Herfried Münkler, professeur à l’Université Humboldt, exhorte l'Allemagne à prendre la direction de l'Europe

Dans une longue interview publiée la semaine dernière dans Die Zeit, Herfried Münkler, un professeur à l’Université Humboldt, a accusé des étudiants qui documentent et critiquent ses conférences sur le blogue «Münkler-Watch» de nazisme et d’antisémitisme tels qu'ils prédominaient en Allemagne pendant les années1930.

Le WSWS a tout de suite rejeté ces calomnies complètement sans fondement et a expliqué: «Si l’on veut établir des parallèles avec “la vie politique dans les universités en 1933”, ils sont l’exact opposé de la caractérisation de Münkler. Münkler est celui qui se range du côté de la dictature et du militarisme et veut supprimer toute critique, pas les étudiants. Ils sont attaqués et diffamés parce que, entre autres choses, ils remettent en question les positions militaristes de leur professeur.»

Dans la dernière publication de Die Zeit, de nouveaux commentaires de Münkler soulignent les questions essentielles liées avec le conflit à Humboldt. Sous le titre «Se développer ou éclater», il résume les demandes qu’il avait déjà développées dans son livre: «Macht in der Mitte» (la puissance au centre). Il écrit que l’Allemagne doit à nouveau assumer le rôle dirigeant en Europe, faire du continent une «force de maintien de la paix régionale» et «stabiliser les grandes régions de crise dans son voisinage».

Selon Münkler, pour être «réaliste politiquement», il faut tout d’abord que «l’on comprenne cette nouvelle donne et, en conséquence, accepte que, contre sa volonté politique, la République fédérale d’Allemagne soit devenue la “puissance au centre” et que ses politiques vont déterminer si le projet européen se maintient ou l’UE tombe en morceaux. Les institutions bruxelloises ne joueront qu’un rôle secondaire dans ceci.»

Münkler n’en fait pas un secret dans son livre que, lorsque cela est nécessaire, l’Europe doit être maintenue par la force et sans la participation démocratique. Dans ses propres mots, il veut que l’Allemagne, comme la «puissance au centre», devienne le «chef exigeant» de l’Europe et constitue sa «puissance hégémonique» afin de défendre ses intérêts géopolitiques et économiques.

Il exprime maintenant cette exigence que l'Allemagne prenne la direction de l'Europe dans Die Zeit: «Juste au moment où l’on est le plus tributaire d’une Europe sûre, l’UE est moins en mesure de remplir ce rôle. La conséquence est une augmentation spectaculaire de l’importance de la “puissance au centre”, dont la tâche consiste surtout dans la lutte contre les forces centrifuges.»

Il poursuit: «En même temps, cette “puissance au centre” doit veiller à ce que les différents défis aux frontières de l’Europe soient compris et acceptés comme une responsabilité partagée.»

Surtout, Münkler voit ces «défis» en Ukraine et dans le Proche et le Moyen-Orient. Tandis que le président russe Vladimir Poutine «réveille brutalement les Européens de leur torpeur politique avec l’annexion de la Crimée et le soutien militaire massive aux séparatistes dans le Donbass», la «deuxième région post-impériale sur la périphérie de l’Europe [la région entre la Mésopotamie et le désert libyen, le Levant et le Yémen] est encore plus dangereuse pour l’Europe à long terme. »

L’Europe commence à apprendre «la meilleure façon de protéger ses intérêts de politique étrangère», écrit-il. Et la crise en Ukraine montre «que lorsque les choses deviennent sérieuses, les gouvernements des États membres de l’UE donnent le ton et les institutions de Bruxelles adoptent un rôle secondaire».

Lorsque Münkler appelle à la «cadence à être définie» et à la «stabilisation des régions en crise», il inclut explicitement l’utilisation de moyens militaires. «Pour être en mesure de jouer le rôle d’une “puissance au centre”, il est inévitable que la gamme de formes de pouvoir doive constamment s’adapter aux défis», écrit-il dans son livre. Celle-ci s’applique également à «la force militaire, qui est un sujet sensible en Allemagne. Elle ne consiste pas seulement en des forces armées, mais aussi en une puissante industrie de l’armement.»

