Le gouvernement du Canada a annoncé lundi dernier qu'il allait tripler le nombre de soldats des forces spéciales dans le nord de l'Irak qui aident les milices kurdes au front à combattre l'État islamique. Il va aussi augmenter d'un tiers le nombre total de soldats canadiens dans la région, le portant à 830.
Ces décisions font partie d'un plan plus vaste qui vise à développer le rôle du Canada dans la guerre au Moyen-Orient, tout en respectant la promesse électorale des libéraux de retirer les six chasseurs CF-18 qui bombardent l'Irak et la Syrie depuis l'automne 2014.
Lors d'une conférence de presse, le premier ministre Justin Trudeau a insisté sur le fait que la mission du Canada au Moyen-Orient avait été revue en collaboration étroite avec ses alliés, surtout les États-Unis.
Cette mission revue comprend le déploiement de 230 soldats supplémentaires dans les pays voisins de la Jordanie et du Liban pour le «renforcement des capacités», ainsi que la poursuite du déploiement de deux avions de surveillance et un avion de ravitaillement pour aider au bombardement de cibles de l'État islamique en Irak et en Syrie. Le Canada va aussi déployer une équipe d'officiers supérieurs au centre de commande de la coalition de guerre américaine pour aider à coordonner la guerre aérienne, fournir des renseignements et une équipe de conseillers militaires au gouvernement irakien, et contribuer 1,6 milliard de dollars en aide humanitaire et infrastructures au cours des trois prochaines années. Ce dernier montant comporte de l'aide à long terme et du soutien pour les réfugiés d'une valeur de 880 millions de dollars qui avaient déjà été annoncés.
Trudeau et le ministre de la Défense Harjit Sajjan, qui étaient accompagnés du ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion et de la ministre du Développement Marie-Claude Bibeau, ont avancé que le Canada allait augmenter et mieux cibler sa contribution à l'effort de guerre. Ils tentaient ainsi par leurs commentaires de s'opposer aux critiques venant des conservateurs et de sections de l'élite dirigeante que le retrait des CF-18 va affaiblir la position d'Ottawa auprès de Washington et sa position dans la course impérialiste à la partition du Moyen-Orient.
Néanmoins, la chef conservatrice par intérim Rona Ambrose a réagi rapidement en dénonçant le retrait «honteux» des chasseurs et en le qualifiant de «pas en arrière pour le Canada» et de trahison de ses «traditions militaires». Depuis l'exclusion du Canada d'une rencontre organisée à Paris le 20 janvier par le secrétaire d'État américain John Kerry pour discuter de la stratégie de la coalition de guerre, les conservateurs et la plupart des grands médias exhortent le gouvernement à en faire plus pour assurer la présence de l'armée canadienne sur la scène mondiale et mettent en garde contre la perte d'influence du Canada au sein de la bande des puissances impérialistes.
Trudeau s'est volontairement montré évasif lorsqu'on lui a demandé si les forces spéciales déployées dans le nord de l'Irak allaient continuer à identifier des cibles de bombardement pour les forces aériennes de la coalition. Le quotidien Globe and Mail a rapporté que les forces spéciales avaient bel et bien reçu cette mission.
Trudeau a mis l'accent sur le fait que le gouvernement remplissait maintenant sa promesse électorale de mettre fin à la «mission de combat» du Canada au Moyen-Orient. Cette promesse était une ruse cynique qui visait à exploiter les sentiments antiguerre de la population tout en garantissant que le Canada allait demeurer partie intégrante de la guerre de l'impérialisme américain au Moyen-Orient.
Dans la prochaine période, les forces canadiennes vont jouer un rôle important dans toutes les facettes de la campagne de bombardement, excepté le largage de bombes: aider à choisir et surveiller des cibles, les identifier au sol et faire le ravitaillement des chasseurs-bombardiers.
Tout aussi mensongères étaient les paroles de Trudeau selon lesquelles les activités de «conseil et de soutien» des forces spéciales auprès des peshmergas turques au front, qui comprennent maintenant de l'approvisionnement d'armes légères, constituaient une opération à titre de «non-combattant».
Le chef d'état-major de la Défense, le général Jonathan Vance, a tout fait pour ne pas contredire son supérieur politique. Mais s'adressant aux reporters après la conférence de presse de Trudeau, il a averti que les forces spéciales allaient inévitablement se retrouver au combat. «Nous voulons que les Canadiens sachent que nous allons participer à des engagements pour nous défendre et défendre les partenaires avec qui nous travaillons», a dit Vance.
Malgré une mission officielle «sans combat», les 69 membres des forces spéciales qui sont actifs en Irak depuis l'automne 2014 ont sans cesse participé à des batailles au front.
Vance, qui a joué un rôle dirigeant dans la conception de la nouvelle politique du gouvernement au Moyen-Orient, a ajouté: «Le premier ministre a clairement dit qu'il s'agissait d'une mission à titre de non-combattant. À mon avis, nous pouvons parler de non-combattant, car nous ne sommes pas le principal combattant.»
Avec une telle logique, il serait possible d'argumenter que l'impérialisme canadien n'a jamais été «combattant», car même sa participation dans les deux guerres mondiales s'est faite en alliance avec de plus grosses puissances impérialistes – la Grande-Bretagne et les États-Unis respectivement – qui elles, étaient les «combattants principaux».
