L’Allemagne décide de fermer ses frontières aux réfugiés

Le ministre allemand de l'Intérieur Thomas de Maizière a déclaré cette semaine que les réfugiés qui arrivent à la frontière allemande seront renvoyés dans le premier pays de l'Union européenne par lequel ils sont entrés, ce qui est un renversement des politiques qui ont été suivies depuis août.

La décision de l'Allemagne de renforcer son dispositif frontalier aura des conséquences humanitaires catastrophiques, intensifiera les tensions en Europe et augmentera le danger de guerre. Elle exprime le fait qu’une petite cabale droitière autour de Maizière et le ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, détermine de plus en plus les politiques de réfugiés du gouvernement allemand.

De Maizière a déclaré mardi que les réfugiés syriens qui arrivent à la frontière allemande sont traités conformément à l'accord de Dublin, et ceci depuis le 21 octobre. Le protocole Dublin III prévoit que les réfugiés doivent faire une demande d'asile dans le pays de leur première entrée dans l'UE. S’ils font une demande dans un autre pays, ils peuvent être expulsés vers le pays d'entrée. La seule exception est actuellement la Grèce, selon le ministère.

En outre, on n'accorde pas aux réfugiés de la Syrie une protection en conformité avec les Conventions de Genève sur les réfugiés. La grande majorité des réfugiés syriens, qui ont voyagé à travers la Turquie ou d'autres présumés «pays d'origine sûrs» au cours de leur voyage, ne recevra que la protection complémentaire. Ils recevront le droit de résidence pendant un an seulement au lieu de trois ans et ils ne pourront pas faire venir les membres de leur famille en Allemagne.

Le ministère a ainsi annulé sa décision du 21 août de suspendre les règlements de Dublin et accorder une protection aux réfugiés syriens en conformité avec la Convention de Genève sur les réfugiés. Il y a trois mois, l'ouverture des frontières de l'Allemagne a été justifiée sur la base de l'humanitarisme, parce que des dizaines de milliers de réfugiés se rassemblaient sur les frontières extérieures de l'UE et ne pouvaient être correctement soignés.

Cette décision n'a pas été annulée parce que la situation humanitaire s’est améliorée. Au contraire, les conditions auxquels sont confrontés les réfugiés en Grèce et sur la route des Balkans continuent de se détériorer. Quoi qu'il en soit, le gouvernement allemand a décidé de mettre au rebut ses gestes humanitaires et dissuader les réfugiés de manière agressive. Cette décision a de vastes implications.

Essentiellement, l’Allemagne rejette toute responsabilité pour les centaines de milliers de réfugiés en provenance de Syrie. Ceci est parce que, selon les règlements de Dublin, la Grèce, l'Italie et la Hongrie seraient responsables de la grande majorité des migrants. Concrètement, cela pourrait se traduire par un grand nombre de personnes étant bloquées dans les Balkans et sur les frontières extérieures de l'UE. Le résultat serait non seulement une catastrophe pour l'humanité, mais remettrait aussi en question l'existence même de l'UE.

Lundi, Jean Asselborn, le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, a justement mis en garde contre un tel scénario. «L'Union européenne pourrait se briser. Cela peut avoir lieu à une vitesse incroyable, si la fermeture des frontières au lieu de la solidarité est la règle à l'intérieur comme à l'extérieur», a-t-il dit. «Ce faux nationalisme peut conduire à une véritable guerre». En particulier, les décisions prises par la Suède ou l'Allemagne de fermer leurs frontières conduiraient à des développements incontrôlables dans les Balkans.

Le Centre d'analyse et de stratégie conjointe de la migration illégale (GASIM), qui a des liens étroits avec l'appareil de sécurité allemande, prétend qu'une telle situation pourrait entraîner la prise d’assaut des frontières, selon un document interne commenté par Welt am Sonntag. «Une impasse dans les Balkans pourrait causer la panique parmi les réfugiés et les autorités.» En même temps, il a noté que la «prévention de toute traversée des frontières terrestres» serait seulement «réaliste avec des niveaux élevés de ressources humaines et techniques». Les autorités travaillant au sein de GASIM comprennent les agences de renseignement allemand, plusieurs services de police et le Bureau fédéral des migrations et des réfugiés.

