Le ralentissement de l'économie canadienne ébranle le gouvernement libéral

Le gouvernement libéral du Canada est confronté à une détérioration prononcée de ses perspectives économiques, nourrissant du coup une spéculation généralisée que le déficit budgétaire de cette année sera une fois et demie, voire même trois fois plus élevé que le déficit maximum de 10 milliards $ canadien auquel il s'était engagé pendant la campagne électorale de l'automne dernier.

Lundi, la Bourse de Toronto a chuté de 1,1 pour cent, portant ses pertes des deux derniers jours de négociation à 3,2 pour cent, et réduisant sa valeur globale au niveau le plus bas depuis juin 2013. Le dollar canadien a clôturé en dessous des 69 cents américains et les prévisions pour le prix du pétrole pour février ont descendu encore une fois, le prix étant maintenant à moins de 29 $ US le baril.

Presque tous les commentateurs financiers prédisent que le dollar canadien, qui a perdu près de 20 pour cent de sa valeur vis-à-vis du dollar américain l'an dernier, va continuer de baisser. Certains suggèrent même qu'il pourrait aller aussi bas que 60 cents.

La dévaluation du dollar n'a pas réussi pour l'instant à donner le coup de pouce majeur pour créer un essor dans les exportations manufacturières que la plupart des analystes économiques prévoyaient. Mais elle a un impact majeur sur le coût de la nourriture et les autres prix à la consommation, ayant davantage une incidence sur les revenus des travailleurs.

La baisse du dollar est entrainée par la chute du prix du pétrole et des autres matières premières. Cette baisse est révélatrice du grave malaise économique que subit le capitalisme mondial. La Chine est en proie à un ralentissement important: un pays dont la croissance économique rapide au cours des dernières années a contribué à soutenir les prix du pétrole et des autres matières premières.

L'économie canadienne a été parmi les plus durement touchées par la chute du prix des matières premières. L'effondrement de l'investissement dans les sables bitumineux de l'Alberta et les autres projets dans le secteur des ressources naturelles a entrainé une brusque inversion des flux de capitaux, le Canada encaissant la plus grande sortie de capitaux des pays du G7 en 2015.

La Presse canadienne a rapporté la semaine dernière que la débâcle rapide des perspectives économiques du Canada est à l'origine de la décision du premier ministre Justin Trudeau et de son gouvernement libéral de réviser à la hâte leurs plans d'accroître les dépenses d'infrastructure à hauteur de 17,4 milliards $ au cours des quatre prochaines années. Le gouvernement dit maintenant avoir l'intention de devancer les dépenses et d'étendre un programme de rénovation écoénergétique domiciliaire et des tours à bureau, ainsi que dans le logement social de façon à stimuler immédiatement l'économie.

Les conditions économiques se détériorent si rapidement qu'on spécule que la Banque du Canada qui se réunissait mercredi va réduire son taux d'intérêt directeur à 0,25 pour cent. En 2015, la banque a baissé deux fois son taux de base, le réduisant de moitié en le faisant passer de 1 à 0,5 pour cent. Le mois dernier, le gouverneur de la Banque du Canada Stephen Poloz a déclaré que la banque serait prête à adopter des mesures non conventionnelles si les conditions l'exigeaient, notamment un assouplissement quantitatif et des taux d'intérêt négatifs.

La perspective d'une baisse des taux a augmenté après que le sondage trimestriel mené par la Banque du Canada auprès des entreprises a révélé la semaine dernière que la crise du ralentissement économique frappe depuis longtemps au-delà du secteur pétrolier et des ressources naturelles. Selon le sondage, les plans d'investissement et d'embauche sont à leurs niveaux les plus faibles depuis la récession économique mondiale de 2009 dans toutes les entreprises. Ce développement vient s'ajouter à l'évidence croissante que l'économie a stagné au quatrième trimestre et la crainte que la persistance du bas prix du pétrole puisse entrainer une récession.

Emanuella Enenajor de Bank of America-Meryl Lynch prédit une baisse du taux directeur par la Banque du Canada, notant que «Si les prix de l'énergie restent bas, une diminution du taux directeur ne sera probablement pas suffisante pour stimuler l'économie à un rythme de croissance raisonnable. La Banque du Canada pourra alors adopter d'autres avenues plus tard en 2016.» C'était la politique menée par le prédécesseur de Poloz, Mark Carney, lors de la crise financière de 2008-2009, alors que la Banque du Canada avait promis de ne pas augmenter les taux d'intérêt pendant un an.

Trudeau et le ministre des Finances Bill Morneau ont réagi aux craintes de récession en claironnant la promesse des libéraux de stimuler l'économie en investissant dans les dépenses d'infrastructure. Mais même les économistes bourgeois reconnaissent que les dépenses pour stimuler l'économie proposées par les libéraux lors de la campagne électorale de l'an dernier ne seront qu'une goutte dans l'océan par rapport à ce qui serait nécessaire pour contrer la baisse de la demande dans le secteur privé et les investissements, d'autant plus que la croissance aux États-Unis est pour le moins anémique.

