Perspectives

La triste réalité de la politique américaine

L’appel du candidat présidentiel républicain Donald Trump à interdire l’entrée des musulmans aux États-Unis, que ce soit en tant qu’immigrés ou visiteurs, a déclenché une tempête politique. L’appel ouvert de Trump aux sentiments les plus réactionnaires, racistes et fascisants a créé une crise politique de l’élite dirigeante américaine. 

Sa rhétorique grossière fait voler en éclats le discours officiel selon lequel l’Amérique défendrait la « liberté » et la « démocratie », discours utilisé autant par les gouvernements démocrates que républicains pour justifier les guerres et les interventions impérialistes dans tout le Moyen-Orient, l’Asie centrale et l’Afrique du Nord. Trump arrache ce masque démocratique. Il défend ouvertement la répression violente de ceux qui oseraient s’opposer aux exigences des entreprises américaines, à l’étranger ou à l’intérieur. 

Cela explique la volée de dénonciations de Trump venant d’une vaste gamme de porte-paroles de l’establishment politique américain. L’attaché de presse de la Maison blanche Josh Earnest a déclaré que la proposition de Trump « le disqualifie pour la fonction présidentielle. » Earnest a qualifié sa rhétorique de « nocive pour le pays », en disant qu’elle a rendu plus difficile de « travailler en partenariat » avec les dirigeants musulmans américains pour identifier les menaces potentielles. 

Le porte-parole officiel du Pentagone, Peter Cook, qui d’habitude refuse de commenter les questions de politique intérieure, a déclaré : « Tout ce qui tente de renforcer le récit de l’État islamique [EI] selon lequel les États-Unis sont en quelque sorte en guerre avec l’islam est contraire à nos valeurs et contraire à notre sécurité nationale. » 

Le président de la Chambre des représentants Paul Ryan, le républicain le plus important du Congrès, a déclaré aux journalistes, « La liberté de religion est un principe constitutionnel fondamental. C’est un principe fondateur de ce pays ». En même temps, il a déclaré que si Trump était le candidat républicain à la présidence, il le soutiendrait. 

Les médias américains ont publié une série de dénonciations de Trump dans les éditoriaux, les caricatures et des chroniques publiés mercredi, dont beaucoup ont comparé Trump à Hitler ou à Mussolini. CNN a affiché une chronique par son rédacteur en chef pour la sécurité nationale, Peter Bergen, posant la question : « Trump, est-il un fasciste ? » 

Le Detroit Free Press, le plus grand journal du sud-est du Michigan, qui abrite plus de 100 000 musulmans américains, a publié en première page un éditorial au grand titre « Nous sommes unis ». La déclaration a dénoncé les opinions de Trump comme « rien d’autre que de la bigoterie et du racisme flagrants, un retour aux pages les plus sombres de l’histoire de l’Amérique ». 

Les déclarations officielles de choc à propos des opinions fascisantes de Trump, qui se lamentent que « cela n’est pas ce que nous sommes », sont aussi cyniques que malhonnêtes. La classe dirigeante n’aime pas que l’essence réactionnaire, brutale et antidémocratique de ses politiques soit affirmée aussi ouvertement. 

Les rodomontades du milliardaire ne sont pas en contradiction avec la pratique actuelle de l’impérialisme américain, elles en sont plutôt une expression directe. Les déclarations de Trump concordent entièrement avec les politiques qui ont produit Abou Ghraib, Fallujah, les prisons secrètes de la CIA et Guantánamo Bay.

La classe dirigeante américaine est ce qu’elle fait, pas ce qu’elle proclame dans les discours de jour de fête célébrant la Constitution, la Déclaration des droits, ou, comme dans les propos d’Obama mercredi, le 150e anniversaire de l’adoption du treizième amendement, qui a aboli l’esclavage. Le temps est révolu depuis longtemps où le gouvernement américain a mené une guerre pour libérer les esclaves. Il fait des guerres pour asservir le monde à Wall Street. 

Depuis 30 ans, les États-Unis ont mené une guerre après l’autre pour maintenir leur domination sur le Moyen-Orient et l’Asie centrale, l’emplacement des plus grandes réserves de pétrole et de gaz de la planète. Ces guerres ont brutalisé, et rendu brutaux, non seulement les soldats qui y ont participé, mais aussi les commandants de l’appareil militaire et du renseignement et leurs représentants politiques et médiatiques. 

Avec le militarisme effréné, un processus parallèle a vu la criminalisation de l’aristocratie financière dans son ensemble, les grandes fortunes se sont de plus en plus réalisées à partir du type d’escroquerie financière qui a produit le krach de 2008 à Wall Street. À mesure que l’inégalité sociale s’élève à des niveaux vertigineux, l’élite dirigeante réclame un niveau de violence toujours plus élevé aussi contre les couches les plus opprimées de la classe ouvrière. 

