Le gouvernement du Québec sabre les services publics et donne un milliard à Bombardier

Le gouvernement du Québec a annoncé la semaine dernière qu’il investirait 1 milliard de dollars US (1,3 milliard CAN) dans la multinationale canadienne Bombardier afin de compléter les coûts et commercialiser le programme controversé de la CSeries, un appareil de transport régional qui doit venir concurrencer le Boeing 737 et le Airbus A320.

Le gouvernement du Québec obtient ainsi une participation de 49,5 pour cent dans une société en commandite nouvellement créée, laquelle sera dirigée par l’ex-premier ministre du Québec Daniel Johnson. L'investissement sera puisé dans le Fonds du développement économique et administré par Investissement Québec. En échange de cette aide financière, d’une ampleur sans précédent venant d’un gouvernement québécois, Bombardier s'engage à maintenir son siège social stratégique et ses activités de production et d'ingénierie au Québec pour 20 ans.

Selon le ministre de l’Économie, Jacques Daoust, ce «partenariat d’affaires historique» s'inscrit dans le cadre du «nouveau modèle d'affaires du gouvernement québécois, l'État partenaire, et non l'État subventionnaire».

Le géant du transport aérien et ferroviaire, qui éprouve de sérieuses difficultés financières depuis des années, a toutefois affirmé que l’aide gouvernementale demeure insuffisante pour éponger son manque de liquidités. L’entreprise espère également recevoir l’aide de la Caisse de Dépôt et de Placement du Québec, ainsi qu’une aide supplémentaire d’un milliard de dollars du gouvernement fédéral.

Rien n’indique cependant que le nouveau gouvernement libéral mené par Justin Trudeau répondra à cette demande, alors que d’importantes sections de l’élite dirigeante canadienne s’y opposent. C’est le cas du premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, qui a noté avec aigreur que l’industrie pétrolière de l’ouest canadien n’avait pas sollicité d’aide financière du gouvernement, mais seulement le droit de construire des oléoducs.

Après avoir bondi de 11 pour cent à la Bourse de Toronto au lendemain de l’annonce du partenariat, l'action de la société a rapidement chuté de plus de 15 pour cent. En effet, de nombreux analystes du milieu financier affirment que l’aide de Québec est insuffisante pour rassurer les investisseurs.

Bombardier a récemment dévoilé une perte de 4,9 milliards de dollars US au troisième trimestre, principalement due aux coûts de dépassement liés à la CSeries et à l’échec d’autres projets de développement, comme le programme du Learjet 85 qu’elle a dû entièrement abandonner en raison du manque d’acheteurs. Pour pallier ses déficits, Bombardier pourrait vendre une participation minoritaire dans sa division ferroviaire en plus de «réduire» des coûts liés à certains programmes comme celui du turbopropulseur Q400, y compris par des coupures d’emplois.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement intervient pour «sauver» des «fleurons» du Québec Inc. En 2000, la Caisse de dépôt et de placement du Québec avait aidé Quebecor, l’entreprise de l’actuel chef du Parti québécois Pierre-Karl Péladeau, à acheter le câblodistributeur Vidéotron pour près de 5 milliards de dollars. Avec cette transaction, Péladeau est devenu un des hommes les plus riches au Canada.

Le gouvernement a justifié le renflouement de Bombardier en affirmant que 40.000 emplois directs et indirects au Québec dépendent de la survie de la compagnie aéronautique. Toutefois, l’intervention du gouvernement vise à sauver non pas des emplois, mais une multinationale basée au Québec. Le ministre de l'Économie a lui-même avoué: «En étant partenaire de Bombardier, nous voulons également susciter la confiance des entreprises et des investisseurs, qui sont les véritables acteurs de notre économie».

Le gouvernement a reconnu qu’il mettait l’argent des contribuables en péril comme un joueur au casino. «Il y a toujours un degré de risque dans tous les investissements. Mais c'est probablement le meilleur avion sur le marché dans ce segment», a déclaré le premier ministre Philippe Couillard à l'entrée du caucus de son parti, jeudi dernier.

Le gouvernement peine lui-même à dissimuler son hypocrisie. Il offre sur un plateau d’argent plus d’un milliard de dollars alors qu’il sabre – au nom du déficit zéro – plus de trois milliards dans les programmes sociaux et attaque les conditions de travail des centaines de milliers de travailleurs du secteur public. En fait, l’argent offert à Bombardier sera directement payé par la classe ouvrière sous la forme d’autres coupures sociales et hausses de frais de toutes sortes.

Le Parti québécois a critiqué l’annonce des libéraux, estimant que le gouvernement aurait mieux fait de prendre une participation globale dans l'entreprise plutôt que d'investir dans une société en commandite créée uniquement autour de la CSeries.

Philippe Couillard a dressé un parallèle entre le partenariat avec Bombardier et le sauvetage de l'industrie automobile en Ontario lors de la crise financière de 2008. Cette comparaison représente cependant un sérieux avertissement pour les travailleurs. En 2008-09, le gouvernement provincial ontarien et le gouvernement fédéral de Stephen Harper ont offert plus de 13 milliards de dollars aux compagnies automobiles GM et Chrysler. À l’instar de l’administration Obama aux États-Unis, l’État canadien n’a pas réclamé la majeure partie de ces sommes et a permis aux compagnies d’empocher des profits record grâce à une vaste restructuration de l’industrie et l’élimination de milliers d’emplois.

Unifor – alors le syndicat des Travailleurs canadiens de l’automobile – avait collaboré à cette restructuration en ouvrant les conventions collectives des travailleurs pour réduire leurs plans de pension et couper leurs salaires – notamment pour les nouveaux embauchés avec un salaire de départ fixé à $20,50 l’heure et une attente de dix ans avant d’atteindre la pleine ancienneté et un taux horaire de $34.

De manière semblable, l'Association des machinistes et travailleurs de l'aérospatiale (AIMTA) a profité de l’annonce du gouvernement québécois pour imposer un nouveau contrat de travail à ses membres. Les quelques 4700 membres de la section locale 712 ont accepté à 92 pour cent l’entente au rabais qui comprend une hausse salariale de 6 pour cent sur quatre ans – soit sous le niveau d’inflation – qui sera essentiellement annulée par une augmentation des cotisations au régime de retraite. Une fois de plus, les syndicats travaillent de concert avec les patrons pour faire payer aux travailleurs les mauvais choix stratégiques de la haute direction de Bombardier et, plus largement, l’impact de la crise capitaliste mondiale.

Loading