Le gouvernement allemand cherche à mettre en œuvre une telle fermeture, même si un porte-parole du ministère de l'Intérieur a déclaré qu'il n'y aurait «pas de refoulement aux frontières», seulement des déportations en règle. Le gouvernement suédois a répondu mercredi à la mesure allemande en annonçant ses propres contrôles aux frontières. Comme la Hongrie, la Slovénie a commencé la construction d'une clôture à la frontière.

Les critiques de la presse et l'opposition que les projets du ministère de l'Intérieur sont impossibles à mettre en œuvre, car pratiquement aucun réfugié arrivant en Allemagne n’a été enregistré dans un autre pays sont sans valeur.

En fait, le gouvernement allemand s’attelle actuellement à établir les soi-disant «points chauds» sur les frontières extérieures de l'UE, où tous les réfugiés qui arrivent seront enregistrés par les agents de protection des frontières de l'UE. Le premier «point chaud» sur l'île italienne de Lampedusa est déjà opérationnel. Des centres d'enregistrement supplémentaires sont prévus sur la route des Balkans.

La décision du ministère de l'Intérieur de revenir à la réglementation de Dublin est en accord avec la politique de l'aile droite des partis conservateurs, l'Union chrétienne-démocrate et l'Union chrétienne-sociale (CSU). Le magazine Der Spiegel a cité un projet de la résolution principale au congrès du parti de la CSU, qui se tiendra la semaine prochaine, dans lequel les nouveaux règlements annoncés se trouvent reproduits pratiquement mot pour mot.

L'accord de Dublin devait être «pleinement remis en vigueur de sorte que les demandeurs d'asile qui ont voyagé à travers les pays tiers sûrs peuvent être renvoyés», déclare la résolution. «L'introduction de membres de la famille doit être suspendue dans la mesure du possible. Où cela n’est juridiquement pas possible, elle doit être limitée au plus petit nombre possible.»

Sur la question du refus de reconnaître les réfugiés selon les Conventions de Genève, le ministère de l'Intérieur suit aussi la ligne de la CSU, qui déclare: «Cela comprend de faire la différence entre la protection selon les Conventions de Genève et la protection complémentaire. Ce n’est pas la même chose si quelqu'un comme un parent doit craindre pour sa vie parce qu'il est membre d'un groupe persécuté, ou s’il s'est rendu à nous de régions non combattantes ou des camps de réfugiés sûrs.»

La décision de faire la ligne de la CSU la pièce maîtresse de la politique allemande des réfugiés a été conclue sans aucune consultation avec le chef du Bureau de la chancelière, Peter Altmeier (CDU), qui est officiellement responsable de la coordination de la politique des réfugiés. Les partenaires sociaux-démocrates de la coalition ont également dit qu'ils n’avaient pas été informés des changements.

Malgré cela, il n'y a pas eu de protestations sérieuses contre les vastes mesures du ministère de l'Intérieur. Le vice-président du SPD, Ralf Stegner, a simplement accusé de Maizière d'un «manque de communication». Dans tous les cas, ses actions auront peu de conséquences. Le chef de file du CDU / CSU Volker Kauder a nié tout désaccord entre le ministère de l'Intérieur et le Bureau du chancelier. «Angela Merkel sait depuis longtemps comment répondre aux mouvements de réfugiés», a-t-il dit.

L'aile droite de la CDU / CSU a intensifié son offensive. Schäuble (CDU) a comparé l'arrivée des réfugiés à une «avalanche» qui doit être arrêtée rapidement. Il s’est ainsi directement aligné sur ceux qui mènent l’agitation populiste de droite contre les réfugiés.

L'élite dirigeante répond à la crise des réfugiés, qu’elle a elle-même provoquée par ses guerres au Moyen-Orient, en virant brusquement à droite. Les mesures inhumaines dirigées contre les réfugiés, les membres les plus vulnérables de la société, visent à terme l'ensemble de la classe ouvrière d'Europe.

(Article paru d'abord en anglais le 13 novembre 2015)

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