Le parlement catalan vote le début d’une sécession d’avec l'Espagne

Après le vote majoritaire de la population catalane pour des partis anti-sécession aux élections régionales de septembre, le parlement catalan lui, a adopté une résolution ouvrant la porte à une sécession d’avec l'Espagne. 

La résolution, approuvée par 72 voix à 63, déclare « le début du processus de création d’un Etat catalan indépendant sous la forme d'une République ». Ce processus constituant exige la création d'un système de sécurité sociale et d'un centre d’impôt dans les 30 jours. Le gouvernement catalan entamera aussi « des négociations afin de rendre effectif le mandat démocratique de la création d'un nouvel Etat catalan indépendant ». 

La résolution rejette l'autorité de la Cour constitutionnelle espagnole (CC) qui annulera sans doute la résolution du parlement catalan. Elle déclare, « Le processus de déconnexion démocratique ne sera pas soumis aux décisions des institutions espagnoles, en particulier celles de la Cour constitutionnelle qui est considérée comme discréditée et sans pouvoirs ». Elle exhorte le nouveau gouvernement à «obéir exclusivement au mandat produit » par le parlement régional. 

La résolution fut soutenue par la coalition Ensemble Oui (62 sièges) qui comprend la Convergence démocratique de Catalogne (CDC) dirigée par le président de la Généralité de Catalogne Artur Mas et la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), coalition formée pour l'élection de septembre sur une plate-forme de création d’une République catalane. Elle a encore reçu les 10 voix du parti de la Candidature d'Unité Populaire (CUP). 

L'opposition à la résolution est venue du parti Citoyens qui est passé de 9 à 25 sièges aux dernières élections sur la base d'une opposition au séparatisme, du Parti socialiste catalan et du Parti Populaire (PP) de Catalogne, de droite, dont le parti frère est au pouvoir en Espagne. Catalogne Oui Nous Pouvons – alliance de Podemos, de staliniens et des Verts – a aussi voté contre la résolution. 

Le vote survient au moment où la classe politique est discréditée par des années d'austérité sévère; il a plongé toute la structure de l'Etat espagnol dans une crise politique et constitutionnelle profonde. Moins d'une heure après l’approbation de la résolution sécessionniste par le parlement, le premier ministre Mariano Rajoy (PP) prononçait un discours qui dura 10 minutes. 

Il dit qu'il ferait appel de la résolution catalane devant la CC et « signerait un décret d'inconstitutionnalité demandant la suspension immédiate de cette initiative et de tous ses effets possibles ». Le gouvernement ne permettrait pas que cela continue, « Nous mettons en marche tous les mécanismes de sorte que personne ne puisse s'attribuer des pouvoirs illimités hors de la démocratie. Par cet appel, je reconnais mon obligation en tant que dirigeant et mes croyances en tant que démocrate et en tant qu'Espagnol ». 

Le gouvernement devait présenter une contestation écrite de la résolution au CC hier. On prévoit que le tribunal déclarera l'illégalité de la résolution mercredi ou jeudi. 

Si le parlement catalan devait refuser de se conformer à la décision de la CC, a dit à El Mundo un responsable anonyme du gouvernement Rajoy, il y aurait des représailles économiques, comme une suspension du financement du Fonds de liquidité, qui laisserait de nombreux services sans finances et des fonctionnaires sans salaire. 

Le pouvoir judiciaire pourrait également engager des poursuites pénales contre ceux qui désobéissent aux décisions de la CC, y compris contre Mas, le président catalan, et la présidente du parlement catalan Carme Forcadell.

La dernière mesure si les sécessionnistes continuent de défier l'État serait d’appliquer l'article 155 de la Constitution et de suspendre l'autonomie régionale de la Catalogne. Le ministère espagnol de l'Intérieur prendrait contrôle de la police régionale, les Mossos d'Esquadra.

Le ministère de l'Intérieur affirme avoir enquêté sur la police régionale et avoir découvert que seulement 300 des 17.000 Mossos sont des séparatistes. Quel que soit le chiffre exact, il est clair qu’avec l’accentuation de la crise on considère, au plus haut niveau de l'Etat, la possibilité d’une division des loyautés au sein des forces de sécurité et d’affrontements armés entre elles.

