Coup d’Etat constitutionnel en Pologne

Depuis sa victoire électorale du 25 octobre, le parti droitier Droit et Justice (PiS) n’a pas perdu de temps. Il s’efforce de concentrer entre ses mains, au moyen d’un coup d’Etat constitutionnel, tous les leviers du pouvoir d’Etat. A l’image du parti Fidesz de Viktor Orban en Hongrie, le PiS cherche à consolider son pouvoir avec l’appui du pouvoir judiciaire, des agences de renseignement et la collaboration des médias.

Deux jours à peine après l’investiture de la premier ministre, Beata Szydlo, les chefs des quatre agences de renseignement furent convoqués à une réunion. Etait également présent Jaroslaw Kaczynski, l’homme fort du PiS qui dirige le parti de façon autocratique. Le soir même, les quatre généraux démissionnaient « de leur plein gré. »

Le nouveau personnage principal des agences de renseignement est Mariusz Kaminski, un proche allié de Kaczynski. Au nouveau gouvernement il est ministre en charge de la Coordination des activités entre les deux services de renseignement civils et les deux services de renseignement militaires.

Lorsque Kaczynski était à la tête du gouvernement, de 2006 à 2007, Kaminski avait élargi le bureau anti-corruption CBA pour en faire une cinquième agence de renseignement. Il avait alors agi de manière si outrancière en enfreignant la loi qu’il écopa en mars 2015 d’une peine de prison de trois ans et d’une interdiction d’exercer un mandat public pendant dix ans. 

Bien que la confirmation de la décision soit en suspens, le président Andrzej Duda l’a gracié pour qu’il puisse prendre ses nouvelles fonctions. Duda, qui est aussi membre du PiS, fut élu président en mai. Il est considéré être la marionnette de Kaczynski et, selon des commentaires des médias, les deux hommes se rencontrent tous les soirs pour une séance d’information.

Selon l’ancien président de la Cour constitutionnelle, Andrzej Zoll, la grâce accordée à Duda représentait une transgression des compétences constitutionnelles. La grâce est un moyen humanitaire et n’est pas destiné à éviter des poursuites judiciaires à l’encontre de collègues de parti, a dit Zoll. Duda l’a justifiée en prétendant que sa condamnation avait été politiquement motivée.

Dans un second temps, le PiS a exclu les partis d’opposition d’un contrôle des services secrets en faisant passer le nombre des membres de la commission parlementaire de neuf à sept et en abolissant la présidence rotative entre gouvernement et opposition. C’est ainsi que seules des personnes de confiance du PiS dirigeront et contrôleront les services secrets.

Parallèlement, le PiS tente de contrôler la Cour constitutionnelle qui vérifie la constitutionnalité des lois. Lors d’une séance parlementaire, le PiS a fait passer en hâte une loi invalidant l’élection par le parlement précédant de cinq juges constitutionnels. Ainsi furent créées les conditions pour donner à la cour, qui compte 15 membres, une majorité pro-PiS.

De l’avis de certains juges influents cette manière de procéder est illégale. Selon un ancien collègue de Zoll, Jerzy Stepien, un examen en première lecture du projet de loi n’eut pas lieu en séance plénière tel que l’exige la loi, mais seulement devant l’une des commissions dominées par le PiS. De plus, seule la Cour constitutionnelle est autorisée à annuler des décisions prises par un parlement précédent.

La mainmise sur la Cour a pour but de préparer la voie à des modifications constitutionnelles annoncées de longue date par le PiS. Entre autres, le parti envisage d’éliminer l’équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire en créant la base juridique pour l’instauration de formes autoritaires de gouvernement en affaiblissant le parlement. Le PiS est également contre le droit à l’avortement et la séparation de l’église et de l’Etat.

Le PiS cherche aussi à museler les médias et le monde culturel. Le nouveau ministre de la Culture, Piotr Glinski, a tenté d’empêcher que soit jouée au théâtre de Breslau la pièce Der Tod und das Mädchen de la lauréate autrichienne du prix Nobel de littérature, Elfriede Jelinek. Il avait demandé par lettre au chef de l’administration régionale d’interdire la pièce en raison de prétendues scènes pornographiques.