Le gouvernement libéral fait son annonce au moment où Washington s'apprête, en collaboration avec ses alliés, à intensifier considérablement les combats en Syrie, où son principal objectif demeure le renversement de Bashar al-Assad, un proche allié de l'Iran et de la Russie. Jeudi dernier, l'Arabie saoudite a déclaré qu'elle était prête à intervenir avec des troupes au sol en Syrie et, apparemment, la Turquie prépare une invasion par le nord. Ces développements font partie de la dangereuse campagne des États-Unis pour consolider leur hégémonie géopolitique et économique dans la plus importante région productrice de pétrole au monde afin d'affaiblir leurs rivaux, surtout la Chine et la Russie.
Le Canada joue un rôle important dans les trois principales offensives géostratégiques des États-Unis autour du globe: au Moyen-Orient; dans la campagne agressive des États-Unis qui vise à isoler la Russie et miner son influence en Europe et en Asie centrale; et dans les actions militaires, politiques et économiques des États-Unis qui ont pour but d'encercler la Chine en Asie du Pacifique.
Dans la semaine qui a précédé l'annonce de sa nouvelle politique au Moyen-Orient, le gouvernement Trudeau a officiellement ratifié le Partenariat transpacifique, le volet économique de l'assaut anti-Chine de l'administration Obama, lors d'une cérémonie en Nouvelle-Zélande. Pendant ce temps, le ministre des Affaires étrangères Dion se rendait en Ukraine pour rassurer le régime à Kiev que la reprise des relations diplomatiques régulières avec la Russie par le Canada ne signifiait en aucun cas la diminution du solide appui du Canada pour le gouvernement d'extrême droite de Poroshenko et sa guerre civile contre la population dans l'est du pays. À Kiev, Dion a aussi réitéré que le gouvernement s'engageait à mettre en œuvre l'accord de libre-échange Canada-Ukraine qui avait été annoncé par le gouvernement conservateur Harper en juillet dernier.
La tentative de Trudeau et ses collègues de présenter la politique canadienne au Moyen-Orient comme une opération «humanitaire» qui ferait revivre les supposées traditions canadiennes de compassion et de diplomatie est ridicule. Bien qu'il vante le 1,6 milliard $ en aide humanitaire sur trois ans, son gouvernement appuie loyalement l'impérialisme américain, la grande puissance dont les guerres et les opérations de changement de régime ont ravagé un pays après l'autre au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
De plus, le gouvernement Trudeau va de l'avant avec un contrat de vente d'armes de 15 milliards $ avec l'Arabie saoudite et un autre contrat de plusieurs milliards de dollars avec le Koweït. Ces régimes dictatoriaux participent à la guerre au Yémen qui a détruit la majorité de ce petit pays.
En expliquant les plans de guerre du gouvernement au Moyen-Orient, Trudeau et ses ministres n'ont cessé de rappeler la participation de près d'une décennie et demie des Forces armées canadiennes dans la guerre en Afghanistan. La longue expérience du Canada dans la guerre de contre-insurrection et l'entraînement de forces régionales signifie, ont soutenu Trudeau et ses ministres, que le Canada a des atouts qu'il peut utiliser dans la formation de forces indigènes loyales aux intérêts stratégiques de l'Occident.
Il faut noter aussi que Trudeau s'est assuré de faire comprendre que cette nouvelle politique pourrait être revue à n'importe quel moment en raison de la situation qui évolue rapidement au Moyen-Orient. S'engageant beaucoup plus que le gouvernement précédent, Trudeau a ajouté que le déploiement actuel durerait au moins deux ans.
Washington s'est empressé de donner son appui aux plans de guerre du Canada. Un porte-parole du Pentagone, Peter Cook, a déclaré: «L'annonce du Canada est le type de réponse», auquel les États-Unis «s'attendent de la part des membres de la coalition». Après une discussion téléphonique entre Trudeau et le président américain Barack Obama, la Maison-Blanche a émis une déclaration disant que le président «accueillait les contributions actuelles et à venir dans la coalition de la part du Canada».
Les discussions qui prennent place au sein de l'élite dirigeante canadienne indiquent que la nouvelle mission dévoilée pour l'Irak et la Syrie fera partie d'une intervention militaire plus vaste au Moyen-Orient et en Afrique du Nord dont le but, sous le prétexte de la «lutte contre le terrorisme», est de garantir un rôle à l'impérialisme canadien dans cette région riche en énergie et en minerais.
À la conférence de presse de lundi dernier, un reporter a demandé à Trudeau si son gouvernement allait envisager l'envoi de troupes pour appuyer les soldats français dans plusieurs pays d'Afrique du Nord et de l'Ouest, y compris au Burkina Faso, au Mali et au Tchad. La question d'une possible mission en Libye a aussi été soulevée. Trudeau a refusé de nier la possibilité d'une intervention militaire en Libye, notant qu'il y avait toujours des discussions entre les alliés sur ces questions.
Pendant ce temps, environ 100 membres des Forces spéciales canadiennes se sont rendus au Sénégal pour participer à l'exercice annuel Flintlock, qui a commencé lundi dernier. Cet exercice, organisé par le Commandement des États-Unis pour l'Afrique, comprend l'entraînement de commandos de pays africains, dont le Niger, l'Algérie, le Mali, le Sénégal, le Tchad, la Mauritanie et le Burkina Faso. Des membres de la Royal Canadian Air Force et du personnel militaire infirmier y participent également. L'armée canadienne participe considérablement plus à l'exercice Flintlock depuis son premier déploiement de 14 soldats en 2011.
(Article paru d'abord en anglais le 10 février 2016)