L’initiative sécessionniste des partis nationalistes catalans, qui ont imposé des politiques d'austérité brutales aux travailleurs catalans, est réactionnaire. Conçue pour diviser la classe ouvrière en Espagne selon des lignes nationales, elle est promue par des partis représentant des secteurs de la bourgeoisie catalane et de la classe moyenne aisée qui cherchent à établir la Catalogne comme Etat capitaliste dans l'orbite géostratégique des puissances impérialistes de l'OTAN.

Tout en imposant des mesures d'austérité brutale depuis 2010, la CDC et l'ERC ont attisé le séparatisme pour bloquer et désorienter l’opposition croissante de la classe ouvrière à leur politique. Un ministre régional catalan déclarait en décembre dernier, « Si ce pays [la Catalogne] n’avait pas présenté un discours basé sur le nationalisme, comment aurait-il résisté aux ajustements [les coupes sociales] de plus de 6 milliards d’euros »?

La CUP a canalisé cette opposition vers un nationalisme plus agressif, accusant le gouvernement de droite à Madrid d’être responsable de tous les maux auxquels font face les travailleurs catalans. Couvrant l’austérité de CDC-ERC, elle cherche à obliger ces deux partis à adopter une position plus conflictuelle et chauvine envers Madrid.

Essayant de donner un vernis progressiste à la résolution, l’Ensemble pour Oui et la CUP ont introduit un amendement promettant des « mesures sociales ». Celles-ci comprennent: «la facilitation de l'asile des réfugiés », une loi contre « la pauvreté énergétique » garantissant aux citoyens catalans les plus pauvres l’accès à l'électricité et à d'autres services; une couverture médicale universelle pour tous quelle que soit leur origine; l’abrogation de la loi contre la liberté d’expression et de la loi sur l’éducation, et la renégociation de la dette publique avec l’Espagne.

Ces engagements vont totalement à l’encontre du bilan politique et du caractère de classe de la CDC et de l'ERC. Selon un sondage récent, la Catalogne compte 2,2 millions de pauvres et 19 pour cent de chômeurs; le salaire moyen y a été réduit de 10 pour cent depuis 2010, les années où Mas était au pouvoir. Des promesses de «mesures sociales» d’une résolution qu’on pense largement devoir être déclarée inconstitutionnelle, sont une mascarade politique vide de sens.

Le vote a provoqué une crise profonde dans la capitale catalane, Barcelone. Avant le vote, le parlement régional a entendu des discours véhéments des deux côtés. Raül Romeva, tête de liste de la coalition Ensemble pour Oui, a insisté pour dire que la résolution séparatiste de rupture avec l'Espagne répondait à «une demande massive» du peuple catalan. «Peu importe comment vous le chiffrez, en voix ou en sièges, les résultats de l'élection expriment une volonté claire et incontestable», a-t-il dit.

C’est là une invention pure et simple. Bien qu'ils aient réussi à obtenir une majorité de sièges au parlement, les partis pro-indépendance n’ont reçu que 48 pour cent du vote populaire lors des élections régionales de septembre, qu'ils avaient présentées comme un plébiscite sur l'indépendance.

Les partis anti-indépendantistes ont dénoncé la résolution comme une violation de la loi. Inès Arrimadas, dirigeante du parti Citoyens, a déclaré que la «folie» de la résolution et le projet d'ignorer les lois de l'Espagne étaient le «plus grand défi à notre démocratie depuis 30 ans ».

Le Parti socialiste catalan appelle à des concessions plus larges du gouvernement espagnol à l'establishment politique catalan mais pas à l'indépendance et a critiqué l’opposition du PP et de Citoyens à de telles concessions. Cela, a-t-il déclaré, « ferme la porte à des négociations avec le gouvernement [espagnol] et avec celui qui sortira des élections du 20 décembre».

En même temps, Ensemble pour Oui a de plus en plus de mal à faire réélire Mas comme président catalan. Dans son discours d'investiture, Mas a de nouveau promis des « plans d'urgence sociale », « loyer minimum garanti», «logement social» et un «système de soins de santé » plus inclusif, essayant cyniquement de donner un vernis social à son bilan réactionnaire pour obtenir le soutien de la CUP.

La CUP a déclaré qu’elle ne soutiendrait pas la candidature de Mas, bien que celui-ci ne puisse être réélu sans leur soutien. La CUP a déclaré qu'elle soutiendrait les autres candidats de la coalition Ensemble pour Oui, qui sont, prétend-elle, moins liés à l'austérité et à la corruption que Mas.

(Article original paru le 10 novembre 2015)

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