La proposition de primaire à gauche: une manœuvre de soutien au PS

Le quotidien français Libération s’est fait lundi dernier le porte-parole d’un appel à une « primaire de la gauche » lancée par un groupe de figures politiques, intellectuelles et artistiques issues des milieux écologiste et social-démocrate. La plus connue d’entre elles est le politicien Vert et ancienne figure de proue du mouvement étudiant de mai-juin 1968, Daniel Cohn Bendit. L’appel est assorti d’une pétition en faveur de l’initiative. 

La démarche s'inscrit dans le cadre d’une campagne électorale, déjà engagée, pour des élections présidentielles et législatives au printemps de 2017, sous un régime d’état d’urgence imposé par le Parti socialiste marqué par des tensions sociales aiguës. Le Front national (FN) néofasciste pourrait se retrouver au deuxième tour de cette élection ou même la remporter. 

L’idée d’une primaire unique des partis de la « gauche » avait déjà été lancée au début de novembre dernier par un groupe autour de Cohn-Bendit, qui avait déclaré être prêt à y participer. Elle a pris forme à la suite des avancées du FN aux élections régionales en décembre et surtout depuis que le gouvernement Hollande-Valls a préconisé la déchéance de nationalité. Cette mesure, directement tirée du programme néofasciste, a suscité des désaccords dans l'entourage du PS. 

L’appel paru dans Libération a suscité l'enthousiasme des écologistes et d'une portion du Front de gauche (PCF, Parti de Gauche). Les soi-disant « frondeurs » du PS ne s’y sont pas opposés, contrairement au reste du PS. Elle a été abondamment commentée dans la presse et les médias dont certains ont voulu y voir une opposition à la politique gouvernementale. On a interviewé abondamment les signataires les plus en vue, dont l’économiste Thomas Piketty, l’écrivaine Marie Depleschin, le député européen (EELV) Yannick Jadot, et le sociologue Michel Wieviorka. 

Il s’agit en fait d’une opération menée par une section de l'entourage du PS, qui craint qu’une politique trop ouvertement d’extrême-droite de la part du PS ne discrédite la politique d’austérité exigée par l’Union européenne, menée par Hollande, et ses attaques contre les droits démocratiques. 

Ainsi, dans une interview sur France Inter, Marie Depleschin dit: « il y a des gens qui vous sortent des propositions d’extrême droite comme si c’était la solution: être progressiste c’est essayer de trouver des solutions qui sont pas cherchées dans la réaction ». 

Une « primaire à gauche » ne produirait aucune rupture réelle avec la politique réactionnaire du PS. La déclaration publiée par Libération ne s’oppose ni à l'austérité sociale ni à l'UE. Elle ne s’oppose pas non plus à ce que le PS revienne au pouvoir avec la même politique. Elle appelle plutôt à un ravalement de façade des forces politiques existantes : «‘Primaire’signifiera en cela ‘couleurs ravivées’ de la gauche et de l’écologie ... Nous avons une certitude: l’arrivée au pouvoir du Front national serait une catastrophe et le retour de Les Républicains ne nous sortirait pas de l’impasse ». 

Les initiateurs de la primaire à gauche s’inquiètent de la crise des institutions qu’ils proposent de revigorer en leur apportant un soutien plus large: « Nous ne changerons pas de République d’ici 2017, et tout reste suspendu à l’élection présidentielle-reine. Cet enjeu… est incontournable aujourd’hui, nous voulons qu’il soit l’objet d’une réappropriation citoyenne ». 

Jusqu’à la mi-2014, EELV imposait la politique d’austérité au sein du gouvernement Hollande et a continué de soutenir la politique pro-UE du PS une fois dehors. En mai dernier, Cohn-Bendit recommandait aux députés européens Verts, au beau milieu des attaques de l’UE contre la classe ouvrière grecque, de soutenir la candidature du conservateur Jean-Claude Junker, un des principaux artisans de ces attaques, à la présidence de la Commission européenne. Il l’avait présenté comme une possibilité de faire « évoluer la démocratie européenne ». 

