La Banque centrale européenne resserre son emprise sur la Grèce

Le programme d’« échange de dettes » proposé la semaine dernière par le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis au cours de sa tournée des capitales européennes, poursuit deux objectifs.

Ce programme vise à garantir sans limite définie dans le temps un flux continu d’argent hors de Grèce en payement des 315 milliards d’euros de la dette étrangère du pays. Il doit aussi donner au nouveau gouvernement le temps de respirer et de créer l’illusion qu’il a obtenu des banques européennes quelques véritables concessions.

Le plan de Varoufakis fait suite à la répudiation par le gouvernement grec du principal volet du programme sur lequel il a été élu il y a un peu plus de deux semaines: l’annulation de la plus grande partie de la dette publique grecque. Reconnaissant qu’une telle « décote » ne serait pas acceptée, Varoufakis, a élaboré ses propositions en conséquence.

Il a proposé que les obligations grecques détenues par la Banque centrale européenne soient converties en obligations perpétuelles. Normalement, une obligation prévoit que celui qui l’a émise remboursera sa valeur nominale à la maturité de l’échéance. Si les obligations existantes deviennent perpétuelles alors elles ne seront jamais remboursées et le gouvernement grec continuera de verser des intérêts indéfiniment. Ceci aurait l’effet d’une dépréciation de la valeur de la dette due par le gouvernement grec, bien qu’en pratique cela ne fasse que peu de différence parce que les obligations existantes sont à long terme et s’étendent sur plus de 30 ans.

L’autre proposition est que les paiements d’intérêt sur les obligations détenues par les gouvernements européens seraient indexés sur la croissance économique nominale. Par conséquent, si la croissance grecque augmente, les paiements augmenteraient et ils baisseraient si la croissance déclinait.

Varoufakis a aussi proposé que la clause stipulant que la Grèce présente un budget excédentaire après paiement des intérêts, soit réduite, et passe de 4 pour cent à entre 1 et 1,5 pour cent du PIB (produit intérieur brut). Il a insisté pour que cette exigence soit respectée même si cela signifiait que le gouvernement Syriza ne tiendrait pas ses nombreuses promesses sur les dépenses publiques, grâce auxquelles il a été élu.

Ces propositions ont enregistré un premier soutien et le Financial Times a commenté dans un éditorial que, vu que Varoufakis cherchait à obtenir du soutien pour le nouvel accord, il méritait « d’être écouté entièrement et même avec sympathie. »

Le Financial Times a aussi noté qu’étant donné que la plus grande partie de la dette grecque était une dette envers d’autres gouvernements européens, l’insistance de Varoufakis à vouloir parler directement à ces gouvernements plutôt qu’à la troïka – composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international – avait une certaine validité. Il semble que le Financial Times pense qu’un gouvernement Syriza serait le meilleur outil pour briser le pouvoir des oligarques grecs et pour permettre aux institutions financières internationales d’avoir accès à des pans lucratifs de l’économie grecque.

Après un premier témoignage de soutien, la mission de Varoufakis a connu mercredi un revers significatif avec l’intervention de la Banque centrale européenne.

Après avoir, en paroles du moins, refusé les conditions existantes de renflouement, le gouvernement Syriza était en quête de 10 milliards d’euros de financement « intermédiaire », le temps d’élaborer un nouvel arrangement au cours des trois mois à venir.

La BCE lui a toutefois mis des bâtons dans ses roues en supprimant la clause relative à l’utilisation des obligations gouvernementales grecques détenues par les banques grecques en tant que collatéraux pour les prêts qu’elle accorde.

La BCE ne devrait pas, en vertu de ses règles, accepter d’obligations grecques en tant que collatéraux vu qu’elles sont passées dans la catégorie des sous investissements et sont, essentiellement, des obligations « de pacotille ». Mais la BCE avait accepté de renoncer à cette clause à la condition que le gouvernement grec continue de respecter les termes mis en place par la troïka. Le gouvernement grec ayant décidé de se retirer de cet accord, la BCE a annoncé qu’elle mettait fin à la clause dérogatoire.

Cette question aurait surgi de toute manière à la fin du mois lorsque le présent accord serait arrivé à terme. Ceci aurait nécessité un accord pour une prolongation que le gouvernement grec avait dit ne pas chercher à obtenir. La décision prise mercredi par la BCE a simplement accéléré la confrontation.

Dans sa déclaration, la BCE a dit avoir pris la décision « conformément aux règles de l’eurosystème car il n’est pas possible actuellement de compter sur le succès de la revue du programme d’aide. » Elle a dit que les banques grecques seraient toutefois en mesure d’obtenir des fonds de la banque centrale du pays « grâce à la fourniture de liquidité d’urgence (ELA) dans le cadre des règles existantes de l’eurosystème. »

Cette décision, si elle ne mine pas totalement la position des banques grecques leur a porté un sérieux coup en réduisant les collatéraux dont elles disposent lorsqu’elles demandent des prêts à la BCE. En conséquence, les actions ont dégringolé après l’annonce de la décision.

Les banques grecques sont confrontées à des problèmes de liquidité dus, ces derniers temps, à des retraits considérables d’argent liquide. Selon un article paru dans le magazine Economist, quelque 4,4 milliards d’euros furent retirés en décembre et plus du double en janvier.

Une grande partie de cet argent consiste en fonds transférés à l’étranger par les oligarques financiers en quête d’un « abri sûr » en cas d’imposition par le gouvernement de contrôles du capital ou d’autres restrictions. Certains ont fait le calcul que si la crise s’approfondissait et que la Grèce sortait de la zone euro, ils seraient en mesure d’utiliser leurs fonds à l’étranger pour obtenir des actifs lucratifs. Ceux-ci seraient à des prix défiant toute concurrence suite à un retour à une drachme sérieusement dévaluée comme monnaie nationale.

Alors que les banques grecques auront toujours accès à des liquidités grâce à la banque centrale du pays en vertu des termes de l’ELA, la décision de la BCE représente un resserrement significatif de son emprise à la fois sur le système bancaire national et le gouvernement mené par Syriza.

La BCE a le pouvoir de déterminer le montant de l’ELA et celui de décider de le retirer complètement.

Comme le remarquait l’Economist, « la dépendance croissante des banques grecques de l’ELA laisse le gouvernement à la merci de la BCE au moment où il tentera de renégocier le renflouement. »

Le magazine a aussi noté que la BCE avait déjà pris de telles mesures précédemment. En 2013, la BCE avait annoncé vouloir arrêter l’autorisation de l’ELA en l’espace de quelques jours pour les banques chypriotes à moins que le gouvernement n’accepte ses conditions de renflouement, le contraignant finalement à accepter. Une menace identique a été utilisée pour obtenir en 2010 un accord du gouvernement irlandais.

(Article original paru le 6 février 2015)

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