Sur quelle base faut-il rejeter l’entente de principe dans le secteur public québécois?

Une vive opposition se fait sentir parmi les membres de la base envers l'entente de principe signée le 17 décembre entre le gouvernement québécois et le Front commun inter-syndical, qui regroupe une majorité des 550.000 travailleurs du secteur public. 

Cet accord constitue un assaut direct non seulement contre les employés de l’État – sans conventions collectives depuis mars dernier et confrontés depuis à l’intransigeance patronale – mais contre tous les travailleurs. La seule réponse qu'elle mérite est un non décisif, premier pas vers une contre-offensive de toute la classe ouvrière contre l'austérité capitaliste et pour la défense des emplois, des salaires, des pensions et de tous les programmes sociaux. 

Les dirigeants du Front commun – notamment les chefs des trois grandes centrales syndicales que sont la CSN (Confédération des syndicats nationaux), la CSQ (Centrale des syndicats du Québec) et la FTQ (Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec) – recommandent l’acceptation de ce qui est présenté comme une «bonne entente» qui comporterait des «gains suffisamment importants». Ils s’engagent à continuer leur supposée «lutte à l'austérité, à la privatisation et aux compressions». Qui pensent-ils tromper avec leurs mensonges et leurs fausses promesses?

La hausse salariale prévue dans l'entente oscille entre 5,25 et 7,75% sur cinq ans, ce qui est nettement inférieur à l'inflation. L'âge de la retraite passe de 60 à 61 ans. La pénalité pour retraite anticipée passe de 4% à 6%. Autrement dit, l'entente met la hache dans les salaires réels et les pensions des employés de l'État. Elle laisse intactes les compressions budgétaires mises en place par les gouvernements péquistes et libéraux successifs. Et elle donne le feu vert au premier ministre Philippe Couillard pour qu’il poursuive le démantèlement accéléré des services publics. 

Comme l’a noté un chroniqueur du Devoir, dans «l’entourage du premier ministre», on pense que «le grand bouleversement syndical, la grande mobilisation populaire contre les mesures du gouvernement n’ont jamais vraiment eu lieu». 

L’accord de principe suscite à juste titre une grande opposition. Elle a été dénoncée par de nombreux travailleurs sur les réseaux sociaux. Une forte majorité de délégués de la FSSS (Fédération de la santé et des services sociaux), la plus importante instance syndicale au sein du Front commun avec 110.000 membres, a appelé ses membres à voter contre. La question centrale est la suivante: quelle est la perspective politique qui doit guider un rejet de l'entente? 

Les travailleurs font face à une lutte politique 

Pour y répondre, il faut analyser les implications d’un tel développement. Le gouvernement Couillard réagirait sans doute en adoptant une loi spéciale et en mobilisant l’appareil répressif de l’État – la police, les tribunaux, un régime draconien de sanctions. En cas d’opposition, la violence policière exercée contre les grèves étudiantes de 2012 et 2015 serait dirigée cette fois contre les employés de l’État, mais avec une intensité accrue. Les médias de masse lanceraient une virulente campagne pour dépeindre les travailleurs du secteur public comme des «privilégiés» et des «égoïstes» qui veulent prendre la population «en otage». L’establishment canadien ferait bloc avec le gouvernement Couillard, comprenant fort bien que les mesures de démolition sociale au Québec font partie du programme de classe appliqué par l’élite dirigeante partout au pays afin de faire payer les travailleurs pour la crise du capitalisme. 

La menace pesante de la loi spéciale démontre que ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement les conventions collectives des employés de l’État, mais des choix fondamentaux de société. À quoi doivent servir les abondantes ressources matérielles et humaines actuellement disponibles – nonobstant le discours mensonger de Couillard qu’il n’y a «pas d’argent»? À gonfler les profits des banques et des entreprises en comprimant les dépenses sociales et en minimisant l’impôt sur les super-riches et les gains en capital? Ou bien à satisfaire les besoins sociaux de la majorité pour des emplois bien rémunérés, des conditions de travail adéquates, des services publics de qualité, et l’accès à la culture? 

Autrement dit, les travailleurs du secteur public sont confrontés à une lutte politique. En rejetant les termes inacceptables de l’accord de principe, c’est tout le programme de classe de l’élite dirigeante qu’ils remettraient en question. Ils feraient alors face au fouet de la loi spéciale, aux sanctions des tribunaux, aux bâtons de la police, aux invectives de la grande presse, et à l’ire de tous les paliers de gouvernement. Ils disposeraient en revanche de puissants alliés, qui forment collectivement la plus grande force sociale existante, à savoir les travailleurs partout au Québec et au Canada qui sont tout autant visés par les mesures d’austérité capitaliste. 

