Perspectives

Le parasitisme financier et la destruction de la démocratie

Lundi, le fabricant américain de médicaments Pfizer Inc. a annoncé le projet de racheter son rival Allergan Plc, réalisant ainsi la troisième plus grande fusion d’entreprise de l’histoire.

La nouvelle entreprise, qui garderait le nom de Pfizer, serait le plus grand producteur de médicaments du monde. Suite à l’accord, connu comme une « inversion » parce qu’Allergan, la plus petite, basée en Irlande, achètera la plus grande, l’Américain Pfizer, la nouvelle société devrait payer un taux d’imposition de 17 à 18 pour cent, comparés aux 25,5 pour cent payés par Pfizer l’an dernier.

Cela porte la valeur totale des fusions et acquisitions annoncées jusqu’à présent cette année dans le monde à $ 4200 milliards. Les activités de fusion de 2015 sont sur le point de dépasser celle de toutes les années précédentes, y compris le record de 4380 milliards de dollars atteints en 2007, juste avant le déclenchement de la crise financière mondiale.

En annonçant la fusion avec Allergan, le directeur général de Pfizer Ian Read a dit que l’accord créerait « une société pharmaceutique internationale de premier plan avec le pouvoir de rechercher, de découvrir et de fournir davantage de médicaments et de thérapies à plus de gens dans le monde entier. »

En réalité, c’est tout le contraire. Des documents financiers publiés dans le cadre de la fusion établissent clairement que la nouvelle entreprise envisage de mener une campagne massive de réductions des coûts. Elle prévoit de réaliser quelque $2 milliards de réduction des coûts, dont $660.000 dans le financement de la recherche et du développement, le reste étant susceptible de provenir de licenciements et autres consolidations.

Le but fondamental de la vague des fusions est de trouver de nouvelles façons de fourrer de l’argent dans les poches des investisseurs financiers, qui réclament toujours plus de rendements. C’est une des expressions du parasitisme financier qui imprègne l’économie mondiale.

Plus tôt ce mois-ci, Birinyi Associates, a signalé que les entreprises américaines avaient dépensé $516,72 milliards à racheter leurs propres actions aux trois premiers trimestres de cette année, le plus haut niveau depuis 2007. Ce chiffre équivaut au produit intérieur brut de l’Argentine, un pays de 45 millions d’habitants.

Apple, la plus grande entreprise du monde, a dépensé $30,22 milliards en rachats d’actions jusqu’à présent cette année. Durant la même période, la société a dépensé seulement environ $6 milliards en recherche et développement et moins de $12 milliards à payer ses salariés. Ce montant comprend les employés de la vente au détail, dont le salaire de base est de 13 dollars de l’heure et les ouvriers de l’assemblage en Chine qui ne gagnent que $1,50 l’heure.

Apple est loin d’être une exception. Le Wall Street Journal a rapporté plus tôt cette année que les plus grandes sociétés américaines ont ces dernières années dépensé plus d’argent à racheter leurs propres actions qu’à l’embauche de salariés ou à la construction d’usines. L’effet des rachats d’actions est d’augmenter leur cours, gonflant du même coup la rémunération des dirigeants, de plus en plus liée à la « performance » du prix des actions.

Une note de recherche inédite de la Bank of America, citée par Bloomberg, fait remarquer que « pour chaque emploi créé aux Etats-Unis cette décennie, les entreprises ont dépensé $296.000 pour le rachat de leurs actions. »

Après des années de bénéfices quasi record, les entreprises américaines sont assises sur une trésorerie d’environ $1400 milliards. Mais loin d’utiliser ces fonds pour développer l’investissement productif, les grandes entreprises mondiales les dépensent en rachats d’actions, en fusions et acquisitions, et à augmenter la rémunération de leurs dirigeants.

L’effet de ce processus est de réduire plus encore la production économique réelle. L’industrie américaine a augmenté le mois dernier au rythme le plus lent en deux ans, selon des chiffres publiés lundi; le dernier rapport mensuel sur l’emploi, salué par les commentateurs comme « stellaire » et « jamais vu, » a montré que les États-Unis avaient ajouté exactement zéro emploi dans le secteur industriel en octobre.

L’orgie de spéculation financière à Wall Street et dans les conseils d’administration fait partie de la grande redistribution de la richesse vers le haut après la crise financière de 2008, facilitée par l’injection, de la part de la Réserve fédérale américaine et d’autres banques centrales, de liquidités dans le système financier mondial. Depuis l’effondrement de Lehman Brothers en 2008, les banques centrales du monde entier ont dépensé $12.400 milliards de dollars en achats d’actifs et ont réduit les taux d’intérêt à 606 occasions différentes, selon la note de recherche précitée de la Bank of America.

La vaste accumulation de richesses par l’élite financière est basée sur la réduction continue de la part des ressources sociales reçues par la classe ouvrière. Les revenus des travailleurs ont stagné pendant des décennies en Amérique du Nord et en Europe et dans de nombreux pays ils sont nettement inférieurs à ce qu’ils étaient avant la crise financière. Aux États-Unis, par exemple, le revenu d’un ménage type a chuté de 12 pour cent entre 2007 et 2013 selon une enquête de la Réserve fédérale sur les finances des consommateurs.

En conséquence de ces processus, un pour cent de la population a accumulé 95 pour cent de tous les gains de revenus depuis 2009, tandis que la richesse des 400 individus les plus riches des États-Unis a plus que doublé. La croissance de l’inégalité sociale a également alimenté la montée de l’opposition au système capitaliste et à la domination de l’élite financière sur tous les aspects de la société.

Cela explique en grande partie la réaction hystérique des classes dirigeantes d’Europe et d’Amérique du Nord aux attaques terroristes du 13 novembre à Paris. Les classes dirigeantes française et belge s’en sont saisies pour lancer des attaques de grande envergure contre les droits constitutionnels fondamentaux, permettant à la police d’arrêter et de saisir les biens de toute personne et d’interdire rassemblements et manifestations. Aux États-Unis, on s’est servi des attentats de Paris pour renouveler les appels à la criminalisation des communications cryptées.

Il est utile de noter que, malgré ces attentats censés être stupéfiants et tout changer et malgré qu’ils aient conduit certaines des plus anciennes « démocraties » du monde à l’abandon de principes qu’elles prétendaient maintenir depuis deux siècles, les marchés mondiaux eux, ne semblent pas s’en faire. Dans les 10 jours écoulés depuis ces attaques, les cours boursiers ont été à la hausse dans presque tous les pays. Le CAC français est monté de 1,69 pour cent, le Nasdaq américain de 3,5 pour cent et le DAX allemand de 3,59 pour cent.

« Le capital financier aspire à la domination et non à la liberté », faisait remarquer le révolutionnaire russe Lénine citant l’économiste socialiste Rudolf Hilferding. Comme dans les périodes ayant précédé les deux guerres mondiales, les classes dirigeantes considèrent de plus en plus un tournant déclaré vers des formes dictatoriales de gouvernement comme le plus sûr moyen de garantir la protection et l’extension de leur richesse.

(Article paru d’abord en anglais le 24 novembre 2015)

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