Perspectives

L'état de l'Union imaginaire d’Obama

L’irréalité du discours de Barak Obama sur « l'état de l'Union » mardi dernier – il a présenté une Amérique au niveau de vie et à l'économie en plein essor, couronnant le tout par une déclaration que « l'ombre de la crise [était] passée » – n’a peut-être été égalée que par la présentation qu’en ont fait les médias et les partisans du Parti démocrate.

Le ton général a été donné par le New York Times dans son éditorial le lendemain du discours. Il décrit celui-ci comme un « message simple, dramatique sur l'équité économique, sur le fait que les plus aisés – les gros revenus, les grandes banques, Silicon Valley – ont profité un maximum, alors que les classes moyennes et la classe ouvrière sont restés en rade. »

Essayer de faire des remarques d'Obama un appel retentissant à une lutte contre les inégalités sociales se heurte au fait gênant que l’individu supposé lancer l’appel a été chef de l'Etat ces six dernières années. Le Times écrit comme si la politique de l'administration Obama -- renflouement des banques à hauteur de milliers des milliards de dollars, assaut coordonné sur les salaires, coupures sans relâche dans les programmes sociaux et contre-révolution sociale dans les soins de santé, connue sous le nom d’Obamacare, n'ont rien à voir avec le niveau record d'inégalité sociale qui prévaut aux États-Unis.

Le Times cite la question posée par Obama vers le début de son discours: « Allons-nous accepter une économie où seuls certains d'entre nous s’en tirent spectaculairement bien? Ou allons-nous nous engager à avoir une économie qui génère davantage de revenus et de chances pour tous ceux qui fournissent des efforts ? »

Quiconque a écouté ce discours et a une connaissance, même superficielle, de l'histoire de sa présidence saura immédiatement répondre que, pour Obama et pour l'ensemble de l'establishment politique qu'il dirige, la bonne réponse est clairement la première partie de sa question.

Quant aux propositions elles-mêmes – qui comprennent une assistance aux frais de scolarité pour les collèges communautaires, des crédits d'impôt pour les frais de garde d'enfants et l'enseignement au collège, une augmentation du salaire minimum et la rémunération des congés de maternité – ce sont des mesures insincères et dérisoires, adaptées aux intérêts des grandes sociétés et dont personne, surtout pas Obama, ne s’attend à qu'elles soient votées.

Le Times reconnaît lui-même que « M. Obama sait que ses chances d'obtenir l'accord du Congrès sont plus que nulles. » Les responsables de la Maison Blanche ont volontiers admis avant le discours sur « l'état de l'Union » qu’Obama ne s’attendait pas à ce que le Congrès tienne compte des mesures qu'il a proposées. « Nous ne serons pas limités par ce qui sera adopté par ce Congrès, parce que ce serait alors deux ans très ennuyeux », a déclaré Dan Pfeiffer, conseiller principal de la Maison Blanche, à la presse, avant le discours.

Des discours sur « l'état de l'Union » antérieurs ont produit des listes de souhaits similaires visant à produire l’illusion qu’Obama cherchait à promouvoir un programme « progressiste », des propositions abandonnées dès que le président eut achevé le parcours obligatoire des séances photos et des discours sur les campus universitaires.

Dans son discours sur l’état de l'Union de 2014, Obama avait appelé à mettre fin aux niches fiscales pour les sociétés délocalisant les emplois à l'étranger, à investir des dizaines de milliards de dollars dans des projets d'infrastructure pour créer des emplois, à assurer, sans condition de ressources, la disponibilité des écoles pré-maternelles pour tous les enfants de quatre ans et à imposer l'égalité des salaires pour les femmes. Au lieu de cela, un million de personnes ont vu leurs bons de nourriture supprimés par l'Etat, le chômage de longue durée est resté obstinément élevé, la pauvreté a augmenté, et les salaires ont stagné.

D'autre part, chaque initiative majeure d’Obama dans la politique intérieure – le programme de relance de 2009, la réforme de la législation des soins de santé de 2010, les innombrables arrangements avec contrepartie avec les républicains sur le budget, jusqu'au décret sur l'immigration publié il y a un mois – a été dictée par les besoins des grandes sociétés américaines.

Les conséquences pour les travailleurs – un chômage de longue durée record, une vague de saisies de domiciles, l'hécatombe des salaires dans les industries de base, la baisse constante du niveau de vie surtout – n'étaient pas accidentelles. Elles étaient, tant pour les démocrates que pour les républicains, un objectif délibéré de la politique du gouvernement, parce qu’il fallait cette souffrance de masse dans la classe ouvrière pour obtenir les ressources nécessaires au renflouement de l'aristocratie financière.

Le but principal de l'allocution d'Obama était de donner aux diverses publications et organisations qui gravitent autour du Parti démocrate – le New York Times, le magazine The Nation (son chroniqueur John Nichols l'a qualifié d’« effort sérieux pour s'attaquer aux inégalités de revenus »), les syndicats et le réseau des organisations de la pseudo-gauche se disant « socialistes », du grain à moudre pour faire la promotion des démocrates dans la course à l’élection de 2016.

Ainsi, le discours d'Obama était truffé de références à l’adresse des couches supérieures de la classe moyenne qui pratiquent diverses formes de politique identitaire (le magazine Time, par exemple, s'enthousiasme de ce qu’Obama « a fait l’histoire mardi soir » en introduisant dans son discours le mot « trans-genre »).

Voici comment présenter le Parti démocrate sous des couleurs progressistes, leur disait-il. Voici comment le Parti démocrate cherchera à tromper le peuple américain pendant qu'il collabore avec les républicains dans l’adoption de politiques de plus en plus à droite dans les deux ans à venir, combinées à une guerre sans fin à l'étranger et à l'assaut des droits démocratiques fondamentaux.

Les illusions et auto-illusions d'Obama et de ses partisans ne peuvent pas, cependant, modifier cette réalité sous-jacente de la vie politique américaine: le fossé infranchissable entre l'appareil d'Etat tout entier et la grande majorité de la population. Il est à noter que le discours d'Obama, prononcé moins de trois mois après les élections de mi-mandat, ne mentionne pas la débâcle subie dans les urnes par le Parti démocrate – principalement en raison d’un effondrement de la participation électorale produit par six années de politique droitière, mise en œuvre par le « candidat du changement. »

L'illusion la plus frappante peut-être de toutes est la croyance de la classe dirigeante et de ses représentants qu'elle peut, par quelques phrases mielleuses et mensongères, prévenir la vague d'opposition sociale qui s’annonce.

(Article original paru le 22 janvier 2015)

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