C’est vers cette force sociale que doivent se tourner les employés du secteur public québécois qui sont opposés à l’entente de principe que les chefs syndicaux veulent leur passer en travers de la gorge. Un rejet de l’entente doit être combiné à un appel à tous les travailleurs du Québec et du Canada afin de transformer le sentiment anti-austérité qui traverse de larges couches de la population en une contre-offensive consciente pour la défense des emplois, des salaires et des services publics. Une telle mobilisation – impliquant des grèves, des manifestations, des occupations et autres actions militantes – devrait se baser sur la perspective de l’égalité sociale et la lutte pour un gouvernement ouvrier. 

Les syndicats préservent la «paix sociale» aux dépens des travailleurs 

Seul ce programme de lutte de classe peut contrer le saccage des services publics lancé à toute vapeur par le gouvernement Couillard au nom de l’élite dirigeante. Il est diamétralement opposé à la stratégie du Front commun consistant à appeler au «dialogue social» avec l’establishment dirigeant et à éviter à tout prix la confrontation avec le gouvernement – ce qui revient au bout du compte à se mettre à plat ventre devant lui.

Alors que les employés du secteur public étaient déterminés à défendre leurs conditions de travail, la bureaucratie syndicale s’est limitée à des gestes futiles de protestation. Toute l’attention des travailleurs a été canalisée pendant des mois vers un exercice bidon de «négociations» où le cadre budgétaire était fixé d’avance par le gouvernement Couillard.

Au même moment, le mouvement syndical québécois a travaillé de concert avec les syndicats du Canada anglais pour détourner le ras-le-bol populaire contre l’austérité et les inégalités sociales vers l’élection d’un nouveau gouvernement fédéral supposément «progressiste». 

Le résultat fut le retour au pouvoir, sous la direction de Justin Trudeau, du parti libéral du Canada – le parti de gouvernement préféré de la classe dirigeante canadienne pour une bonne partie du siècle passé, qui a ravagé les programmes sociaux dans les années 90 et présidé au tournant militariste de la politique étrangère canadienne avec sa mission de contre-insurrection en Afghanistan. 

Tout au long des «négos», les chefs syndicaux ont gardé un silence complice sur le danger de la loi spéciale. Ils en parlent aujourd’hui uniquement pour pousser les travailleurs à voter en faveur de l’accord de principe. S'il est malgré tout rejeté, et que le gouvernement adopte une loi spéciale pour imposer son diktat, les chefs syndicaux ne lèveront pas le petit doigt pour s’y opposer ou venir à l'aide de travailleurs qui défieraient la loi. 

Au contraire, devant l'opposition grandissante à l'entente de trahison, les syndicats relayent le discours de Couillard et des libéraux. Lors d'assemblées syndicales, des travailleurs se font dire que s'ils défient l'appareil syndical et rejettent l'entente de principe, le gouvernement va criminaliser tout autre débrayage et en profiter pour imposer des concessions encore plus drastiques. 

Cette campagne d'intimidation a trouvé un écho jusque dans les colonnes du Journal de Montréal, le quotidien populiste de droite contrôlé par Pierre-Karl Péladeau, le magnat des télécommunications devenu chef du Parti québécois. «La négociation du secteur public est terminée et il ne reste de place que pour des ajustements mineurs», a écrit l'ex-président de la CSQ, Réjean Parent. Il fustigeait ainsi le refus de la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) – qui est née d'une scission avec la CSQ et n'a pas rejoint le Front commun – de signer l'entente de principe. «À défaut de conclure avec le gouvernement», a poursuivi Parent sur un ton menaçant, «ces syndicats réfractaires courent le risque de se voir imposer leur convention collective». 

Depuis le début des années 80, les syndicats ont été transformés en agents directs du grand patronat au sein du mouvement ouvrier, travaillant d'arrache-pied pour imposer les fermetures d'usines, les licenciements de masse et les compressions budgétaires. La base objective de ces trahisons se trouve dans les nombreux privilèges dont jouit l'appareil syndical (participation à des comités tri-partites, contrôle de riches fonds d’investissement comme le Fonds de solidarité de la FTQ) en échange des services rendus à la classe dirigeante. 

Sa base politique est le virulent nationalisme québécois qui détermine toute l'action de l’appareil syndical depuis plus de 40 ans et qui a mené à l'isolement des travailleurs du Québec par rapport à leurs frères et sœurs de classe du Canada, au renforcement de toutes les factions rivales de la classe dirigeante canadienne (autant les souverainistes que les fédéralistes) et à la subordination des travailleurs au champion de l'austérité capitaliste qu'est le Parti québécois. 

