Les justifications officielles du verrouillage de Bruxelles se délitent

La frustration populaire grandit depuis lundi en Belgique en même temps que s’accroissent les contradictions dans les justifications officielles de l’état d’urgence national et de la poursuite du verrouillage de Bruxelles par la police.

Lundi, l’organe gouvernemental de Coordination pour l’analyse de la menace (OCAM) a annoncé qu’il maintiendrait le niveau d’alerte à quatre, le plus haut sur l’échelle de la Belgique, jusqu’à lundi prochain. Il a cependant décidé que le métro, les écoles et les universités, fermés depuis le début de la semaine, rouvriraient aujourd’hui.

« Les cibles potentielles [d’attaques terroristes] sont les mêmes qu’énumérées hier [dimanche], » a déclaré Charles Michel, le premier ministre belge, lundi, citant quartiers commerçants et transports en commun. Il a dit que les autorités leur permettraient de rouvrir mercredi, parce que « nous ne voulons pas laisser gagner les terroristes en mettant le pays au point mort. »

En fait, le gouvernement belge a utilisé la menace d’une attaque terroriste pour mettre en œuvre des mesures extraordinaires qui démantèlent essentiellement tous les droits démocratiques. Les forces paramilitaires ont envahi les rues de Bruxelles et ont reçu des pouvoirs illimités pour rechercher et détenir des personnes déclarées suspectes. Ces mesures sont similaires à celles prises en France, où un « état d’urgence » accordant au gouvernement des pouvoirs extraordinaires a été prolongé pour trois mois.

Les chasses à l’homme massives lancées par la police dans plusieurs quartiers de Bruxelles dimanche soir n’ont produit aucun résultat évident. Sur les seize personnes détenues à la suite de ces raids, quinze ont été libérés lundi sans inculpation. La dernière a été « inculpée de participation aux activités d’un groupe terroriste et d’attentat terroriste », selon le bureau du procureur fédéral belge. Cependant, la cible supposée des opérations de Bruxelles – le planificateur présumé en fuite des attentats terroristes du 13 novembre à Paris, Salah Abdeslam – n’a pas été capturé.

Cinq autres personnes ont été arrêtées lundi matin à Bruxelles, mais deux ont été libérés ce même soir. Trois ont été maintenus en détention pour interrogatoire.

Le bureau du procureur a été obligé de défendre ses actions devant les maigres résultats des 22 perquisitions et 16 arrestations. Il a publié un communiqué déclarant « qu’il n’est pas anormal que dans le cadre d’une grande opération comme celle de dimanche de nombreuses personnes soient emmenées pour audition approfondie ou pour éclaircir les raisons de leur présence sur certains lieux. »

La déclaration est ridicule. Il se peut que la police de Bruxelles ait l’habitude de détenir de nombreuses personnes innocentes au cours de ses opérations. Mais il est certainement inhabituel de verrouiller toute la ville pendant des jours et de lancer plusieurs chasses à l’homme dans des quartiers distincts pour arrêter un seul individu.

Différents échelons de l’État belge ont aussi donné à la population des instructions contradictoires. La ministre de l’Éducation Joëlle Milquet et le ministre président de la région de Bruxelles, Rudi Vervoort, ont fait des déclarations différentes sur l’ouverture des garderies; une confusion officielle similaire régnait sur l’ouverture des écoles primaires.

En conséquence, malgré un large consensus au sein de l’élite dirigeante en faveur de mesures d’État policier, des critiques se font jour sur le « lockdown » de Bruxelles, en particulier dans les partis d’opposition et les médias.

Des responsables des Verts et du Parti socialiste (PS) ont averti que le gouvernement serait obligé de modifier les explications pour sa politique. « Rien n’a changé, mais on autorise les écoles et les métros à rouvrir mercredi. (...) Il y a des messages qui ne passent plus » a averti Zakia Khattabi, la coprésidente des Verts.

« Indépendamment des recommandations de l’Ocam, on perçoit bien ce soir que la décision de bloquer Bruxelles est une décision politique. Nous faisions confiance à priori », a-t-elle dit.

Khattabi n’a pas appelé à s’opposer au verrouillage, mais elle a appelé Michel à donner des explications plus crédibles pour ce qui a été fait, disant que maintenant « la légitimité des actions... nécessite des explications. »

Des tensions sont également apparues entre le droitier Mouvement de réforme de Michel (MR) et Willy Demeyer, le maire PS de Liège. Après que des membres du MR ont demandé si « tout [était] vraiment sous contrôle », Demeyer a répondu sans ambages que, basé sur les renseignements fournis par les autorités nationales belges, « il n'existe pas de menace particulière sur le territoire municipal. »

Demeyer a applaudi la présence policière importante à Liège, se vantant de ce que l’achat, pour €750.000, d’armes et de gilets pare-balles avaient permis le déploiement à grande échelle de la police dans la ville.

La Libre Belgique elle, souligne le coût économique du verrouillage, notant dans un éditorial « Mais la manière dont tout cela a été présenté et expliqué n’est certainement pas de nature à rassurer la population. »

Le journal a durement critiqué les commentaires de médias internationaux qualifiant Bruxelles de « plaque tournante des djihadistes » ou d’« État défaillant », se plaignant de ce que ce n’était pas « vraiment la vitrine idéale pour attirer investisseurs et touristes sur notre territoire. » Il a averti de l’impact « catastrophique » d’une éventuelle annulation du marché de Noël de Bruxelles, les Plaisirs d’Hiver, pour l’industrie touristique de la ville.

(Article paru d’abord en anglais le 24 novembre 2015)

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