Québec: pourquoi les syndicats gardent le silence sur la menace d’une loi spéciale

Les centaines de milliers de travailleurs du secteur public québécois ont entamé cette semaine leurs premières journées de grève pour protester contre les coupes sauvages du gouvernement libéral dans les services publics et les conditions de travail.

Malgré l’ampleur de la mobilisation et des votes massifs en faveur de la grève, les libéraux de Philippe Couillard sont déterminés à imposer aux employés de l’État les reculs majeurs exigés par la grande entreprise.

Couillard n’hésitera pas à imposer un décret pour dicter les termes d’un nouveau contrat au demi-million de travailleurs de l’État si ceux-ci continuent de résister aux demandes patronales. En fait, tout indique que les libéraux se préparent déjà à criminaliser l’opposition des travailleurs du secteur public.

La semaine dernière, avant même que le mouvement de grève n’ait été lancé, le gouvernement a présenté une motion à l’Assemblée nationale obligeant les services de garde en milieu scolaire à demeurer ouverts lors des journées de grève.

Même si cette mesure n’a finalement pas été adoptée, elle représente néanmoins un sérieux avertissement. Si le gouvernement est prêt à retirer ouvertement le droit de grève d’une importante section des travailleurs, il sera prêt à le retirer à l’ensemble de ses employés.

Les dirigeants syndicaux savent que la loi spéciale est un élément clé de la stratégie du gouvernement. Au cours des dernières années, les gouvernements libéraux et péquistes successifs ont criminalisé pratiquement chaque mouvement d’opposition, y compris la grève étudiante de 2012 (loi 78) et la grève des travailleurs de la construction de 2013. Le mois passé, le gouvernement Couillard a annoncé qu’il accordera aux municipalités le droit d’interdire les grèves et d’imposer des conventions collectives unilatéralement à leurs employés si les négociations entrent dans une «impasse». Ces mesures anti-démocratiques prennent place également au niveau fédéral, où le droit de grève est quasiment aboli, que ce soient pour les postiers, les cheminots ou les travailleurs d’Air Canada.

Pourtant, les syndicats ne font rien pour préparer leurs membres à défier les lois anti-ouvrières. Au contraire, ils gardent les travailleurs dans l’ignorance des préparatifs du gouvernement car ils sentent que les membres de la base répondront à la menace d’une loi spéciale en exigeant une pleine mobilisation des travailleurs du secteur public et de toute la classe ouvrière – la dernière chose que veulent les chefs syndicaux.

Ils veulent plutôt placer les travailleurs devant le fait accompli pour leur dire ensuite qu’il n’y rien d’autre à faire que de retourner au travail et se contenter de vains appels à des tribunaux ou autres institutions capitalistes comme le Parti québécois. En un mot, les chefs syndicaux prévoient se servir d’une loi spéciale pour justifier une capitulation totale et immédiate, comme ils l’ont fait en 2005 lorsque le gouvernement libéral de Jean Charest a imposé un contrat de travail de sept ans dans le secteur public.

Sous la pression des membres de la base, les syndicats ont été forcés d’entamer une démarche de grève, mais ils ont indiqué à maintes reprises qu’elle ne sert qu’à ramener le gouvernement aux tables de négociations. En réalité, comme ils le font systématiquement lors de chaque conflit de travail, les syndicats sont prêts à imposer les reculs exigés par la partie patronale, pourvu que cela se fasse par des négociations de «bonne foi» – autrement dit, par l’entremise des bureaucrates syndicaux grassement payés.

Les syndicats ne représentent plus les intérêts des travailleurs de la base depuis fort longtemps. Au cours des trois dernières décennies, ils sont devenus une véritable police industrielle de la classe ouvrière. Par leur participation aux comités de gestion tripartites avec le gouvernement et le patronat, par leur contrôle de riches fonds d’investissement (comme le Fonds de solidarité), les bureaucrates syndicaux ont développé des intérêts matériels tout à fait opposés aux travailleurs qu’ils prétendent représenter.

Si les chefs syndicaux ont martelé à maintes reprises qu’ils voulaient éviter la grève, c’est parce qu’ils sont conscients de l’immense colère qui existe dans la population contre l’austérité et l’important appui en faveur des travailleurs du secteur public. Ils craignent que le mouvement ne devienne le catalyseur d’une opposition de masse contre l’austérité et mette en danger la rentabilité du capitalisme québécois et canadien.

Les travailleurs du secteur public font face à une lutte politique. En s’opposant aux mesures d’austérité libérale, les travailleurs entrent en conflit non seulement contre Couillard, mais contre toute l’élite dirigeante québécoise et canadienne et tout son appareil de répression étatique – la police, les tribunaux et les lois anti-ouvrières.

Dans leur lutte, les travailleurs du secteur public ont de puissants alliés: les millions de travailleurs au Québec, au Canada et à travers le monde à qui la classe dirigeante veut faire porter le fardeau de la crise du capitalisme mondiale. Il faut dès aujourd’hui se préparer à défier toute loi spéciale dans le cadre d’une contre-offensive de toute la classe ouvrière au pays pour la défense des services publics, des emplois et des conditions de vie.

 

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