La loi sur le renseignement jette les bases d'une police politique en France

Les députés étudient un projet de loi de modernisation des moyens des services de renseignement face au numérique en France, qui donne un cadre légal aux pratiques irrégulières des agents de renseignement leur permettant de récolter des données en masse. 

Le projet de loi permet aux services de renseignement d’accéder aux réseaux des opérateurs télécoms, des services en ligne comme Facebook, et des hébergeurs de sites. Les agents pourront installer « des boites noires » chez les acteurs du numérique pour repérer automatiquement des données, même s'ils n'ont pas de cible précise à surveiller. Les renseignements auront la possibilité d’intercepter les appels téléphoniques d’un mobile qui se trouve à proximité et de géolocaliser n’importe qui. 

La loi prétend toucher « à la prévention de la criminalité organisée », aux « intérêts essentiels de la politique étrangère », et aux « intérêts économiques ou scientifiques essentiels. Notre pays est la dernière démocratie occidentale à ne pas être dotée d'un cadre légal régissant les pratiques des services de renseignement », affirmait Jean-Jacques Urvoas, député PS et président de la commission des lois à l'Assemblée, qui a rédigé le texte. 

Selon le projet de loi, l'utilisation des dispositifs de surveillance serait contrôlée par la Commission nationale de contrôle (CNCTR). Cette autorité serait composée de deux députés, deux sénateurs, deux membres du Conseil d'État, deux magistrats et une « personnalité qualifiée pour ses connaissances en matière de communications électroniques ». Ce n’est plus le judiciaire mais l'exécutif, soit le premier ministre soit un délégué de ce dernier, qui déciderait de suivre une personne. 

L’espionnage de masse existait avant même que la loi ne soit votée par le parlement. L’affaire Snowden a révélé l’étendue des écoutes de la part des Etats-Unis mais aussi des toutes les puissances impérialistes, y compris la France. 

Le projet de loi de Hollande fait suite aux attentats contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo. Depuis, selon la presse, des secteurs de l’armée, des renseignements et de la police intensifient la pression pour légitimer l'espionnage de masse des données de la population française et mondiale. 

Le but de la loi, même selon le journal de droite Le Figaro, « est de légaliser des pratiques jusqu'ici illégales des agents de renseignement, afin de mieux protéger ces derniers. ». 

En adoptant la loi sur le renseignement après avoir fait voter l’année dernière la loi de programmation militaire et la loi antiterroriste, le gouvernement Valls fait un saut qualitatif dans la mise en place d’un Etat policier. Sous couvert d'une lutte contre le terrorisme islamiste, que l'OTAN et l'impérialisme français ont instrumentalisé lors de guerres en Libye et en Syrie, la loi attaque les droits démocratiques et vise toute opposition aux politiques réactionnaires de la bourgeoisie. 

Bien que représentant l'Etat français et soutenant la loi sur le renseignement, Alain Marsaud, député UMP, ancien magistrat et ex-chef du service central de lutte antiterroriste au Parquet de Paris dans les années 1980, a averti des risques énormes posés par la loi. 

Il a dit, « Cette loi ne garantit pas assez de contrôle. La capacité d’intrusion de ce texte est énorme. Notre vie ne sera plus la même avant et après. Car tout ce que nous dirons sera contrôlé. Aujourd’hui, ce pouvoir est dans les mains du Premier ministre, Manuel Valls. Je ne doute pas qu’il en fera bon usage. Mais la loi va perdurer. Et tomber entre d’autres mains. Cette loi peut permettre une police politique comme nous n’en avons jamais vu. N’importe quel pouvoir pourra faire ce qu’il veut ». 

En fait, la démocratie française traverse déjà une crise profonde, et la confiance accordée par Marsaud aux sentiments démocratiques de Valls et du PS est sans fondement. Imposant une politique d'austérité et de guerre dénuée du moindre soutien populaire, le PS est aux abois, craignant une éruption de luttes sociales de la classe ouvrière qui déborderait les appareils syndicaux et la pseudo gauche. 

C'est avant tout contre ce risque-là que les renseignements français, qui ont déjà une très longue pratique d'espionnage intérieur destiné à contrôler les mouvements sociaux, jettent les bases d'un Etat policier. 

Un article du Monde sur le renforcement du renseignement intérieur français fait brièvement allusion aux pouvoirs exorbitants accordés par la loi à l'armée et aux services de sécurité. Ce journal écrit, « 'Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, disait Montesquieu, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.' La IVème République, avec la guerre d’Algérie, n’en a pas tenu compte, elle en est morte ». 

La référence à la chute de la IVème République en 1958 indique le contenu politique et social du renforcement actuel des services de renseignement. Dans les milieux dirigeants, on discute intensément de périodes de l'histoire durant lesquelles des sections de l'armée française sont intervenues pour suspendre la légalité bourgeoise et pour torturer et assassiner les opposants de la politique de l'impérialisme français. 

La IVème République est tombée après le coup d’Etat dirigé par De Gaulle durant la guerre d'Algérie, visant à maintenir le contrôle. Ce coup reposait sur l’alliance entre les partisans de l’Empire colonial, des associations de combattants, et des ultras d’extrême droite issus du poujadisme dans l’armée. Ils prévoyaient d'investir la manufacture d'armes de Saint-Étienne et la ville de Lyon et d’organiser la levée en masse des Français d'Algérie et leur débarquement en métropole, grâce à l'encadrement des régiments de parachutistes. 

Dans les faits, le gouvernement social-démocrate de Guy Mollet a décidé de céder le pouvoir à De Gaulle peu après le déclenchement des premières opérations du coup d’Etat projeté. 

A l'époque, les services de renseignement et les unités spéciales de l'armée arrêtaient, torturaient, et assassinaient des centaines de milliers d'Algériens et des Français opposés à l'Algérie française. 

Les parachutistes ont arrêté et torturé Henri Alleg, condamné par la suite à 10 ans de prison, et Maurice Audin, qui est mort pendant son interrogatoire, tous deux membres du Parti communiste algérien, dès 1957. 

La loi actuelle avancée par le duo Hollande-Valls, qui s’appuie sur les descendants politiques de ces forces meurtrières et réactionnaires, est un avertissement à la classe ouvrière. Ces forces se dotent à présent d'un appareil de surveillance dont les paras, ou la milice de Vichy, n'auraient même pas pu rêver.

Loading