Après que la journaliste Karolina Lewicky ait demandé plusieurs fois sur la chaîne de télévision publique TVP au ministre si ses agissements n’allaient pas à l’encontre de la liberté artistique telle qu’elle est ancrée dans la constitution, Janusz Daszczynski, l’a provisoirement suspendue d’antenne. La journaliste n’ayant pas respecté les normes de la télévision publique, a-t-on prétendu.

Avant cela, Glinski avait explicitement averti de l’intervention de l’Etat contre l’émission de la chaîne de télévision qu’il accuse de manipulation et de propagande depuis des années. Le comité d’éthique de la chaîne doit décider maintenant si la journaliste doit être licenciée.

Glinski a carrément déclaré qu’il n’y avait pas de liberté d’expression des artistes dans les institutions et publications culturelles financées par l’Etat et annoncé une série de nouvelles nominations dans les médias publics. Les leçons d’histoire devaient être modifiées pour éduquer les enfants davantage dans l’esprit du patriotisme polonais.

En politique étrangère, le gouvernement PiS a adopté un ton plus agressif encore à l’égard de Moscou que celui de son prédécesseur de la Plateforme citoyenne (PO) et se distance démonstrativement de l’Union européenne. Dès le tout début de son mandat, le président Duda avait exigé « moins de Bruxelles » et « plus d’OTAN » dans la politique étrangère polonaise.

Lors de la première conférence de presse hebdomadaire du gouvernement, la premier ministre Szydlo n’était pas apparue sur fond de drapeaux polonais et de l’Union européenne comme de coutume, mais seulement devant des drapeaux polonais. Le nouveau gouvernement a l’intention de n’accepter aucun réfugié du Moyen-Orient. Le gouvernement précédent, en guise de concession à Berlin et à Bruxelles, avait accepté d’accueillir un chiffre symbolique de 7.000 réfugiés sur deux ans.

Dans le même temps, le gouvernement PiS cherche à ce que l’OTAN adopte une position encore plus dure contre la Russie. Le ministre des Affaires étrangères Witold Waszczykowski, un adversaire pur et dur de la Russie, a exigé, immédiatement après que la Turquie a abattu le bombardier russe, l’annulation de l’accord OTAN-Russie dans lequel l’OTAN acceptait de ne pas stationner de troupes en Europe centrale. 

Il y a un élément de panique dans la rapidité et la dureté avec lesquelles le PiS s’efforce d’asseoir son pouvoir. Kaczynski est conscient qu’il ne dispose que d’une courte période de temps pour consolider son pouvoir. Lorsque son gouvernement s’était effondré en 2007 au bout d’un an à peine, suite à des divergences avec ses partenaires de coalition et après que son frère jumeau est mort dans un accident d’avion en 2010, l’ère du PiS semblait révolue. La base du parti se trouve avant tout dans les régions rurales arriérées et l’église catholique.

Mais l’attitude pro-Union européenne du PO qui se base sur des sections plus libérales de la population urbaine avait polarisé la société. Alors que des sections privilégiées de la classe moyenne s’enrichissaient grâce à leur accès au financement de l’UE, les salaires restaient bas et le chômage élevé. Les services sociaux ont été détruits et des millions de retraités, d’habitants des campagnes et de gens ayant besoin d’aide vivent dans une pauvreté indescriptible.

C’est dans ces conditions que le PiS a fait son retour avec un mélange d’agitation nationaliste et de démagogie sociale. Un soutien de près d’un cinquième de l’électorat, 37 pour cent des voix sur un taux de participation de 51 pour cent, lui a assuré une majorité parlementaire.

Cette faible base sociale n’est pas assez solide pour soutenir le PiS lors d’importants conflits sociaux et le parti s’efforce donc d’asseoir son régime par des moyens dictatoriaux.

(Article original paru le 1er décembre 2015)

 

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