Perspectives

La fusillade dans une école de l'Oregon et la brutalité de la société américaine

Le geste de Chris Harper-Mercer, 26 ans, qui a tué neuf étudiants et blessé neuf autres à l’Umpqua Community College de Roseburg, dans l’Oregon, jeudi dernier, a une fois de plus montré qu’il y avait quelque chose de profondément dysfonctionnel dans la société américaine.

Harper-Mercer a ouvert le feu sur des étudiants dans plusieurs salles de cours de Snyder Hall, sur le campus du College. Il a ensuite été tué au cours d’une fusillade avec la police à l’extérieur du batiment.

Plus d’informations apparaîtront dans les prochains jours sur les motifs psychologiques particuliers – et la maladie – ayant conduit aux événements de jeudi. Certains détails sont déjà connus. Des textes parus dans les médias sociaux, appartenant à Harper-Merce, indiquent que ses idées étaient un mélange confus de conceptions droitières et nationalistes. Un compte MySpace montre de nombreuses photos à la gloire de membres de l’IRA (Armée républicaine irlandaise). Le nom choisi pour un site de rencontres, IRONCROSS45, est une référence apparente à une décoration nazie. Il s’y dit républicain conservateur, mais dit avoir une aversion particulière pour religion organisée.

Dans un blog récent, Harper-Mercer se réjouissait de l’attention reçue par Vester Flanagan quand il a tué en direct deux reporters à la télévision, en août. Il a ensuite encouragé les lecteurs à regarder la vidéo de l’assassinat postée par Flanagan sur les médias sociaux, disant : « C’est une vidéo courte, mais bonne quand même. »

Les meurtres à l’Umpqua Community College sont les plus récents d’une série, apparemment sans fin, d’horribles tragédies. Le site shootingtracker.com, qui suit les fusillades de masse aux États-Unis depuis 2013, rapporte qu’il y a eu jusque là cette année au moins 296 incidents dans lesquels plusieurs personnes ont été tuées ou blessées par coups de feu.

Une étude récente de chercheurs de Harvard (Amy Cohen, Deborah Azrael et Matthew Miller), a révélé qu’entre 1982 et 2011, le temps moyen entre des fusillades où plus de quatre personnes furent tuées ou blessées était de 200 jours. Depuis 2011, le nombre de jours entre ces fusillades est descendu à 64 jours en moyenne, ce qui signifie que la fréquence à laquelle ces meurtres se produisent s’est accélérée par trois.

Une liste des auteurs de ces fussillades de masse comprend Jared Lee Loughner, 22 ans, qui a tiré sur la députée au Congrès de l’Arizona Gabrielle Giffords et tué six personnes le 8 janvier 2011; James Holmes, 24 ans, a tué 12 personnes et en a blessé 58 dans une salle de cinéma le 20 juillet 2012; Adam Lanza, 20 ans, a abattu 20 élèves de première année et six adultes à la Sandy Hook Elementary School, le 14 décembre 2012; Elliot Rodgers, 22 ans, a tué sept personnes et en a blessé sept sur le campus de l’Université de Santa Barbara le 23 mai 2014; Dylan Storm Roof, 21 ans, a tué neuf personnes dans une église à Charleston, Caroline du Sud, le 18 juin de cette année.

Une telle énumération limitée donne déjà l’image d’une société réellement malade. Aucun pays économiquement avancé n’approche le nombre ou la fréquence des meurtres de masse aux États-Unis.

