Le gouvernement japonais fait adopter des lois militaristes malgré une opposition de masse

Le gouvernement du premier ministre Shinzo Abe a fait adopter par la Chambre basse jeudi des lois d’une grande portée permettant le déploiement de troupes japonaises à l'étranger en vertu des dispositions de «défense collective» avec les alliés militaires du Japon, avant tout les États-Unis. 

Le passage de ces lois marque une escalade de la campagne du gouvernement Abe, initiée dès son arrivée au pouvoir en décembre 2013, pour relancer le militarisme japonais en « réinterprétant » la constitution officiellement pacifiste du pays et datant d'après la Deuxième Guerre mondiale. Elles complètent l'accord signé entre Abe et le président américain Barack Obama en avril et permettant au Japon de participer à des opérations militaires américaines au-delà de ses propres côtes. 

Les projets de loi qui ont fait l'objet d'un débat parlementaire de plusieurs mois ont été présentés à la Commission de sécurité de la Chambre basse mercredi. Des députés de l'opposition ont cherché à bloquer le vote, brandissant des pancartes contre la loi et cherchant à entraver la procédure de vote. Une fois les lois entérinées par la Commission, ils ont boycotté le vote de la Chambre basse jeudi. 

Selon des sondages, l'opposition du public aux lois atteint les 80 pour cent. Mercredi, jusqu'à 100.000 manifestants se sont rassemblés devant la Diète [parlement] à Tokyo et plusieurs milliers de personnes ont à nouveau manifesté jeudi, portant des pancartes disant «Annulez les lois de guerre » et « Stoppez Abe l’irresponsable ». 

Les projets de loi vont être présentés à la Chambre haute où le Parti libéral-démocrate d’Abe et ses partenaires de la coalition détiennent une majorité de fait et devraient donc y être adoptés. La chambre basse peut passer outre à toute objection. 

Les lois peuvent encore être contestées juridiquement. Le 4 juin, trois experts constitutionnels ont dit devant un sous-comité de la Diète que les lois étaient inconstitutionnelles. Selon le New York Times, les sondages ont indiqué que plus de 90 pour cent des experts japonais jugeaient que les lois étaient une violation des clauses dites pacifistes de la Constitution. 

L'opposition de masse à la nouvelle législation menace de provoquer une crise gouvernementale. De nombreux commentaires établissent des parallèles avec le grand-père de M. Abe, Nobusuke Kishi, forcé de démissionner comme premier ministre en juin 1960 face à l'hostilité de masse à un pacte de sécurité entre le Japon et les USA qu'il avait signé. 

Les partis de l'opposition officielle s’inquiètent surtout des implications nationales et internationales de la poursuite ouverte de la même politique impérialiste que celle qui a conduit aux catastrophes de la Seconde Guerre mondiale. 

Katsuya Okada, chef du Parti démocratique du Japon (PDJ), principal parti d'opposition, a résumé la crainte du sentiment anti-guerre massif en disant avant de boycotter le vote jeudi, « C'est une énorme erreur d’écarter une interprétation constitutionnelle développée par les gouvernements depuis 70 ans sans compréhension ni débat suffisant de la part du public. »

La politique d’Abe exprime la détermination de l'élite dirigeante japonaise d'affirmer plus agressivement ses intérêts dans la région Asie-Pacifique. On a fait avancer ces intérêts sous les auspices du «pivot» américain vers l'Asie et du renforcement militaire contre la Chine dans la région. Dans le cadre du «pivot», Washington a encouragé la renaissance du militarisme japonais.

C’est tout l'establishment politique japonais, y compris les partis d'opposition, qui soutient ce programme. Le gouvernement précédent du PDJ avait en 2012 délibérément intensifié les tensions avec la Chine en « nationalisant » les îles contestées de Senkaku / Diaoyu.

Abe a indirectement reconnu que sa nouvelle législation était principalement dirigée contre la Chine quand il a dit aux journalistes après le vote de jeudi, « La situation de la sécurité autour du Japon se durcit .... Ces projets de loi sont essentiels pour protéger la vie du peuple japonais et empêcher la guerre ».

Depuis la visite d’Abe à Washington en avril et la signature d’un nouvel accord militaire entre les deux pays, l'intégration du Japon dans les provocations des États-Unis et de leurs alliés s’est accélérée.

Au sommet du G-7 en juin, Abe a joué un rôle central dans l'insertion à son communiqué d'une clause indirectement dirigée contre les activités de la Chine en Mer de Chine méridionale. Le mois précédent, les Etats-Unis et leurs alliés régionaux, dont les Philippines et l'Australie, y avaient monté des provocations contre la Chine à propos de vieux différends territoriaux. Les États-Unis et l'Australie envisageraient le déploiement de navires et d'avions de guerre dans la zone du territoire réclamé par la Chine – une action qui pourrait déclencher un conflit militaire.

En juin, des avions espions japonais, agissant de concert avec l'armée des Philippines, ont volé près du territoire revendiqué par la Chine en Mer de Chine méridionale dans une provocation rappelant celles montées par les États-Unis depuis le début de l'année.

Un commandant militaire japonais de haut rang en visite à Washington, l'amiral Katsutoshi Kawano, a déclaré jeudi aux journalistes qu'on avait «discuté» de patrouilles et d’activités anti-sous-marins japonaises en Mer de Chine méridionale. Reprenant l’argumentaire de l'administration Obama, il a cherché à présenter la Chine comme une menace expansionniste dans la région.

Ce mois-ci, des forces japonaises participent pour la première fois à l’exercice militaire biennal Talisman Saber. Ces jeux de guerre mobilisant quelque 33.000 personnels militaires australiens et américains ont lieu dans le nord de l'Australie et sont une répétition pour une guerre des Etats-Unis avec la Chine.

Ces deux dernières semaines, le Japon a intensifié les tensions avec la Chine en mer de Chine orientale et le gouvernement d’Abe a attaqué le développement d’un nouveau champ de gaz chinois.

Selon l'Associated Press, le porte-parole du ministère américain des Affaires étrangères, John Kirby, n'a pas voulu commenter la législation du gouvernement Abe, mais il a affirmé le soutien de Washington à une renaissance du militarisme japonais. Kirby a dit que les Etats-Unis se félicitaient, « des efforts continus du Japon pour renforcer l'alliance et jouer un rôle plus actif dans les activités de sécurité régionales et internationales ».

Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying, a publié jeudi une déclaration sur ces lois, disant, « Il est pleinement justifié de se demander si le Japon va renoncer à sa politique exclusivement axée sur la défense ».

Hua fit allusion au 70e anniversaire de l'éviction des forces japonaises de Chine à la fin de la Seconde Guerre mondiale: «Nous demandons solennellement au Japon de tirer de dures leçons de l'histoire ... de ne pas mettre en péril la souveraineté et les intérêts sécuritaires de la Chine ni d’entraver la paix et la stabilité régionale ».

(Article paru en anglais le 17 juillet 2015)

 

 

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