifs» contenus dans l’entente étaient le résultat de la mobilisation historique des travailleurs.

En réalité, le cadre financier et les paramètres de la négociation étaient fixés d’avance par le gouvernement et acceptés par les syndicats. La participation massive des membres de la base à diverses manifestations et grèves tournantes limitées reflétait certes une immense colère envers les mesures d’austérité et le gouvernement libéral. Mais les syndicats n’ont jamais tenté de mobiliser sérieusement cette force dans un mouvement anti-austérité qui aurait impliqué toute la classe ouvrière à travers le Québec et le Canada.

Au contraire, ils ont enfermé les travailleurs du secteur public dans le cadre étroit des négociations collectives bidon, et ce, au moment même où de vastes couches de travailleurs s’opposent aux mesures d’austérité, y compris les milliers d’employés municipaux qui luttent actuellement contre l’assaut du gouvernement Couillard sur leurs retraites et leurs droits sociaux.

Pour les chefs syndicaux, le mouvement de protestation ne servait qu’à faire pression sur le gouvernement pour obtenir une entente «négociée de bonne foi», c’est-à-dire l’imposition des compressions budgétaires avec l’aide de la bureaucratie syndicale.

L’entente de principe sera soumise au vote des membres au retour des fêtes. Plusieurs discussions sur les réseaux sociaux indiquent un scepticisme, voire une opposition ouverte à l’entente. Les chefs syndicaux ont même dû avouer que des éléments de l’entente livrés sans explications pourraient «braquer les salariés». Les chefs syndicaux, toutefois, vont tout faire pour la faire adopter, y compris en invoquant la menace d’une loi spéciale.

C’est précisément pour cette raison que les syndicats ont commencé il y a quelques semaines seulement à rompre leur silence radio sur cette question vitale. S'ils ont soigneusement évité le sujet pendant des mois, c'est parce que la menace d’un décret démontrait que les travailleurs du secteur public étaient sur la voie d'une collision avec tout le programme de classe de l'élite dirigeante et tout son appareil étatique de répression – les divers paliers de gouvernement, les tribunaux, la police.

Un enjeu d'une telle ampleur soulignait la nécessité d’une mobilisation politique indépendante de toute la population ouvrière contre l'austérité capitaliste, la dernière chose que désiraient voir les syndicats en tant que défenseurs de la «paix sociale», c'est-à-dire le système de profit.

Si les travailleurs votent finalement pour rejeter l’entente, le gouvernement se tournera rapidement vers l’imposition d’un décret. Dans un tel cas, les syndicats utiliseront la loi spéciale pour justifier leur capitulation et leur impuissance, comme ils l’ont fait en 2005.

Lors de la conférence de presse, Daniel Boyer a déclaré de manière malhonnête que même s’il y a une entente, «on va poursuivre la bataille [contre l’austérité], elle va être aussi intense qu'elle a été avant le début des négociations». Et il a ajouté: «Est-ce qu'elle va prendre la forme de manifestations? Est-ce qu'elle va prendre la forme de suivre les ministres dans certains événements? Je ne le sais pas».

Les syndicats n’ont jamais organisé de véritable lutte contre l’austérité. Depuis qu’ils sont arrivés au pouvoir en 2014, les libéraux de Couillard ont sabré des milliards dans les services publics sans que les syndicats ne lèvent le petit doigt. Les chefs syndicaux signent maintenant la paix avec ce gouvernement au moment où il lance de nouvelles coupes draconiennes dans l’aide sociale, les garderies et la santé.

Cela fait des décennies que les chefs syndicaux interviennent systématiquement pour étouffer les luttes ouvrières et sociales. En 2012, par exemple, ils ont isolé une grève étudiante qui avait secoué la province pendant des mois, avant de la détourner derrière l'élection du Parti québécois (PQ), l'autre parti de gouvernement de la classe dirigeante québécoise avec qui ils maintiennent des liens politiques étroits et de longue date.

En cherchant aujourd'hui à torpiller la lutte dans le secteur public, les syndicats pro-capitalistes veulent assurer à l’élite dirigeante une paix industrielle de cinq ans pour laisser le champ libre au démantèlement des programmes sociaux et à un assaut intensifié sur les conditions de vie de toute la classe ouvrière.

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