Ce que Münkler propose n’est pas seulement la guerre et les fantasmes de puissance d’un professeur mégalomane. Ses idées correspondent au plan de l’élite dirigeante, 70 ans après la défaite de l’Allemagne dans la Seconde Guerre mondiale et les crimes horribles du national-socialisme, d’établir à nouveau le pays comme une «force de maintien de la paix» politique et militaire en Europe et dans le monde.

Münkler est un acteur important dans ce projet. Comme un ardent défenseur de drones de combat et des déploiements militaires, il entretient des liens étroits avec l’élite politique et militaire, il donne des conférences devant d’importantes personnalités de l'armée et les auteurs des documents de stratégie politique pour le ministère des Affaires étrangères.

Dans le cadre du projet «Revue 2014» initié par le ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, Münkler a écrit plus de 50 des «opinions d’experts» commissionnés qui exhortent l’Allemagne à adopter une fois de plus le rôle de «direction» et de «responsabilité» en Europe et dans le monde. Sous le titre: «Le fossé dangereux entre les apparences et l'action – tout est question des intérêts en jeu!» Münkler fait valoir que «comme État de commerce, ou plutôt nation exportatrice», l’Allemagne doit «s’orienter moins sur ses valeurs et plus sur ses intérêts».

Un autre aspect du travail «scientifique» de Münkler est la réécriture de l’Histoire. Son collègue Jörg Baberowski, l’historien de l’Europe de l’Est à l’Université Humboldt, réhabilite ouvertement l’apologiste des nazis, Ernst Nolte, et minimise la guerre d’anéantissement menée par les nazis contre l’Union soviétique dans son travail. Münkler se spécialise dans la relativisation de la responsabilité allemande pour le déclenchement de la Première Guerre mondiale afin de justifier le retour de l’Allemagne à la politique impérialiste agressive.

Un excellent exemple de ceci peut être trouvé dans un entretien que le Süddeutsche Zeitung a mené avec Münkler au «splendide institut prussien» à l’Université Humboldt qu’il dirige «au centre de Berlin». Sous le titre «Herfried Münkler sur la culpabilité», le professeur enseigne à ses lecteurs: «Il ne peut guère y avoir une politique responsable en vigueur en Europe quand on entretient l'idée que tout était de notre faute. En ce qui concerne 1914, c'est une légende...»

Puis il se plaint que: «Nous orientons la politique étrangère vers cette notion: parce que nous sommes historiquement coupables, nous n'avons pas l'autorisation de participer à la politique étrangère nulle part; nous préférerions payer une rançon au moment où l’Europe doit stabiliser la crise à ses frontières. Un exemple? Le désastre de la politique étrangère de [l’ancien ministre des Affaires étrangères], Guido Westerwelle, à l’intervention de l’OTAN contre le dictateur libyen Kadhafi en 2011.»

Soixante-dix ans après la Seconde Guerre mondiale, l’élite allemande et surtout le corps professoral sont allés si loin qu’elles caractérisent la non-participation à une guerre dans laquelle des dizaines de milliers de personnes ont été tuées, tout un pays ruiné et des millions transformés en réfugiés comme un «désastre»! Ce qui les rend si furieux est maintenant le fait que la population a une opinion totalement différente de ces enjeux.

La classe dirigeante utilisait l’abstention de l’ancien gouvernement de coalition des chrétiens-démocrates (CDU) et des démocrates libres (FDP) dans la guerre en Libye pour se préparer à un changement de cap dans la politique étrangère et le retour du militarisme allemand. Maintenant, ils trouvent que l’opposition à ce virage n’a fait que croître, malgré le barrage médiatique et politique au cours des dernières années.

Selon un rapport publié par la Conférence de sécurité de Munich de cette année, 62 % de la population étaient d'avis en début d'année que l’Allemagne devait faire preuve de retenue dans sa politique étrangère. En 2014, cette opinion était à «seulement» 60 %. Lorsqu’on a posé explicitement la question sur les déploiements militaires, le tableau est encore plus clair. Seulement 13 % des personnes interrogées ont déclaré que les forces armées devraient être engagées plus activement militairement. D’autre part, 82 % penchaient pour moins d’engagements.

L’offensive de Münkler dans Die Zeit et la campagne contre le "Münkler-Watch" est un avertissement. L’élite dirigeante est déterminée à réaliser son projet meurtrier malgré une opposition populaire grandissante. Elle a l’intention d’intimider et réduire au silence toute personne qui ose contester ce projet militariste.

(Article original publié le 30 mai 2015)

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