L’alliance intime des syndicats avec le PQ a été une fois de plus démontrée durant la grève étudiante de 2012: celle-ci a d’abord été isolée par les centrales syndicales, puis canalisée derrière l’élection du gouvernement péquiste de Pauline Marois, qui a vite fait d’imposer ses propres mesures drastiques d’austérité tout en attisant le chauvinisme anti-musulman. 

Alors que l’austérité est appliquée par l’élite dirigeante à travers le monde pour faire porter aux travailleurs tout le poids de la crise capitaliste mondiale, la bureaucratie syndicale la détache entièrement de ses racines de classe et la présente comme un mauvais choix «idéologique» qui met à mal le «modèle québécois» – c’est-à-dire ses propres relations incestueuses avec la bourgeoisie et l’État capitaliste québécois. Ce programme nationaliste était au cœur des actions de protestation menées par le Front commun dans le secteur public au cours des derniers mois. Il a été réaffirmé en début d'année par un communiqué de la CSN accusant le gouvernement libéral de vouloir «ratatiner le rôle de l'État» et «mettre fin à tous les acquis sociaux qui nous caractérisent comme société québécoise». 

Un programme socialiste international pour combattre l’austérité 

Les conséquences d'une telle politique nationaliste ont été tragiquement démontrées en Grèce. Porté au pouvoir grâce à ses promesses de mettre fin à l'austérité, le parti Syriza (Coalition de la gauche radicale) s'est déclaré le défenseur de tous les Grecs et a refusé de faire appel aux travailleurs européens dans une lutte conjointe contre le capitalisme grec et européen. Il a plutôt placé ses espoirs d'un léger assouplissement des mesures d'austérité de la troïka européenne dans les appels aux dirigeants de l’Union européenne et au président Obama, qui personnifie la férocité et la décadence du capitalisme américain. Syriza – parti de la pseudo-gauche grecque qui parle pour des sections privilégiées des classes moyennes – a fini par imposer des coupes sociales encore plus dévastatrices que les gouvernements précédents. 

Pour éviter la défaite, les employés du secteur public doivent enlever le contrôle de leur lutte des mains du Front commun et de la haute direction syndicale afin d’en faire le coup d’envoi d’une contre-offensive de tous les travailleurs contre l’austérité et la criminalisation des luttes sociales et ouvrières. 

Ce n'est pas du tout l'objectif que poursuivent certains représentants syndicaux, tels que les dirigeants de la FSSS ou de la FAE, qui critiquent le Front commun d'un point de vue purement tactique. Comme le notait La Presse dans un reportage de fin d'année: «Malgré le gouffre entre l'opinion de M. Létourneau [président de la CSN] et celle des délégués de la FSSS-CSN sur l'entente de principe, il n'y a pas de crise de confiance entre les murs de la centrale syndicale, a assuré M. Begley [président de la FSSS]». 

Ni la FSSS ni la FAE n’appelle tous les employés de l’État à rejeter l’entente de principe, sans parler de lutter pour mobiliser l’ensemble des travailleurs afin de combattre l’austérité et préparer la désobéissance aux lois anti-ouvrières. Leur refus de défier directement la haute direction syndicale ne peut mener qu'à l'isolement de tel ou tel groupe de travailleurs, qui seront laissés seuls face à tout l'arsenal répressif de l'État capitaliste. La faillite de cette politique est dissimulée par les adeptes du «syndicalisme de combat» (comme le site internet Lutte Commune) et par les dirigeants de Québec solidaire, à qui Syriza sert de modèle. Ces éléments de la pseudo-gauche, en donnant un vernis «progressiste» à la politique nationaliste de protestation et en faisant la promotion assidue des couches intermédiaires de la bureaucratie telles que la FSSS et la FAE, jouent un rôle clé pour garder les travailleurs attachés à l’appareil syndical moribond et au système de profit. 

La crise capitaliste mondiale, qui gagne en intensité depuis l'effondrement financier de 2008, a mené à un renouveau de la lutte des classes. Celle-ci prend de plus en plus la forme, sur une échelle internationale, d'une rébellion des membres de la base contre les appareils syndicaux. C'était la signification du rejet répété par les travailleurs américains de l'automobile des contrats de concessions présentés par leur syndicat. Mais la question centrale demeure celle d'une rupture avec le programme nationaliste et pro-capitaliste de la bureaucratie syndicale, et l'adoption d'une nouvelle stratégie, axée sur la mobilisation politique indépendante des travailleurs autour du programme socialiste de l'égalité sociale et de la lutte pour un gouvernement ouvrier. 

Les travailleurs qui veulent lutter pour cette perspective, ou discuter comment s’opposer à la bureaucratie syndicale pro-capitaliste, devraient contacter le World Socialist Web Site et penser sérieusement à adhérer au Parti de l’égalité socialiste (Canada).

 

 

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