Dans une conférence de presse confuse tenue dans la foulée de la dernière fusillade, le président américain Barack Obama a eu du mal à expliquer cette nouvelle tuerie pendant son mandat. « D’une certaine manière cela est devenu une routine, » a-t-il dit avec fatalisme. « Les rapports dans la presse sont de la routine. Ma réponse ici à cette tribune finit par être de la routine. La conversation à la suite de celui-ci. Nous sommes devenus insensibles à ce phénomène. » Lors d’une conférence de presse le lendemain, il était encore plus clair qu’il n’avait pas d’explication, il a attribué, de façon superstitieuse, toute violence au « péché originel. »

Comme il l’a déjà fait maintes fois, dans la mesure où il donnait une explication, Obama a blâmé les lois laxistes sur les armes à feu au plan national, un problème dont il dit qu’il pourrait être résolu par une loi adéquate. « Nous savons que la plupart des Etats qui ont des lois sur les armes à feu ont tendance à avoir moins de décès du à ce type d’armes. Donc la notion que les lois sur les armes à feu ne marchent pas, ou que la loi ne fera que rendre plus difficile l’achat d’armes aux citoyens respectueux des lois et que les criminels sauront toujours où en trouver, n’est pas étayée par des preuves », a-t-il dit.

Les solutions à ces tueries avancées par Obama – principalement destinée à augmenter les pouvoirs de l’État et de la police – ne fera rien pour apporter une solution effective aux problèmes sociaux sous-jacents qui causent ces tragédies à répétition.

Bien que chaque fusillade ait ses particularités, un phénomène d’une telle régularité doit avoir des causes profondes. Quel est l’environnement social qui les produit? Des décennies de suppression de la lutte des classes et la promotion de l’individualisme, une idéologie qui explique les échecs ou les réussites individuelles par les caractéristiques personnelles de l’un ou de l’autre, ont conduit à une désillusion et une aliénation profondes.

Un sentiment général de désespoir règne parmi une génération de jeunes gens, qui, s’ils ont eu la chance d’aller au collège, subissent la charge d’une dette de mille milliards de dollars de prêts aux étudiants, sans perspective d’emploi décent qui leur donnerait un bon niveau de vie.

Quant à la violence omniprésente, elle est en premier lieu due à l’État et à la classe dirigeante qui le contrôle. Au cours des derniers vingt-cinq ans, la presque totalité de la vie de Harper-Mercer, les États-Unis ont été en guerre plus ou moins continuelle dans un pays ou un autre, causant la mort de plus d’un million de personnes et le déplacement de millions d’autres. L’auteur de la fusillade a grandi dans la « guerre contre la terreur, » utilisée par la classe dirigeante pour favoriser une atmosphère de paranoïa et de suspicion, et justifier toutes sortes d’actes violents de l’État.

Avec le programme d’assassinats par drone d’Obama, le meurtre au grand jour est devenu la politique officielle du gouvernement américain. Le président, les responsables du gouvernement et d’autres qui se vantent publiquement « d’éliminer » les personnes placées sur leurs listes de gens à tuer, dont des citoyens américains. Si le gouvernement américain garde secret le nombre de personnes qu’il a tuées par drones, des estimations prudentes basées sur des information publiques indiquent que des milliers, dont des femmes et des enfants, ont été sommairement exécutés sans inculpation ni jugement.

Sur le plan intérieur, la société, déchirée par une inégalité économique croissante, a en outre été de plus en plus militarisée; l’engagement militaire est glorifié à tout moment comme le plus grand service rendu à la nation. Les forces de police ont été armées jusqu’aux dents, recevant des véhicules blindés et des fusils d’assaut, et sont impossibles à distinguer de l’armée. Les meurtres et la brutalité sont la routine; près de 900 personnes ont été assassinées dans des rencontres avec la police jusqu’ici cette année.

Les États-Unis restent le dernier pays avancé économiquement à imposer la peine de mort. Depuis 1976, 1.416 personnes ont ainsi été mises à mort de facon cruelle et inhumaine. Jusqu’à présent cette année, il y a eu vingt-deux de ces meurtres d’État.

Les solutions toujours avancées à la suite de ces fusillades ne feront rien pour remédier aux causes de massacres qui, en dernière analyse, ont leur origine dans la brutalité de la société américaine.

(Article paru d'abord en anglais le 3 octobre 2015)

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