En même temps qu’il avait envisagé d’être candidat à une primaire à gauche en novembre Cohn-Bendit avait conseillé à Hollande de faire le choix de la primaire, pour se « relégitimer ». 

Suite à la proposition de primaires à « gauche », un sondage réalisé pour BFMTV a trouvé que «78 pour cent des sympathisants de gauche se disent favorables à la tenue d'une primaire pour déterminer leur candidat pour la course à la présidentielle en 2017… ils estiment que Manuel Valls incarne la meilleure chance de remporter la prochaine élection présidentielle. Derrière le Premier ministre, qui recueille 29 pour cent des voix, la maire de Lille [Martine Aubry] est citée par 22 pour cent des électeurs de gauche, devant François Hollande avec 19 pour cent des voix. » 

Le profil politique des principaux signataires de la proposition est révélateur de l’agenda défendu par les initiateurs. L’un d’eux est Romain Goupil, ex-membre de la LCR pabliste (précurseur de l'actuel Nouveau parti anticapitaliste) et soutien en vue, au nom des « milieux artistiques », de la plupart des guerres impérialistes menées au cours du dernier quart de siècle. 

Un autre signataire de la première heure est Raphael Glucksman, essayiste et fils du « nouveau philosophe » anticommuniste André Glucksmann. Résolument pro-UE, il a été de 2005 à 2013 conseiller de l’ex-président géorgien pro-Otan Mikheil Saakachvili et l’époux de sa ministre de la Justice, Eka Zguladze. Il s’est investi dans les manifestations de la Place Maidan à Kiev qui ont conduit au putsch mené par des fascistes. Zgulatze est depuis décembre 2014 vice-ministre de l'Intérieur du gouvernement d'extrême-droite en Ukraine. 

De telles personnalités reprochent à Hollande non pas de faire une politique d'extrême-droite, qu'ils pourraient eux-mêmes mener, mais plutôt de le faire d'une manière trop agressive et voyante, qui risque de provoquer des mouvements d'opposition qui déborderaient le PS sur sa gauche. 

En effet, la politique du PS et du gouvernement Hollande cette dernière année a été de faire l’unité nationale autour de la politique de l’extrême droite. Ce qu’avait déjà indiqué la main tendue au FN à la suite des attentats de janvier 2015 à Paris est maintenant devenu clair avec la mesure de déchéance nationale qui rejoint les mesures anti-sémites du régime de Vichy. 

Comme le WSWS l’a écrit le 15 janvier, après la condamnation des grévistes de Goodyear: « La classe capitaliste française fut contrainte d’inscrire les droits sociaux fondamentaux tels le droit de grève dans la Constitution après la Seconde Guerre mondiale comme un gage qu’elle ne reviendrait pas aux crimes commis par Vichy. En jetant au rebut ses engagements à maintenir les droits sociaux fondamentaux et en se tournant vers des formes autoritaires de gouvernement, entraînée par des contradictions économiques et financières insolubles, la classe dirigeante se positionne pour légitimer le FN et adopter des politiques tirées de l’arsenal juridique du fascisme du 20e siècle. » 

La déchéance de nationalité montre la banqueroute politique du PS, la principale formation politique issue de l’après mai-juin 1968 en France, voulue et soutenue par la petite bourgeoisie radicalisée de 1968. 

Si la manoeuvre défensive des signataires de l’appel à la primaire à gauche sert avant tout à rabibocher le déguisement « de gauche » troué du PS pour permettre la poursuite de la politique d’austérité de l’UE sous d’autres couleurs, il s’agit aussi de requinquer le prestige de l’ensemble de l’ex-gauche post-soixante-huitarde. Les tenants de la « primaire à gauche » essaient ainsi de bloquer tout mouvement qui pourrait contester la politique de Hollande depuis la gauche.

 

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