Porte-parole de l'élite de Bay Street, le Globe and Mail a déclaré la semaine dernière que la relance économique sous la forme d'un oléoduc et d'autres grands projets d'infrastructure industriels est souhaitable, mais toute augmentation des dépenses sociales est à éviter. «Une grande partie des nouvelles dépenses promises dans la plateforme libérale ne sont pas des dépenses d'infrastructure uniques, se plaint le Globe dans son éditorial du 11 janvier. Il s'agit de dépenses permanentes, sociales continues.» L'article poursuit en exhortant Morneau à «regarder très sérieusement» les promesses électorales des libéraux et à avoir le courage de laisser tomber celles qui n'entraineraient pas de grands bénéfices aux entreprises.

Trudeau participe cette semaine au Forum économique mondial de Davos, en Suisse,où il prononcera un discours devant l'élite financière mondiale pour vanter le Canada comme un endroit idéal pour l'investissement étranger. Mais les inquiétudes grandissent également à cet égard, entrainant des demandes de plus en plus insistantes que le gouvernement se lance dans des projets et des mesures impopulaires.

La semaine dernière, le gouvernement de la Colombie-Britannique a annoncé qu'il n'approuvait pas l'expansion de l'oléoduc Trans-Mountain de Kinder Morgan, qui permettrait d'augmenter de façon importante la quantité de pétrole acheminé de l'Alberta à la côte du Pacifique. Cette annonce venant tout juste deux mois après que l'administration Obama ait rejeté le projet Keystone XL, et avec le projet d'oléoduc de East Energy vers l'Atlantique sous pressions politiques graves, le secteur pétrolier fait face à des défis croissants pour mettre son produit sur le marché dans des conditions où les bas prix menacent déjà la viabilité de nombreux producteurs de pétrole canadiens, en particulier les plus petits.

D'autres représentants de l'élite dirigeante, comme Jeffrey Simpson du Globe, lancent des mises en garde contre une crise de la «productivité», un euphémisme pour couvrir la demande du monde des affaires canadien que le gouvernement libéral aille de l'avant avec des attaques sur les emplois, le niveau de vie et les droits sociaux des travailleurs. Dans un commentaire récent, Simpson a cité le vieillissement de la population et les dispositions de protection sociale du Canada, faisant valoir que ce qui reste des services publics et sociaux après les décennies de compressions des gouvernements fédéral et provinciaux libéraux, conservateurs, du NPD et du Parti québécois, doit être encore réduit pour améliorer les niveaux de productivité, c'est-à-dire de rentabilité. Les libéraux se sont déjà engagés à trouver au moins 6 milliards $ en économies annuelles dans les dépenses publiques au cours de leur premier mandat.

Le ralentissement économique a également un impact dramatique sur la situation financière des gouvernements provinciaux. En Alberta, la province la plus fortement dépendante du secteur pétrolier, les conditions ont continué de se détériorer depuis que le gouvernement du Nouveau Parti démocratique (NPD) a déposé son premier budget en octobre. Un déficit budgétaire record de 6,1 milliards $ est prévu pour l'exercice 2015-2016.

Mercredi de la semaine dernière, le ministre des Finances de l'Alberta Joe Ceci a annoncé un gel des salaires de deux ans pour 7.000 travailleurs du secteur public non syndiqués afin d'économiser 57 millions $. Laissant peu de doute que le gouvernement va pousser pour des «économies» similaires dans les négociations contractuelles à venir avec les fonctionnaires, les enseignants, les infirmières et les syndicats des autres travailleurs de la santé, Ceci a dit «Je suppose que lors des négociations collectives, il faudra tenir compte de la situation économique dans laquelle nous vivons aujourd'hui.»

La ministre de l'Environnement de l'Alberta Shannon Phillips a dit lors du Sommet sur le pétrole et le gaz du Conference Board du Canada la semaine dernière que certaines des promesses électorales du NPD devraient être retardées et que le gouvernement se préparait à réduire les dépenses sociales. Sur un ton inquiet, Phillips a déclaré: «Il ne fait aucun doute que tout est sur la table.»

Le gouvernement fédéral est tellement préoccupé par l'aggravation de la crise en Alberta qu'il envoie ses hauts fonctionnaires consulter les chefs d'entreprise et la première ministre néo-démocrate Rachel Notley. Un libéral haut placé a décrit la situation comme «très grave». Le mois dernier, l'agence de notation Standard and Poor a abaissé la cote de crédit de la province.

Le gouvernement libéral de la Nouvelle-Écosse, qui est étroitement aligné sur le gouvernement Trudeau, a adopté hâtivement au parlement provincial le mois dernier un projet de loi pour imposer un gel des salaires de deux ans pour les travailleurs du secteur public. La loi a été introduite après que les travailleurs de la base se soient rebellés contre les syndicats en votant contre une entente de principe incorporant le gel des salaires et qu'ils ont indiqué qu'ils étaient prêts à voter contre un deuxième accord semblable lors d'un vote prévu ce mois-ci. Le gel sera suivi par des augmentations dérisoires de seulement 1,5 pour cent pour les troisième et quatrième années. Le gouvernement a également plafonné les paiements pour les jours de maladie non utilisés.

(Article paru d'abord en anglais le 19 janvier 2016)

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