Seymour Hersh démasque les mensonges officiels sur le meurtre de Ben Laden

Près de quatre ans après le raid des forces spéciales américaines ayant abouti à l’assassinat d’Oussama Ben Laden, un extraordinaire article de révélation politique du journaliste d’investigation et lauréat du prix Pulitzer Seymour Hersh, publié dimanche dans la London Review of Books, a enlevé le masque au récit officiel qu’en avait donné le gouvernement américain.

L’abondance de détails fournie par l’article de Hersh attire l’attention sur le fait que rien de ce qu’un responsable gouvernemental peut dire publiquement ne peut être considéré comme la vérité, et que les médias grand public fonctionnent comme une caisse de résonance pour mensonges officiels. Hersh affirme que les comptes-rendus donnés par le président Barack Obama et les membres de son cabinet « pourraient avoir été écrits par Lewis Carroll, » l’auteur d’Alice au pays des merveilles. 

Séance photo de la Maison Blanche dans le ‘Situation Room’ durant l’opération visant Ben laden

Parmi les affirmations exposées comme des fabrications il y a: que le programme de torture de la CIA a contribué à la découverte de la cachette de Ben Laden ; que le raid a été réalisé à l’insu du gouvernement pakistanais; que l’équipe des opérations spéciales visait à prendre Ben Laden vivant ; que l’équipe l’avait tué seulement quand il a résisté ; qu’on avait donné à Ben Laden un enterrement islamique en mer à partir du porte-avions USS Carl Vinson.

Hersh écrit que l’opération de 2011 ayant pour objectif de tuer Ben Laden a été lancée en août 2010 après qu’un ancien officier supérieur des renseignements pakistanais est allé voir l’ambassade américaine à Islamabad. Il a offert de révéler l’endroit où se tenait Ben Laden à la CIA en échange de la récompense de 25 millions de dollars promise par le gouvernement américain pour la capture du chef d’Al-Qaïda après les attaques terroristes du 11 septembre 2001.

Lundi soir, la chaîne NBC News a déclaré qu’elle avait confirmé indépendamment que des sources du renseignement pakistanais avaient donné l’emplacement de Ben Laden à la CIA en 2010 – l’affirmation la plus importante peut-être de l’article de Hersh, et une réfutation dévastatrice de l’histoire officielle factice servie par l’administration Obama.

L’endroit où séjournait le leader d’Al-Qaïda n’a pas été découvert par l’intermédiaire du programme de torture de la CIA, comme dépeint dans le film de propagande Zero Dark Thirty (de Kathryn Bigelow). Cette affirmation, et le film, ont été utilisés pour renforcer le soutien du public pour les opérations illégales de la CIA et étayer davantage le récit concocté par l’administration Obama sur le meurtre.

L’ancien officier de renseignement a dit à la CIA que Ben Laden avait vécu sans être détecté avec plusieurs de ses épouses et ses enfants dans les montagnes de l’Hindu Kush Afghan, entre 2001 et 2006. L’endroit où il se trouvait fut trahi par une tribu locale soudoyée par l’agence de renseignement pakistanaise « Inter-Services Intelligence » (ISI).

Ben Laden a ensuite été transféré dans une résidence gardée à Abbottabad, au Pakistan, où il a été détenu par l’ISI. La résidence se trouvait à moins de trois kilomètres de l’Académie militaire du Pakistan et à 15 minutes d’hélicoptère de Tarbela Ghazi, une base d’opérations secrètes de l’ISI.

Le séjour de Ben Laden dans une ville où l’armée pakistanaise avait un de ses quartiers généraux, grouillant d’agents de sécurité, a toujours été le maillon faible du récit officiel des États-Unis de l’opération qui a tué le chef d’Al-Qaïda. Le récit de Hersh fournit une explication beaucoup plus convaincante de pourquoi Ben Laden se trouvait à Abbottabad — il était détenu en résidence surveillée par les autorités pakistanaises pendant qu’elles discutaient de son sort avec leurs bailleurs de fonds américains.

Selon le responsable américain à la retraite interrogé par Hersh, l’Arabie saoudite payait les frais du séjour de Ben Laden à Abbottabad et craignait que si le gouvernement américain découvrait qu’il était détenu par l’ISI, il obligerait Ben Laden à donner des détails sur le soutien de la monarchie saoudienne à Al-Quaïda. Les Pakistanais à leur tour étaient inquiets de ce que les Saoudiens puissent fournir aux États-Unis des informations sur son emplacement, déclenchant un conflit avec les États-Unis. Ces relations témoignent de la fraude de la « guerre contre le terrorisme, », car Ben Laden était logé et financé par deux des principaux alliés des États-Unis dans la lutte présumée contre Al-Qaïda.

En fait, l’Arabie saoudite a des liens de longue date avec Al-Qaïda, et les membres de la monarchie saoudienne – probablement avec la connaissance de secteurs de l’Etat américain – finançaient et soutenaient les pirates de l’air qui ont participé aux attentats du 11 septembre.