La brutalisation de cette société est tellement avancée que, selon un rapport publié la semaine dernière, 200 000 Américains ont été assassinés au cours des 15 dernières années seulement. Les États-Unis sont un pays en guerre, pas seulement avec le Moyen-Orient, mais avec eux-mêmes. 

La montée de Trump a une logique politique précise. Il représente l’intersection des médias et de l’émergence de cet élément criminel au sein de la bourgeoisie. Sa fortune personnelle est le produit de la spéculation immobilière à Manhattan et des casinos d’Atlantic City, suivie de sa transformation en célébrité médiatique comme hôte d’une série d’émission où il a été dépeint comme l’incarnation du patron capitaliste réussi – impitoyable et résolu. 

La montée d’une telle personnalité à une position de premier plan dans la campagne présidentielle républicaine démontre qu’une tendance fasciste se dessine au sein de la structure politique officielle des deux partis des États-Unis. Il est à noter que, bien que la moitié des candidats républicain à la présidentielle ait condamné la proposition de Trump d’interdire les musulmans, l’autre moitié ne l’a pas fait, et plusieurs se sont ouvertement solidarisés avec le milliardaire. 

Le sénateur Ted Cruz du Texas, menant désormais dans les sondages dans l’Iowa, où le dépouillement des votes de l’élection primaire aura lieu dans moins de huit semaines, a déclaré, « J’aime bien Donald Trump ». Il a poursuivi en disant, « Je félicite Donald Trump pour s’être battu et avoir attiré l’attention de l’Amérique sur la nécessité de sécuriser nos frontières ». 

Les sondages parus le lendemain ont montré que parmi les électeurs républicains dans les primaires, 65 pour cent soutiennent l’interdiction des musulmans proposée par Trump. Ce seul fait démontre comment la candidature de Trump a servi à déplacer le paysage politique officiel des États-Unis encore plus loin vers la droite. 

Le Parti démocrate porte en partie la responsabilité de l’émergence de Trump, puisque, comme les républicains, il a poursuivi des politiques de guerre impérialiste à l’étranger et les attaques sur les emplois, sur le niveau de vie et sur les droits démocratiques de la classe ouvrière à l’intérieur. La candidate démocrate favorite pour la présidentielle, Hillary Clinton, est l’un des principaux défenseurs de l’escalade de l’intervention militaire américaine dans la guerre civile syrienne, exigeant dans un entretien télévisé dimanche, « une campagne aérienne beaucoup plus robuste contre des cibles de l’État islamique, contre l’infrastructure pétrolière, contre leurs dirigeants », ainsi qu’une augmentation du nombre de forces spéciales américaines. 

Quant à son principal rival pour l’investiture, le soi-disant « socialiste » Bernie Sanders, il cherche à éviter toute discussion de la politique étrangère, parce qu’il est partisan de longue date de la guerre impérialiste au Moyen-Orient. Il y a un contraste instructif entre Sanders et Trump. Le milliardaire, ouvertement méprisant de la configuration politique actuelle, menace de se représenter en dehors du système des deux partis et d’embarquer ses partisans avec lui, faisant remarquer que les sondages montrent que 68 pour cent de ses partisans lui apporteront leur soutien en tant qu’indépendant. 

Sanders, lui, s’affaire à s’incruster toujours plus profondément dans le Parti démocrate. Il poursuit assidûment son rôle désigné dans la campagne : faire appel aux travailleurs et aux jeunes indignés par la croissance de l’inégalité sociale et les rediriger vers l’étreinte de ce parti de Wall Street et de l’impérialisme américain. 

Que Trump puisse menacer de façon crédible de mener sa propre campagne, ce qui serait un mouvement personnaliste financé par sa fortune de plusieurs milliards de dollars, en dit long sur les dangers auxquels sont confrontés les travailleurs. Quel que soit le résultat immédiat de la campagne de 2016, qui en est encore à ses débuts, il y a des forces objectives puissantes, surtout la marche redoublée vers la guerre de l’impérialisme américain, non seulement au Moyen-Orient, mais contre la Chine et la Russie, qui nourrissent la politique du type ultra-réactionnaire, raciste et chauvin articulée par Trump. 

L’émergence d’une tendance proto-fasciste en Amérique souligne la nécessité du développement d’un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière contre la guerre impérialiste sur la base d’un programme socialiste et internationaliste. 

(Article paru en anglais le 10 décembre 2015)

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