Reportage réalisé sur place en Grèce

Des étudiants décrivent la crise de la jeunesse grecque

Après cinq années d’austérité dictée par l’Union Européenne et le Fonds monétaire international, des centaines de milliers de Grecs se sont exilés en quête d’emplois et de meilleures perspectives. Plus de 200.000 Grecs auraient quitté le pays ces dernières années, dans la plus grande vague d’émigration grecque depuis la Seconde Guerre mondiale.

Selon une récente étude de l’Institut Universitaire Européen (IUE) à Florence, beaucoup de ceux qui s'exilent sont des étudiants hautement qualifiés n’ayant pu trouver un emploi convenable en Grèce. L'étude indique que 89 pour cent des émigrés avaient des diplômes dans des secteurs tels que l’ingénierie, la finance et la gestion d’entreprise, ainsi que l’informatique. Quarante-huit pour cent avaient moins de 30 ans, et 49 pour cent avaient entre 31 et 45 ans.

« Qu’est-ce-qui m’a poussé à partir ? Le fait qu’il y a zéro débouchés pour les gens de mon âge, la crise politique et sociale, et aussi la montée dans les sondages d'Aube dorée [parti néo-nazi], » a déclaré l’un d'eux.

« La Grèce aujourd’hui est devenue un pays avec lequel je ne veux plus m’associer » a dit un autre.

Evoquant l’exode de jeunes gens qualifiés, Aliki Mouri, un sociologue au Centre national de la Recherche sociale, a dit : « C’est une perte énorme de capital humain dont les effets ne se feront sentir qu’à partir de la décennie suivante ».

Une équipe du WSWS a parlé avec des étudiants à la Polytechnique d’Athènes en janvier, avant la victoire électorale de Syriza. A l’intérieur de l’entrée principale se trouvent les restes de ferraille tordue d’un portail écrasé par un char en 1973, lorsque l’armée grecque a tenté de disperser les étudiants barricadés à l’intérieur, qui appellaient à un soulèvement contre la junte des colonels. Vingt-trois personnes ont été tuées dans le soulèvement ultérieur.

La junte fut renversée juste un an plus tard et une loi a été votée interdisant à la police et à l’armée d’entrer dans l’université. Le gouvernement de coalition d’Antonio Samaras a révoqué cette loi et en novembre dernier la police et les forces spéciales, armées de gaz lacrymogène et de bâtons, ont pris d’assaut l’université pour disperser les étudiants.

Alex

Alex possède déjà un diplôme en physique et poursuit ses études d'architecture à l’Université Polytechnique. Il a dit au WSWS qu’il travaille trois ou quatre heures par jour dans un bureau d’études techniques pour financer ses études.

« Je ne m’attends pas à voir des solutions rapides de la crise après l’élection. Je m’attends à ce que la crise continue pendant encore une décennie. Toute la société est touchée, toutes les couches sociales. L’efficacité et l’approvisionnement des services se détériorent continuellement, alors que les niveaux de vie baissent. En effet, la Grèce sert de ballon d’essai pour la mise en œuvre de l’austérité dans d’autres pays européens.

« Il est prévu que le parti Syriza emporte l’élection dimanche prochain, mais il ne tiendra pas toutes ses promesses. Cette organisation compte beaucoup de voix discordantes. Elle est profondément opportuniste. Si Syriza échoue, je ne sais pas ce qu’il arrivera ensuite. Pour moi c’est un mystère. Cela va être une vraie pagaille politique ».

Konstantinos

Konstantinos est en troisième année de ses études d'architecture. Il n'a pu continuer ses études que grâce au soutien de ses grands-parents. Comme des millions d'autres travailleurs retraités en Grèce, leurs retraites ont été amputées.

« Je connais des amis et des membres de ma famille qui ont travaillé très dur pour financer leurs études. Mon frère fait des études de géologie, mais il doit travailler de longues heures dans une cafétéria. Je sais qu'il y a peu d'emplois pour les architectes à présent et qu'il sera très dur pour moi de trouver du travail quand j'aurai terminé mes études ».

Interrogé sur ce qu'il pensait de Syriza, Konstantinos a dit: « Ils promettent beaucoup de choses, mais ils vendent des rêves. Quand il en viendra à négocier avec l'Europe, ils n'ont rien dans la main. ».

Vassiliki et son ami à la Polytechnique d'Athènes

Vassiliki est une jeune étudiante d'architecture en première année. Elle a dit qu'elle n'aura aucune possibilité de trouver du travail quand elle aura terminé ses études. « Je m'attends à aller à l'étranger, mais je ne sais pas si je peux aller dans un pays d'Europe. Je sais que la situation en Europe s'empire. »

« Je connais des jeunes gens qui voulaient étudier à des universités à l'extérieur d'Athènes mais qui ne peuvent pas car ils dépendent totalement du soutien de leurs parents. Dans certains cas, ceci signifie qu'ils ne peuvent faire des études. Je n'ai pas encore décidé pour qui voter dimanche, j’ai confiance en aucun des dirigeants politiques. Syriza est plein de gens de PASOK et des personnalités du passé ».

Alkisti

Alkisti, âgée de 35 ans, prépare un master et poursuit ses études à la faculté d'architecture depuis sept ans. Interrogée sur les conditions de vie en général, elle a répondu, « La situation s'empire et on nous refuse toute dignité. Les mesures que le gouvernement a introduites ont augmenté la pression économique, et les gens étouffent. C'est encore pire pour les plus jeunes. On supprime le financement de l'éducation publique, et dans quelques départements, il n'y a pas de papier pour les photocopieurs.

« En plus, nous n'avons pas assez de professeurs – c'est un gros problème ici. Moi, ça ne va pas trop mal, parce que j'habite chez mes grands-parents, mais je suis quand même obligée d'avoir deux jobs pour m'en sortir. Je travaille comme architecte à temps partiel sous de très mauvaises conditions, et aussi je donne des cours d'espagnol.

« En même temps, je suis supposée payer beaucoup d’impôts. Je paie une forte somme pour la nouvelle forme de taxe foncière introduite en 2009, et aussi je dois payer très cher mes assurances sociales. Je n'ai aucune idée de comment seront les choses quand j'aurai terminé mes études. Je sais qu'il y a peu de demande pour des architectes, car le secteur du bâtiment a été durement frappé ».

Mariza et son ami ont tous deux 23 ans. Mariza a fait six ans d'études. « Nous sommes confrontés à de gros problèmes tous les jours. Nous manquons de professeurs, et il y a eu beaucoup de grèves et de manifestations que nous avons soutenues. Bien sûr, nous sommes contre la nouvelle loi qui permet des incursions illégales dans l'enceinte de la Polytechnique. Nous ne soutenons pas cette décision du gouvernement », dit-elle.

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