La source de Hersh est absolument claire: dès le début, l’intention de l’administration Obama était de tuer Ben Laden et cela a été soutenu avec enthousiasme par tous les intéressés, Pakistanais et Saoudiens, pour la bonne raison que « les morts ne parlent pas. » Le raid contre la résidence de Ben Laden, réalisé avec la bénédiction de l’ISI, n’a été rien moins qu’un assassinat ordonné par le bourreau en chef, Obama. L’informateur avait dit à la CIA que Ben Laden était en mauvaise santé et n’offrirait aucune résistance.

Le responsable à la retraite a déclaré que l’opération contre Ben Laden « était clairement et absolument un assassinat prémédité. » Un ancien commandant de Navy Seals a dit à Hersh, « Nous n’allions jamais garder Ben Laden vivant – permettre au terroriste de vivre. Du point de vue de la loi, nous savons que ce que nous faisons sur le territoire pakistanais est un homicide. Nous avons réglé ce problème. Chacun de nous, quand nous faisons ces missions, nous nous disons : 'Ne nous leurrons pas. Nous allons commettre un assassinat.' »

L’Administration Obama a maintenu depuis l’assassinat, que tuer Ben Laden avait été considéré seulement comme un dernier recours, et que la mission principale était de le capturer vivant.

Selon Hersh, les commandos américains ont pénétré dans la résidence sans opposition. Il n’y a eu aucune fusillade contrairement aux dires des responsables américains. Utilisant des explosifs pour faire sauter les portes de sécurité en acier, les agents des forces spéciales ont méthodiquement progressé vers les chambres du troisième étage où vivait Ben Laden. Le chef d’Al-Qaïda se retira dans sa chambre à coucher où deux des Navy Seals ont ouvert le feu avec leurs fusils automatiques déchiquetant son corps. Les commandos n’ont pas tiré en état de légitime défense, Ben Laden, gravement malade, n’a jamais tenté de prendre un AK-47, et il n’a jamais essayé d’utiliser une de ses femmes comme bouclier humain.

Hersh écrit qu’« une histoire de camouflage soigneusement construite allait être publiée » après la mort de Ben Laden, en partie pour éviter de révéler le rôle de l’État pakistanais dans la fourniture aux États-Unis des informations sur son emplacement. Une semaine après le meurtre, « Obama annoncerait que l’analyse ADN avait confirmé que Ben Laden avait été tué lors d’un raid de drone dans l’Hindu Kush, du côté afghan de la frontière... Tout le monde comprenait que si le rôle du Pakistan était connu, il y aurait de violentes protestations... »

La Maison-Blanche a cependant décidé d’annoncer l’assassinat de Ben Laden la nuit même où il est survenu, partiellement en raison du fait qu’un hélicoptère américain s’était écrasé dans le périmètre de la résidence de Ben Laden, ce qui rendait l’opération impossible à cacher. L’annonce – que Hersh décrit comme une « série des déclarations intéressées et inexactes » – a aussi donné à la Maison-Blanche l’occasion de rallier du soutien pour une expansion du militarisme à l’étranger et une attaque des droits démocratiques à l’intérieur des États-Unis.

L’affirmation selon laquelle on a ensuite donné à la dépouille de Ben Laden un enterrement islamique dans les règles, en mer, sur l’USS Carl Vinson, est également exposée comme un mensonge. Au lieu de cela, les restes du corps criblé de balles de Ben Laden, dont la tête, décrite comme ayant « seulement quelques trous causés par des balles, » ont été jetés sans cérémonie dans un sac mortuaire. Durant le voyage de retour en hélicoptère du commando à Jalalabad en Afghanistan, des morceaux du corps ont été largués au dessus des montagnes de l’Hindu Kush.

Hersh fut immédiatement attaqué par les médias grand public pour son recours à des sources anonymes. De telles critiques ne veulent pas dire grand chose de la part de médias qui s’appuient systématiquement sur des sources anonymes du gouvernement et des services secrets pour promouvoir la ligne officielle dans la « guerre contre le terrorisme » et pour appuyer les provocations américaines, depuis l’Ukraine jusqu’à la mer de Chine du Sud. Aux yeux des sténographes gouvernementaux des médias contrôlés par la grande entreprise, le principal péché de Hersh est qu’il utilise des sources anonymes pour contester la version officielle plutôt que de la régurgiter.

Au vu du bilan historique, Hersh est un témoin beaucoup plus fiable que les innombrables présentateurs d’informations et autres pontifes des médias, tous millionnaires, et qui fonctionnent en tant qu’apologistes de l’impérialisme américain. Hersh est le premier journaliste à avoir exposé les abus commis contre des prisonniers irakiens par des soldats américains à Abou Ghraib. En 2013-2014, il a publié deux expositions dévastatrices des allégations des États-Unis que le gouvernement syrien avait utilisé des armes chimiques et où il a démontré qu’il était beaucoup plus probable que c’étaient les « rebelles » soutenus par les États-Unis qui étaient responsables.

Il est loin d’être certain que Hersh a fourni le compte rendu définitif des événements ayant conduit à la mort de Ben Laden. Bien qu’il repose surtout sur le récit d’un seul haut responsable anonyme à la retraite des renseignements, corroboré par d’autres responsables des renseignements anonymes aux États-Unis et au Pakistan, son récit est une histoire beaucoup plus solide et crédible que l’histoire tissée par la propagande officielle et les médias patronaux.

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